28 décembre 2007

Mes années France ( épisode 20 )

C’est près du restaurant « chez Nine » à la Mouline, que nous avons déposé à nouveau nos bagages. Cela se fit vers la fin de l’année et nous avions pu fêter Noël en famille, Claude mon frère, était là il avait décidé de travailler avec mon père
Lui le matheux solidement armé de deux bacs avait décidé de suivre mon père, et d’embrasser le noble métier d’éleveur de moutons.
Et comme toujours le « coffre fort » de ma mère resta étanche à la fête. Ni son mari, ni ses enfants ne trouvèrent le code secret. Elle n’aimait rien de ce pays. Les gens et le pays le lui rendaient bien. Elle se verrouillera définitivement comme un vieille huître perlière avare de sa précieuse marchandise. Si vous voulez vous imaginer ma mère, surtout n’allez pas chercher le style de Marthe Villalonga dans « Un éléphant ça trompe énormément ». Elle n’est pas du genre « mon fiiiiiiiiiils »!!!!!!! Mais plutôt, proche de la so british Charlotte Rampling.
Elle vivait certes, mais je crois pouvoir dire que ces années là ne comptaient pas ! Ne comptent plus !
Cet été là, j’appris le métier de pâtre. Je remplaçais définitivement mon père. Point de vacances, il fallait aider la famille. Ce morpion vagabond sera bien à l’aise là-haut dans la montagne pour garder les moutons de Layrole. Il aime les bêtes, il sera servit. Il a toujours son lance pierre dans la poche, il s’en servira.
Le matin très tôt nous montions à Layrole mon frère et moi dans la 4L poussive et cabossée de papa. Nous n’avions pas trop confiance dans sa conduite, les quatre ailes froissées et enfoncées nous le prouvaient chaque jour. Aucun de nous n’osait lui dire, tant il nous étouffait par son charisme, son autorité, et parce que chez nous, nous respections notre père.
Pendant ce temps mon frère et mon père eux s’apprêtaient à terminer le plus rapidement possible les parcs à mouton, et nettoyer les parcelles toujours enfouies dans leur passé sauvage.Même si à certains moment j’avoue humblement avoir détesté et haï Layrole pour les vacances que cette ferme de montagne m’avait furieusement dépouillé, je ne m’aperçus pas forcement de suite que les seuls instants où j’étais vraiment bien, en accord complet, mon puzzle reconstitué sans faille, c’était bien là-haut dans ses bras protecteurs, dans les près, en gardant les moutons. Cette propriété m’avait sournoisement envoûté sans que je ne m’en rende compte

22 décembre 2007

Joyeuses Fêtes


A tous que cette fin d'année vous soit agreable et pleine de joie
Que de la nouvelle naisse enfin la paix des hommes du nord au sud , et des toutes les croyances
Longue vie aux hommes de bonne volonté
amities
patrick
P.S: Ma chatte doit etre tres croyante et se joint a moi

16 décembre 2007

Mes années france ( épisode 19 )

Layrole devenait chaque jour un peu plus le refuge et le confident des rêves perdus de mon père et de ses nombreuses désillusions falsifiées.
Je crois moi que mon père avait Layrole pour « mère ». Il aimait trop cette terre pour ne pas y retrouver la relation charnelle, et la consolation de sa mère qu’il n’a pour ainsi dire pas connue, de l’apaisement qu’il cherchait sans trop d’espoir, et qu’il ne trouvait pas dans son environnement proche.
N’y a-t-il pas aussi pour pleurer seul là-haut luttant contre ce sort qui s’acharnait tant sur lui, sur sa maladie qui empirait, sur cette femme qui le détestait et qui pourrait au moins l’aider par quelques mots ou gestes affectifs. Et ce gosse qui s’enferme peu à peu dans un mutisme paralysant, stressant. Que va-t-il devenir ? Il ne devine même plus ce qu’il pense, il semble ne plus avoir de sentiment pour personne, seuls les animaux et la nature semble l'émouvoir.
Ses rêves vagabonds terminés ? Il fixait les magnifiques Pyrénées là-bas au loin. Elles lui rappelaient le moyen Atlas, Midelt l’hiver sous la neige, et El Ayachi sa montagne. Un sourire chemine lentement sur son visage buriné et fatigué. Il devait ensuite se lever, saisir péniblement son bâton, jeter sur ses frêles épaules courbées, la trousse de secours pour les moutons, et partir garder ses animaux. Il les surveillait d’un œil attentif, pendant qu’il défrichait, nettoyait ou construisait des parcs. Il rêvait d’un lendemain enchanteur auquel il continuait de croire désespérément, il n’avait pas d’autres rêves pour continuer à vivre. S’il ne rêve plus, il s’en ira…………….
Mais pour quoi ces rêves de futur ? Et pour qui surtout ? Pour lui seul à présent, pour ne pas mourir trop tôt ? Il pointera son nez à l’aube du XXIème siècle, nous jurait-il un jour.
Nous vivions toujours aux gîtes ruraux de La Mouline qu’il faudra restituer bientôt, et aller vivre ailleurs, l’été approche, et le prix des locations estivales est bien trop élevé pour nous. En attendant que la maison de Serres veuille bien timidement s’ébrouer des ronces que mon père, mon frère et moi tentions de faire disparaître, avant d’entamer la réparation de l’intérieur de son antre.
Peu à peu la craintive nous apparaissait. Bien des décennies cachées à l’ombre de ces plantes voraces l’avaient rendu plutôt méfiante et craintive vis-à-vis des étrangers, et qui plus est, des pieds noirs rapatriés. Mais ceux là semblent bien sympas, ils nettoient et lui rendent sa vie. Elle s’apprivoisera facilement tant elle a envie de montrer à ses voisines espiègles et moqueuses depuis si longtemps, sa beauté et sa splendeur d’antan, elle la maîtresse de ce bourg. Elle exhibera sa plaque 1739, les autres devront s’incliner, elles lui doivent le respect
Notre pauvre voiture servait de tracteur. Elle mourra même un matin de ce traitement singulier. Bien triste fin que celle d’un véhicule qui avait su si bien nous rapatrier en France sans broncher, ni rechigner à la tâche. Triste mort que celle de cette Taunus. Elle expurgera sa peine comme toutes les voitures de paysan à l’abri des regards moqueurs dans un champ bien loin, rongée par la rouille vengeresse, et camouflée du déshonneur par les ronces qui ne manqueront pas de se venger. Elle sera remplacée sans une larme, par l’inusable 4l Renault.
Ainsi va cette année 1965. Le couscous, tajine, méchoui, merguez, Enrico Macias et Marthe Villalonga ont pacifiés la France au nom des pieds noirs. Nous sommes devenus des curiosités culinaires très mode, des chanteurs nostalgiques, et des mères excessives. Le français rigole bien, mange bien, l’intégration fait son chemin lentement dans les esprits grâce à eux.
Johnny épouse Sylvie, France Gall n’est qu’une poupée de cire, pour Herve Villard Capri c’est fini, enfin, Jean Ferrat pleure le Potemkine
Le déménagement vers notre nouvelle maison à Serres ne se fera pas encore. Le temps manquait et la maison n’était pas encore totalement habitable.
L’argent aussi nous manquait cruellement, j’entendais parler de se « serrer la ceinture »…... d’économiser…… de faire attention……… Que des mots qui me mettent mal à l’aise ! Dont je ne comprends pas forcement bien les conséquences.

09 décembre 2007

Mes années France ( épisode 18 )

Voyons,……………….. la parcelle 132548a.
L’oeuvre destructrice du temps qui n’en fait qu’à sa tête, était passée par là. Rares furent les parcelles déclarées plusieurs décennies auparavant en terres cultivables ou prairies naturelles, à ne pas être redevenues sauvages, reconquises impunément et patiemment par les armées de châtaigniers, les fougères, les ronces ou les genets.
Je cherchais le trésor. Où pouvait-elle bien être cette parcelle ? Je dirigeais toujours mon enquête en premier vers les numéros les plus proches des taches jaunes déjà conquises. J’étais si heureux qu’elle puisse agrandir encore un peu ma zone de coloriage, et qu’elle continue à garnir laborieusement mon cahier de coloriage géant.
Parfois je devais m’éloigner un peu, cherchant dans l’immense désert des numéros perdus le bon numéro, celui que j’allais avec enthousiasme et méthode colorier de jaune. A l’approche de mon crayon, j’entendais bien les parcelles s’agiter espérant chacune d’elle être l’élue, celle que nous venions d’acheter. Elles levaient le doigt. Moi ! Moi ! Moi ! C’est moi le 132548a. Point de tricherie ! Je continue mon enquête. Déçues de ne pas être de la liste, déçues de ne pas avoir été achetées, synonyme de résurrection, elles attendraient patiemment le prochain achat, c’est certain, ce pied noir un jour ou l’autre possédera toute la montagne.
Fougères, ronces, arbustes désormais indésirables devaient abandonner sans conditions ces parcelles avant que les moutons rageurs et gourmands ne reviennent, et ne lui redonnent la splendeur de prairie d’autrefois.
Les colchiques bleus du printemps, les marguerites blanches, pissenlits jaunes, en été reviendront à nouveau pacifiquement les coloniser.
J’étais fier quand le numéro se trouvait proche d’un îlot déjà repéré par sa couleur, preuve irréfutable pour le gosse que son papa avançait lentement, mais sûrement dans sa quête. Certain que peu à peu, tout mon cahier serait tout jaune un jour. Happy end !
Mais aussi railleur quand le jaune se trouvait à perpette, au diable Vauvert. Si loin qu’il fallait aller chercher un autre plan cadastral. J’en faisais la remarque à mon père en gérant méticuleux de la mission confiée à son enquêteur particulier.
« Je n’avais pas le choix fiston, si je veux un jour transformer cette montagne difforme et perdue en propriété digne de ce nom, il faut tout prendre. Un jour qui sait, nous arriverons jusqu’a cette parcelle isolée qui te tracasse ».
Ragaillardis par ses mots, je me fixais l’objectif moi aussi qu’un jour j’irai colorier toute la carte et que c’était pour mon papa que je faisais cela. Je découvris avec plaisir et jouissance l’instinct de propriété, le plaisir de posséder un chez soi, un truc à soi que vous avez gagné par le travail, le temps, et la patience d’avoir su attendre.
Il ne restait à présent qu’un seul habitant au village. J’aimais le rencontrer, bien que je le vis plus souvent blotti dans sa chaise au coin du feu que dehors. Il me paraissait très vieux, très pauvre et presque cassé en deux par la solitude.
« Il fut un temps, fiston, vers 1900, me contait le dernier septuagénaire du village, il y avait ici presque 300 moutons et 800 vaches. Nous étions plus de 20 familles. Il n’y avait que des prés et quelques forêts bien entretenues pour le bois, les châtaignes, les champignons et l’abri naturel que ces vastes étendues nous apportaient. Aujourd’hui, les ronces et les genets reprennent possession du village. Les toits s’écroulent et les habitants ont fui. Il ne reste que moi et ma solitude, après ce sera la fin ».
Une larme de sa jeunesse et de son passé glissa lentement le long de sa joue, de son visage buriné et amaigri par les souvenirs qui le tenaillaient. Ses yeux trahissaient soudainement sa longue attente pour aller rejoindre les siens là-haut. Ceux d’avant, les « Paougagnous », (les gagne peu) les………….je ne m’en souviens pas de noms en patois, j’aimerai parler patois, et utiliser comme lui ces diminutifs affectifs, plus usités que les noms de famille. Ceux qui donnaient la vie au village, ceux qui entretenaient durement et inlassablement, les prés, les murettes et les bois. Le rude paysan de la montagne qu’il fut resta silencieux, me regarda gentiment, affectueusement je crois, semblant me dire, « je suis fatigué aujourd’hui, reviens demain ».
Je me retirai en silence de cette maison sans lumière. Avait-il seulement l’électricité ? Je ne sais ! La cheminée semblait être le centre de son univers. Elle cuisait sa maigre soupe, grillait les châtaignes que je lui portais de temps à autres, au grès des lieux où j’allais garder les moutons. Il y vivait, assis sur une chaise basse qui lui permettait de se glisser sous l’immense hôte qui le protégeait, telle une couveuse en recherche de maternité bienfaitrice.
Tous les jours, quand je passais devant sa maison avec mes moutons, je m’arrêtais chez ce vieil homme attachant qui me racontait la vie et les légendes de Layrole, celles d’avant la fin de son monde, celles d’avant l’exode, celles quand il était jeune et fort bien sûr, celles de la guerre où même ici des jeunes ne sont jamais revenus du Chemin de Dames ou de Verdun.
« Ils étaient rudes nos garçons, rudes au froid, à l’effort, pas bien malins, faciles à commander, faciles à livrer en pâture aux canons ».
Notre vieil homme n’attendait plus qu’un seul cadeau de la vie, il attendait que le temps fasse son effet, le plus rapidement possible. Le silence gagnait la pièce engourdie par le froid dés que l’on s’éloignait de la cheminée. Je respectais religieusement son deuil, il devait revoir ces braves gars……………Après un soupir, il reprenait : « Avant, c’était trop dur. Tu vois, même ton père tous les jours avec sa 4L, il en bave. Je le regarde parfois, dommage qu’il ne soit plus si jeune, il en aurait abattu du travail, je suis sûr qu’avant la fin il aura refleuri tout Layrole.
Imagine-nous, quand il fallait, à pied ou en carriole à vache, descendre à Serres pour acheter quelques rares besoin. Un vêtement devenu si vieux qu’il ne restait plus qu’à rapiécer les pièces. On achetait aussi des clous, du vin, un outil, du sucre et encore pas tous, ferrer les vaches, ou vendre une bête !
Pour le reste on se faisait tout. L’huile, c’était le gras du cochon, des canards ou des oies que l’on conservait dans des « grichets ». Le savon, un mélange de cendre et de graisse. Les seuls fruits, les pommes et poires de nos vergers. On fabriquait des ballais avec les branches de genets. Les poules, les canards, les lapins et le cochon c’était la viande. Les œufs complétaient notre pitance Les légumes venaient tous de nos malheureux jardins. Ici on avait au moins trois semaines de retard sur la plaine, souvent le gel et le froid des hivers précoces nous volaient nos récoltes.
Tu as remarqué les fours dans les maisons ? Cette bosse dans le mur ? Et bien, nous y faisions cuire le pain une fois par semaine, parfois même pour le mois. La farine venait du blé, de l’avoine, ou du seigle du « Plat » la seule parcelle un peu moins pentue que les autres. Tu la connais ? Elle se situe sur le chemin qui mène à Sahuc. La vie était dure. Mais quand même, nous n’avons jamais eu trop faim. Et puis, j’étais jeune ».
A nouveau, il se fatiguait, ou bien était-il rattrapé par sa nostalgie qui lui serrait la gorge. Les mots se faisaient attendre. Sa voix de plus en plus douce s’interrompait lentement jusqu'à ne plus être audible. Je repartais doucement. Il s’endormait je crois sur sa chaise près du feu, si près qu’un matin je le trouvais face contre terre, il avait rejoint ses amis. Le feu l’avait en parti consumé.
Il ne n’avait jamais parlé de son présent, de ce qu’il aimait ou de ce qu’il détestait. Avait-il de la famille ? Des parents ? Avait-il été marié ? Avait-il eu des enfants ? Pourquoi était-il resté si seul dans ce village sans âme ? Pourquoi, comme les autres, n’avait-il pas rejoint un parent qui l’attendait à la ville ? C’est maintenant qu’il n’est plus là que je me pose toutes ces questions! J’aurais pu, si je n’avais pas été si égoïste le questionner sur sa vie à lui.
Peut-être, avait-il envie de m’en parler, peut-être même a-t-il vainement tenté de le faire et s’est ravisé, se doutant que mon attirance vers lui ne venait qu’exclusivement de son passé. Alors pour ne pas me perdre, il s’était sacrifié à l’hôtel de mon orgueil. Il était sûrement content que ce jeune gosse d’à peine 11 ou 12 ans s’intéresse à lui. Il y a bien trop longtemps qu’il ne parlait plus qu’à son chat, et encore seulement les jours où ce sauvage mal dressé choisissait la douceur de la cheminée et les genoux cagneux de son maître, plutôt que la cour effrénée qu’il menait régulièrement aux chattes du village redevenues sauvages.
Le lendemain, un véhicule spécialisé l’emporta vers ses amis qui l’attendaient patiemment là-haut, les bras ouverts, il ne manquait plus que lui !
Tu en as mis du temps !
T’étais si bien en bas ?
Je ne sais même pas s’il y avait une seule personne à son enterrement. Moi je n’y étais pas, je ne sais plus pourquoi.

06 décembre 2007

Un grand merci à tous

Un souvenir
Au milieu le mouflon qui a rencontré ma mere
au centre ma mere la "tigresse au fusil"
A droite mon frangin
En haut a gauche "le chasseur de l'Atlas
A droite droite" la pigot pied noir"
Je viens de dépasser les 10 000 visites, depuis un an je n’en suis pas fier, mais je n’en suis pas indifférent non plus
Le vous remercie à tous, de vos passages avec ou sans messages
Je remercie particulièrement
Les habitués
Les abonnés
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Et Josie, Majid blal qui n’ont pas de blog et qui me rendent aussi de belles visites
A tous que vos blogs illuminent la blogosphere
Je vous apprécie (aime) parce que vous avez je crois un point commun
« Une belle et grande ouverture d’esprit prélude à la tolérance »
Encore merci de vos passages et vos commentaires
Votre modeste blog « pas a pas »

02 décembre 2007

Mes années France (épisode 17)

Ce qui ne changeait pas c’était le caractère exécrable de ma mère, qui de plus en plus s’enfermait dans un drôle de mutisme exacerbant et inutile. Elle n’en sortait que pour étaler ses nauséabondes critiques à mon père, qui lui n’avait plus qu’une seule idée en tête, s’en aller le matin de bonne heure pour aller travailler la petite ferme que nous avions achetée, là-haut en montagne à Layrole. Il n’en revenait qu’à la nuit, espérant que ma mère avait dans la journée vidée son seau de fiel jusqu'à la lie.
Sans doute le travail ne manquait-il pas la haut, je crois aussi que dans les pâturages de Layroles, il y était bien, il pouvait à son aise seul, s’évader de France, retourner, revenir sur ses pas, chercher la trace encore fraîche de son bonheur ; jadis à Timexaouine, Imintanaoute, Midelt,………. il était jeune…………et la vie y était belle…………..
Le travail avançait et la fatigue se faisait toute petite pour le laisser gambader dans la foret des singes, saucer l’huile chaude du moulin, chausser ses Pataugas et s’en aller à Arbalou N Serdane ou Boumia.
Le village de Layrole est situé à environ 700 mètres d’altitude, et à environ 5 km de Serres sur Arget, en direction du col des Marrous. La route goudronnée vous abandonne à l’intersection avec la route de Sahuc le village voisin. A partir de cet instant il fallait être prudent tant la route était en mauvais état surtout en hiver où le risque d’accident vous guette à chaque virage.
Mon père avait acheté cette propriété sans la voir, sur plan. Il n’a jamais imaginé qu’elle se situait en montagne. Les collines et les bosses s’étaient camouflées sur le plan cadastral que l’agent de la mairie lui avait envoyé au Maroc. Elles se découvriront par la suite.
Je crois aussi que ces terres malignes et abandonnées, pauvres et oubliées de tous, se sont faites toutes plates sur le plan cadastral pour attirer ce doux rêveur de français qui allait leur redonner leur liberté et leur splendeur d’antan. Comme les animaux d’un refuge devant l’adoptant potentiel, elles se sont faites belles, et suppliantes, le grand jeu de la séduction.
Quand je dis « achetées » ce n’est pas tout à fait exact, il avait plutôt reconstitué avec le temps un semblant de terres qu’il avait réunies à nouveau, et qui très modestement pouvaient s’attribuer le nom de propriété. Il commença son immense patchwork parcellaire en 1965. Petit morceau par petit morceau, années après années, rêves après rêves, avec patience et minutie.
Il ne cherchait qu’à acheter les terres agricoles, mais les propriétaires locaux, chanceux de trouver un acheteur si rare depuis l’exode rural, exigèrent tous, que les maisons soient solidaires des terres. C’est contraint qu’il acheta terres et maisons, parfois dans un état de délabrement avancé, se retrouvant ainsi à la fin de son œuvre de reconstruction propriétaire de 75 ha, de 17 maisons, et 124 numéros de parcelles.
Un immense puzzle grandeur nature.
Les maisons frileuses en granit local gris et triste se tenaient au chaud, serrées les unes aux autres, coude, à coude à flan de coteau, le dos adossé à la colline. Les toits de tuile souvent invisibles, ravagés et camouflés par la mousse, ne dépassaient guerre la hauteur du talus pour mieux se protéger du vent mordant des trop longs hivers carnassiers.
Elles se rejoignaient toutes en un point le lavoir, papotaient un peu sur le salle temps et le brouillard, se serraient la main en signe d’amitié et de solidarité. Puis de là sur deux longueurs toujours côte à côte, en forme de V, allaient conquérir la colline protectrice.
Seules deux maisons étaient isolées. Fâcherie familiale ? Etrangers refoulés ? Sorciers ?
Je me souviens qu’à cette époque, à la sortie de chez notaire, il me confiait dès que nous arrivions à la maison, les numéros des parcelles achetées. J’allais dans l’armoire sortir le plan cadastral de Layrole, je saisissais toujours le même crayon de couleur jaune et menait mon enquête.

28 novembre 2007

Mes années France (épisode 16 )

L’instituteur tenta vainement de me sauver de mon naufrage annoncé et attendu. Si je ne faisais aucun effort, ma sixième serait dramatique avait-il dit à mes parents
« Tu vois ce qu’on te dit, il faut travailler à l’école, c’est pour toi ! Ce n’est pas pour nous ! Nous on s’en fout, notre vie nous l’avons faite »
C’est bien cela que je leur reproche, ils s’en foutent complètement. Ils font juste semblant d’être des parents dignes, le temps d’accompagner l’instituteur sur ses remarques, et sitôt les abandonner dans la poubelle de leurs propres préoccupations.
Le maître par tous les pores de son corps, des forces qu’il pouvait engager, du temps qu’il disposait devenait omniprésent. Il ne me lâchait plus, pour mon bien, je n’en doute point.
« Patrick, photographiez le mot en entier, imaginez-le en entier et seulement recopiez-le sur votre cahier ».
Aujourd’hui encore j’utilise sa méthode quand j’y pense seulement. Je revis avec une nostalgie touchante ces instants. Je revois ce pauvre instituteur qui tente à lui seul de combler tout le déficit de ma tendre vie, à lui seul m’apporter amour et connaissance, attachement et travail bien fait. Lui seul m’avait dit un jour les seuls mots que jamais mes parents n’avaient encore prononcés :
« Allez Patrick, vous en êtes capable ».
Aujourd’hui, je continue à détruire les mots à chaque syllabe, je les déchiquette, et les explose en milliers de lettres. Quand soudain mon maître d’école me touche l’épaule, il est vieux, mais ses yeux pétillants de sagesse et d’amour, ont toujours l’espoir de me sauver. Je reprends mon souffle revient en arrière, je relis le mot en entier. Je photographie pour lui, pour lui seul, qu’il soit fier du type que je suis modestement devenu. C’est vrai quand même ce qu’il m’a dit il y a 40 ans. Un mot en entier devient ton ami, il ne te trahira jamais.
Il retire sa main de mon épaule, sourit, il pense toujours que ce gamin est spécial. Je l’entends me dire :
« Je t’ai connu cancre, mais dans tes yeux pétillait la curiosité et c’est cela qui te sauvera ».
Et le temps passa jusqu’en septembre, lentement ou pas je n’en sais rien, je n’avais même plus la nostalgie de Midelt, j’étais là en France il fallait bien s’y faire.
Je devenais même le chef de classe, sans avoir eu à combattre. Le représentant de la classe pour aller chercher un trophée du « lendit » genre de gymnastique de groupe. Tous les élèves de l’Ariège s’étaient cette année-là réunis à St Girons pour y produire une manifestation de masse. Sans doute notre classe avait-elle été parfaite, pour cela nous reçûmes une coupe.
Je n’avais pas la télévision en ce temps là, c’est au catéchisme de Foix que des élèves m’annoncèrent que j’étais passé sur FR3 avec la classe.

19 novembre 2007

Mes années France (épisode 15)

Lui était plutôt petit, mais de ces petits qui sont aussi larges et difficiles à faire tomber, un carré de vivacité, je connaissais bien ce genre de combattant hargneux. La gueule en renard, sans doute un malin, un combattant rusé où la force n’aura pas toujours le dessus. Nos regards se croisent. C’est bien lui, nous avons communiqué, c’est quand tu veux !
Nos regards se redonnent rendez vous, ce sera pour bientôt. Lui aussi me jaugeait, mais juste pour ruminer si j’étais de taille ou si j’allais comme les autres abdiquer sans combat, fort de sa réputation de « sale gosse ».
De cette jauge des combattants, des gladiateurs de l’arène, des boxeurs avant le combat, c’est à cet instant précis que vous gagnez votre combat. Si vous perdez l’assaut des yeux et de la haine, votre adversaire saura déjà qu’il va vous faire plier le genou.
Le combat aura bien lieu, je le voyais dans son regard moqueur et hautain, et moi de plus j’en avais trop envie. J’aimais trop ce jeu du plus fort, du dominant dominé. J’aime trop le regard envié des autres gamins quand vous brandissez les bras en l’air, pendant que votre victime crache encore le sable que vous lui avez rageusement enfoncé dans la bouche. Il devait en une seule fois avaler le sable, sa vanité, son orgueil, sa salive, et j’en passe. C’est beaucoup pour un vaincu !
Qui va provoquer ?
Attention le provocateur doit gagner ! A la clef de la victoire il y aura aussi la punition du maître. Le combat devra avoir lieu au grand jour dans l’arène de l’école, devant tout le monde, pour solenniser l’événement. Et qu’il n’y ait pas de protestation possible. Ce sera ainsi jusqu'à l’arrivée d’un autre prétendant.
Le vainqueur sera puni par le maître, c’est sûr, c’est en quelque sorte aussi son trophée. Être exposé devant tous au piquet pendant la recréation parce que vous vous êtes battu, et que vous avez vaincu. C’est là, la reconnaissance suprême de votre incontestable victoire. Personne ne devra nier votre titre. Cela est vrai au Maroc, en France et dans toutes les écoles, aujourd’hui encore.
Je décidais d’attendre le défi, il avait pour lui toute l’école, les faibles de sa cour, et les autres plus anciens que moi. Et surtout, ils étaient du pays.
Première journée de classe. Surprise ! Trois niveaux différents dans la classe. Je découvrais pour la première fois que les écoles campagnardes ne perduraient que parce que dans la même classe étaient mêlés des élèves de niveaux différents.
Chez nous, le CE 1, CM 1 et CM 2, les grands qui préparent la rentrée en sixième, pour l’année suivante.
Dans la classe de Madame trois autres niveaux aussi, ceux des « petits » disait-on.
Avec moi au CM1, cinq à six élèves pas plus. Jacques, celui que je devais combattre, Robert, Alain, Monique, Emilien, Richard composaient la classe, assis l’un derrière l’autre sur les bancs pour éviter de tricher, semble t’il.
A coté de nous, sur le même banc, les CM 2, également alignés, par la même logique sans doute.
Je me souviens très bien de l’élève du C.M 2 assis près de moi, il se prénommé Albert. Si je me le rappelle, c’est qu il y a deux très bonnes raisons à cela. La première, oh malheur ! Je découvris qu’il était le frère de Jacques et cela rendra ma tache difficile au nomment crucial du combat. En plus, il était bien plus fort rien qu’à le voir, rien à discuter la dessus.
Avait-il confié les clefs de la suprématie à son frère et le défendait-il quand cela s’avérait nécessaire ? Ou bien c’est lui le fort et je m’étais trompé dans mon enquête ?
L’instituteur semblait s’être attaché à me faire rattraper le temps perdu. Mais peut-on rattraper le temps. Peut-on en neuf mois apprendre au gamin ce qu’il aurait dû apprendre en trois, voire quatre ans !
Le gamin avait-il envie lui d’apprendre ? En avait-il les capacités ?
Aucun de ses parents ne se préoccupait de ses notes, ou de ses devoirs comme cela était déjà le cas au Maroc.

11 novembre 2007

Mes années France ( épisode 14 )

..Nous soufrions aussi de cette invective du pied noir esclavagiste, qui nourrissait ses employés avec un bol de riz, comme me le dira un jour la laitière, lorsque timidement je lui demandais de me faire crédit jusqu'à demain. J’avais seulement oublié la monnaie. Nous les pieds noirs devions payer de suite, sinon « pas de lait ».
Dur alors un jour d’expliquer ce qu’a vécu un pied noir, être totalement compris, et tenter de se faire accepter un jour. Et si vous n’aviez pas d’argent comme ils semblaient l’admettre peu à peu de mes parents, ils ne manquaient d’âmes sereines pour raconter :
« C’est qu’ils sont malin ces pieds noirs, l’argent ils l’ont et font semblant d’être pauvres ».
Eux mêmes, dans ces contrées reculées le pratiquaient avec leur propre deniers. On cache ses sous, et on mène une vie de faux pauvre. Réminiscence des temps anciens où les coupeurs de gorges hantaient cette vallée profonde. On ne sait jamais ! S’ils revenaient ! Mais ils sont revenus ! Mandrin est de retour. Ils se nomment maintenant banques, assurances, crédit, et huissiers.
« Je les ai vu moi ! Ils mangent avec les doigts un plat au milieu d’une table basse, ils sont assis autour et se lèchent les doigts ! Même pas français que je vous dis ! »
C’était là leur vision simpliste d’un repas dominical autour d’un couscous ou d’un tagine, accompagné d’un modeste Sidi Brahim ou Gris de Boulaouane. Nous avions tous j’en suis sûr, le besoin de retrouver dans ces gestes, ce repas, ce vin, les parfums, et les délicieuses effluves, que les caisses du déménagement nous avaient privées pour l’éternité. Jamais nous ne l’avions mangé autrement, autrefois, alors pourquoi changer maintenant, même si nous sommes aujourd’hui en France. Je devrai dire en Ariège !grosse nuance !
Etre d’ici, c’est être né dans la commune du village pas plus loin. Si vous êtes d’à peine quelques kilomètres de là, de Balmajou, de Lairole, du cols des Marrous, de Darnac ou Brassac ou d’ailleurs, méfiance, vous n’êtes pas d’ici.
Imaginez mon handicap, moi le pied noir d’Afrique, mais bon, il fallait de toute façon en passer par là, si nous voulions avoir une chance infime d’être acceptés.
Dans cette cour de l’école communale, comme tout nouvel animal dans une basse cour doit se présenter aux coqs, aux dindons, aux canards, je me laissais dévisager, en espérant ne pas prendre une première rouste juste pour la lutte d’influence. Et faire connaissance !
Le jaugeage réglementaire terminé, je ne me souviens pas avoir subi en ce premier jour une quelconque raillerie, moquerie ou tentative d’intimidation. J’en fus si heureux que le soir j’en parlais à mes parents.
Il ne faisait pas de doute que le plus fort de cette école, lui a dû lui me toiser, la taille, les muscles, et ce je ne sais quoi qui fait qu’au premier regard il saura s’il va garder son titre ou s’il devra me provoquer et honteusement le confier au dernier venu, si je devais sortir vainqueur du combat. J’admets très volontiers que je recherchais cette confrontation, comme à Mibladen ou ailleurs dans toutes les cours de recréation du monde, ou tout simplement dans la vie.
Je savais par expérience que le plus fort de la classe serait respecté, et j’avais vite compris que c’était pour moi le fabuleux raccourci de mon intégration. Certes quelque peu militaire mais oh ! combien efficace et rapide. De plus, je ne doutais pas que je sortirai vainqueur de la confrontation.
Je jouais mon intégration sur un coup !
Coup de chance qu’il ne soit pas trop fort !
Coup de tête ou coup de pied comme j’avais appris à les donner.
Lui ne devait pas connaître la technique de combat des cours de recréation du Maroc. Il sera surpris, j’en fais mon affaire.
A lui de choisir, le combat sur le tas de sable qui sert à sauter en hauteur ou la retraite, sans combat. La tête baissée, il se retournera et s’en ira sans mot dire, à votre premier acte d’homme fort.
Je le cherchais aussi moi du regard et le trouvais facilement, il ne se cachait point. Il est aisé à reconnaître le plus fort d’une classe.
Il a toujours une cour autour de lui. Une cour qui le « chimpanze ». Il rit, ils en font de même, il croise les bras et ils l’imitent, de peur de ne plus être de la bande, rejetés, méprisés, maltraités, et en final devenir le soufre douleur préféré du chef.

05 novembre 2007

Mes années France ( épisode 13 )

Ce jour là :
« Patrick venez chercher votre baffe »
Assis dans son fauteuil dominant la classe du haut de son estrade, et de son orgueil, il puait la connaissance de celui qui croit savoir. Il venait de cracher sa phrase préférée. Celle qui le faisait rire et jouir aussi.
Humiliation suprême que de devoir se lever, escorter les bourgeois de Calais avec sa tête sur un coussin. Tendre sa joue pleureuse et craintive, humblement. Des tremblements de haine dans les poings serrés à s’en faire saigner les doigts et le coeur. La gifle part, son rire sadique accompagne ma douleur, elle m’explose la joue droite et la gauche. Je regarde le prof dans les yeux, arme mon revolver, et comme ma mère face aux douaniers l’abat d’une balle en plein front. Lui aussi sera enterré dans la forêt de Tederrs ou d’Oulmes ! Je retourne à ma place. J’ai fais pipi dans le pantalon. Je dissimule tant que possible mon avilissante réaction à la peur.
Les mains vengeresses devant moi, je cache cette tache disgracieuse. La scène est toujours présente là quelque part.
Je venais d’inaugurer l’école de Jules Ferry et l’affection brutale de l’un de ses représentants. Je ne suis pas rancunier mais j’ai de la mémoire, mon temps et le sien viendront !
Le premier jour dans cette école primaire, je devais être la bête de foire, la créature curieuse, non pas l’écolier qui vient d’une autre commune ou tout au plus d’un autre canton éloigné, non j’étais l’étranger, celui qui vient d’ailleurs, qui ne mérite qu’un regard méprisant. Les écoliers de Serres sur Arget découvraient là devant eux à quoi pouvait bien ressembler un pied noir. Une espèce bien rare dans cette contrée. Cette race que tous les ragots malveillants avaient colporté jusque dans la montagne.
Nous étions les seuls pieds noirs des environs, plus précisément j’étais le seul puisque né en territoire marocain, et je comptais bien sur cette atypisme pour me faire remarquer, maintenant qu’ils connaissaient mon lourd secret de Pied noir rapatrié. Je devais m’imposer à eux qui n’étaient après tout que des Ariégeois, et moi le chasseur de l’Atlas.
Je me doute que toisé de haut en bas les gamins s’attarderaient sur mes pieds pour vérifier s’ils étaient réellement noirs. La question qui les démange, viendra bien assez rapidement. J’avais minutieusement préparé la réponse, il ne fallait pas caler et répondre :
« C’est parce que au Maroc seuls les européens portent des chaussures et comme elles sont noires, nous sommes les pieds noirs. »
Oui, bof ! On m’avait dit de dire cela, je le disais, mais franchement, je n’étais pas persuadé du tout de cette imaginaire théorie. Moi d’abord au Maroc je n’avais pas de chaussures aux pieds. Et quand il fallait en mettre c’était plutôt des claquettes. Pour mes parents c’était simple, Pataugas tout le temps, Pataugas pour la chasse, Pataugas pour tous les jours, et Pataugas spéciales pour le dimanche.
Un Ariégeois français et un pied noir français c’est pareil ! Normalement ! Point du tout, dans leur tête j’étais l’étranger, l’esclavagiste, le riche, et pas d’ici. De la bas de ce pays, et pas d’ici, pas de Serres sur Arget. Nous n’étions en France que pour usurper les terres et les maisons des vrais français ! C’est ce qu’ils entendaient dans leurs chaumières le soir à la veillée ou devant la télé noir et blanc, comme leurs âmes !
« Et en plus ont leur prête de l’argent à des taux que nous les paysans d’ici on a même pas le droit »
« Ils se sont foutu du pognon plein les poches et en plus le crédit agricole les enrichit en France »
Rengaines inlassables et fatigantes, qui nous accompagnait depuis notre arrivée. Toutes pas forcement ciblé sur mon père. Mais bien entendu, tous les pieds noirs se ressemblaient, comme tous les chinois, tous les arabes et tous les noirs de la planète. Celui là comme les autres.
Il ne fallait surtout pas répondre, ni se justifier. Nous soufrions tous de cela en silence, la chaire meurtrie, il fallait accepter, et s’intégrer par l’exemple, s’intégrer par l’exemple, s’intégrer par l’exemple,.s’intégrer……..

30 octobre 2007

Mes années France (épisode 12 )

Mes bulletins scolaires ternes et sans vie se ressemblaient d’un trimestre sur l’autre. Ils me poursuivaient inexorablement d’année en année, avec toujours les mêmes remarques :
« Élève très intelligent, vif, peut beaucoup mieux faire, mais le veut-il ? »
« Peut mieux faire s’il s’en donne la peine »
« Curieux, s’intéresse à la classe, participe, parfois chahuteur mais pourquoi ne transforme-t-il pas cela en résultat scolaire ? »
Ces aimables remarques provenaient toujours des enseignants qui peinaient à me voir au ralenti dans leur classe. Moisir sur le quai du savoir, sans espoir de voyage, avec disaient-il un potentiel énorme. Que faut-il faire pour l’exploiter ? La punition ? La contrainte ? La motivation ? Rien n’y faisait. Toutes les tentatives venaient fatalement s’échouer à mes pieds, au bord de ma vie dans l’écume de ma rage. J’attendais le déclic culturel, et chaque jour le retard s’accumulait. Pénélope fut patiente elle, pourquoi pas moi ! Je me laissais volontairement mourir à petit feu de la connaissance. Et de l’éducation nationale.
L’école n’avait pas encore su se faire une place dans ma vie. Ce temps viendrait un jour sûrement. Aujourd’hui, je sais quand ce jour a fini par surgir dans ma vie, presque par traîtrise, mais avec un infime bonheur. Ce sera pour plus tard.
Et puis, il y avait aussi les autres, les profs. Ceux qui n’y comprenaient rien disait-on. Ceux qui jugent, décident et tranchent définitivement votre scolarité. Leurs premières impressions étaient toujours la bonne. Vous êtes jugé cancre, vous démarrez cancre, vous resterez cancre, et vous terminez votre scolarité cancre en classes de transition.
« C’est un fainéant, on n’en tirera rien » ! Commentaires intelligents de conseil de classe !
Ils ne vous accordent aucune circonstance atténuante. Jusqu’à ce que votre chemin s’écarte enfin du leur ! Vous aurez alors peut être un jour une deuxième chance, en rencontrant le prof de votre vie.
Moi aussi, si je veux, je peux leur dire une phrase intelligente « le professeur est le courrier de l’essentiel » et paf ! Le monsieur qui a dit ça a un nom allemand, mais je ne le dirai pas !
Les bulletins scolaires de ces professeurs là, me faisaient mal, plus mal que les encouragements des autres enseignants. Ils vous vomissent de la classe. Peu à peu, du premier rang, vous glissez vers le fond, le chauffage, la dernière ligne de démarcation avant les railleries des autres élèves, et échapper à leurs regards meurtriers, et moqueurs.
Le rejet était total, point de réminiscence possible. De professeur en professeur, ma flétrissure me suivait honteusement, et je dégringolais dans les bas fonds de la classe. La honte chevillée au corps vous escorte comme une tare incurable !
Je devais aussi lutter contre cela, ne jamais reculer. Certes je ne visais pas la 1ère place, devant avec les « fayots, » c’est comme cela que nous les moins bons nous nous défendions des autres, en essayant de rallier ainsi une partie de la classe à ma fatale cause. Forme de terrorisme intellectuel, je sais !
Pour ces professeurs là, je n’étais que cancre, fainéant, perturbateur, limite cas social.
Pour l’un d’eux, prof de science en 5ème, son temps viendra aussi, plus tard. Sa paire de claque humiliante, me hante encore.
Comment ne me suis-je pas révolté ? Comment ai-je accepté cet affront ?

23 octobre 2007

Mes années France ( épisode 11 )

En orthographe, je mangeais mon pain noir, la misère la plus totale, une misère à la Cosette.
Mais bon Dieu ! Pourquoi cette langue est-elle si difficile ? Et si compliquée ? Une forme de complexe de supériorité à la française ? Ah ! Cela vient du grec et du latin, c’est bien ce que je dis, ça ne pourrait pas venir de chez nous !
Pourquoi les sons et les écrits ne se ressemblent-ils pas ? Pourquoi ne pas écrire tout simplement phonétiquement comme l’arabe qui n’est qu’une suite de rythme phonétique, ou même l’espagnol, qui d’ailleurs accueillera en son sein bienfaiteur ma première dictée sans faute, avant même le français. Jamais je n’arriverai à écrire sans avoir la hantise de me demander « où se réfugient donc ces maudites fautes » ? Je les traque ! J’espionne les lignes ! Remue le plus profond des souvenirs de ma mémoire ! Rien que pour débusquer ces maudites fautes, et les pièges tendus à mon ignorance !
Il m’arrivait souvent de regarder le mot coupable en imaginant
« Ce mot là, juste devant moi sur cette feuille, noir, sans vie, avec ce mot qui me nargue en plus! Est-il plus joli avec deux consonnes ou avec une seule ? Je m’éloigne, bascule la tête à droite, à gauche et je choisis. Une seule consonne ! C’est plus esthétique !
Voila mon Larousse, la beauté du mot, son équilibre des lettres mais point trop, j’aime le simple.
Et bien sûr pourquoi faire simple ! Je me trompais souvent.
Ma méthode peu conventionnelle, je m’en accuse, n’était pas infaillible, et ne respectait pas les canons de l’académie française. Ces honnêtes vieillards qui ne sont là que pour embrouiller la langue française, et s’assurer ainsi la perpétuité de leur siège et de leur savoir du savoir. Imaginez un étranger, qui entend : « Verre, vert, vers !!!! ». Comment l’écrit il ?
La langue française n’est pas faite pour nous ignares du peuple. Elle est exclusivement réservée à une élite qui n’existe que grâce à elle.
Jamais cette flétrissure et cette peur stressante des fautes d’orthographe ne quitteront mon esprit.

17 octobre 2007

Mes années France (épisode 10)

Il venait d’avoir 59 ans et une nouvelle vie s’ouvrait devant lui. Je dirais plutôt se refermait subitement sur lui. Tous les rêves qu’il avait pu échafauder depuis son Maroc tant aimé, partaient inexorablement en fumée.
Nous avions tous besoin du contenu de ces caisses. Non pas le matériel, ou les objets qu’elles contenaient, mais bien la part de notre vie qu’elles renfermaient. Nous aurions pu de temps à autres, les consulter, les solliciter, les toucher, les aimer, les caresser d’un regard complice. Juste pour se dire que le courage vient avec l’espérance, et que de l’espoir nous en avions bien besoin, vitalement besoin.
La vie qui attendait mon père lui explosa subitement en pleine figure, et sa déflagration se fera sentir jusqu'à son dernier souffle. Ce qui l’attendait en France, serait bien différent de ce qui l’attendait quelques 40 ans plus tôt sur le port de Casablanca. Le Maroc à son horizon, rien que pour lui. Une valise vide, les yeux pleins d’espoirs.
Il nous dira toujours qu’il ne regretta jamais sa décision, toujours apostrophé par les « Tais-toi Maurice, tu ne sais pas ce que tu dis ! » de ma mère, qui ne manquait aucune occasion de tourner dans la plaie ouverte de mon père, son couteau finement aiguisé au fil de sa haine, et des années en France.
Avaient-ils désormais un avenir ensemble ? Etaient-ils seulement souhaitable de partager leur vide, ou devais-je dans l’urgence, grandir très vite ? Pour me fabriquer tout seul ! Avaient-ils le temps et l’amour de s’occuper de ce mouflet de 11 ans ?
Mon père seul était dupe, et voulait bien se convaincre qu’il avait eu raison. Nous ses fils nous ne le jugions plus, comme autrefois. Il avait décidé, point.
Nous respections………..par respect ! Tout simplement !
1er jour de classe communale en ce mois de printemps 1965. Deux grandes classes se partageaient une cour immense. Un tilleul trônait au beau milieu de ses majestueuses branches. Dans quelques mois il embaumera la cour. Je devenais le nouvel élève du « Groupe scolaire Lakanal ». Comme ma maison, j’étais fier ! Déjà !
Monsieur l’instituteur et sa femme étaient les maîtres incontestés de ce domaine de l’apprentissage des lettres, calcul, histoire….. Et aussi gymnastique, et de tous ce que les gosses avaient besoin d’apprendre. C’est pareil qu’au Maroc sauf qu’ici il n’y a pas les marocains. Faudra vite vérifier si Driss et sa baguette sont dans le coin.
« Bonjour les enfants, je vous présente votre nouveau copain, il se nomme Patrick et viens du ………….Aie ! Voila la honte qui me submerge, il va le dire et je serai la risée de ce peuple au regard moqueur, …….. « Du Maroc, comme moi. Je vous demande de bien l’accueillir chez nous ». Lui aussi était de là-bas, je serai à jamais protégé, personne ne manquera de respecter les paroles ce gentil instituteur.
Compte tenu de mon âge, presque 11 ans, j’aurais dû être au minimum en 6ème au collège à Foix. Mais le retard accumulé dés le début, les changements incessants d’école, et aussi j’avoue, de ma bien mauvaise volonté, avaient eu le dessus sur ma scolarité, et sur ma culture générale. Nul en mathématique, pire ! Rien à en tirer. En histoire ? Je n’en sais rien, je ne me souviens même pas si j’avais appris qu’au Maroc mon ancêtre était gaulois. Cela aurait bien fait rire Rachid l’arabe, Samy le juif ou Katchikas le grec, et moi le « Roumi »chrétien, fils de Marrakech. Tous frères et fils de gaulois français ! Croisés avec l’envahisseur Arabe de Poitiers ! Pourquoi pas !

10 octobre 2007

Mes années France (épisode 9 )

Les caisses du déménagement nous attendaient, elles venaient d’arriver et piaffaient d’impatience. Je me précipitais pour les ouvrir, pour libérer enfin le Maroc et ses odeurs.
Mon père calmement sortit un trousseau de clef et commença son œuvre. J’allais sentir un tout petit bout de mon pays, le sable de Midelt, et la terre nourricière qui n’attendait qu’une pluie pour étancher sa soif, et apporter le bonheur des belles récoltes. Je suis sûr que les parfums de rose de la distillerie proche du Paysannat ont accompagné les caisses.
« Tu ouvres, tu te dépêches, oui ! » pesta ma mère moins poétique, pressée juste à l’idée de retrouver son passé.
Notre joie fut de courte durée, très courte même. Il y avait bien des odeurs, mais pas de celles que nous espérions avec tendresse.
Odeur de mer, salée et piquante, à nous racler la gorge. Quel spectacle ! Les caisses avaient été soigneusement trempées quelques temps dans l’eau salée du port. Elles puaient aussi l’odeur nauséabonde du dégoût des dockers envers les « rapatriés ».
Plusieurs pieds noirs furent victimes de ce genre de plaisanteries des manutentionnaires des ports. Français ? Marocains ? Jamais on ne le sût. Et si votre caisse ne sentait pas la mer, c’est qu’à l’intérieur il n’y avait plus rien en état. Parfois même les cadenas furent sectionnés et les caisses visitées.
Quelques rares caisses vierges échappèrent aux profanateurs de notre passé, de nos souvenirs à jamais perdus. La haine tenace des dockers avait définitivement craché son venin sur de pauvres bougres de Français qui avaient commis le crime de vivre au Maroc.
Le monde s’écroulait à nos pieds. Mon père d’habitude si stoïque, se retourna, s’éloigna discrètement. Je suis sûr qu’il pleurait seul à l’écart, là-bas au pied du cyprès que nous venions de rendre à la vie. Ma mère continua de vociférer ! Elle explosait sa haine !
Ils allaient voir les salauds qui avaient fait ça !
Qu’ils se montrent s’ils sont des hommes ! Et elle, la fille du Maroc, leur montrerait comment elle allait solutionner son problème !
Ce fut le coup de grâce. Plus rien ne pouvait désormais lui donner envie de vivre cette vie. Elle vivra désormais cloisonnée entre le passé et un futur absent.
Elle s’enferma d’avantage dans ses souvenirs. Si les vestiges du Maroc emballés dans ces pauvres caisses n’étaient plus là pour témoigner, par la faute de fossoyeurs de rêves, il lui restait la mémoire ! Sa mémoire des temps heureux. Du temps où elle se croyait heureuse pour la vie ! Et ça personne ne pourra lui voler ! Ni même en imaginer une once de son intensité.
Des étrangers avaient mutilé, violé de nos mémoires les quelques malheureux objets que nous avions amoureusement sélectionnés.
« Mort aux français ! ».
Ma mère venait de condamner sans appel les dockers français.
« Les marocains n’auraient jamais osés faire cela eux ».
Elle continua à haïr les français. La liste des homicides de ma mère commençait à s’allonger dangereusement. Dans le même trou, dans la forêt de « Tedders », elle y jeta sans regrets, les douaniers, les dockers et pas mal de français. Il devait bien y avoir des innocents dans le tas. J’aurais dû vous préciser que c’était seulement mon père qui nous éleva avec ses principes de tolérance, ma mère en avait d’autres. La vengeance, et la rancune parmi d’autres, en étaient ses dignes représentants.
D’ailleurs, elle ne nous éduquât jamais, elle vivait à coté de nous. Je découvrais son système si spécial d’éducation depuis très longtemps, et cela au fur et à mesure que les journées et les années s’égrenaient par les paires de gifles journalières devenues son réflexe de vie que je recevais depuis ma tendre enfance. Plus par réflexe que par méchanceté, du moins j’essayais de m’en convaincre.
Mon père lui, comme à son habitude ne laissa rien paraître. Je me doutais qu’il commençait à appréhender les instants de vie sans joies qui l’attendaient.

03 octobre 2007

Mes années france (episode 8)


La surprise de notre nouvelle habitation, celle qui devait faire de nous des français et des Ariégeois dociles et intégrés fut totale. Les reproches de ma mère ne manquèrent pas, et me sonnent encore dans les tempes. Nous séjournerons bien plus longtemps que prévu dans ce gîte humide de La Mouline, avant de transformer ce tas de ronces inhospitalier et sans âme, en une maison habitable qui sentirait bon la France.
La fratrie était réunie. Mon père avait battu rappel de tous ses fils. Claude, qui était rentré du Maroc avant nous pour ses études en terminale, passait sa deuxième partie du bac à Foix. Examen qu’il aura haut la main. Daniel, l’aîné, lui s’était installé du coté de Valence dans la Drôme. Il avait quitté le Maroc en 1957 après les émeutes douloureuses et sanglantes de Oujda. Les trois frères si rarement réunis, avaient pour mission de nettoyer la cour et de lui redonner son lustre d’antan. Nous étions tous heureux d’être enfin réunis et de vivre ces quelques jours si rares ensemble.
Scies, bêches, râteaux, faux, tapes amicales, et jurons, se bousculèrent pendant une semaine complète. Les passants curieux, un tantinet narquois, ne manquaient pas d’aller et retour rituels, pour mesurer avec nous l’avancement des travaux. Je ne me souviens pas que l’un d’entre eux ait tenté une phrase amicale, ne serait-ce que pour nous dire, « il fait chaud aujourd’hui, vous ne pensez pas. ». Connaissant mon père et sa jovialité légendaire, il aurait déballé notre pedigree à cette seule tentative de contact, et de chaleur humaine dont il avait tant besoin. Il se satisferait pour l’instant de vire avec sa famille, les outils à la main pour se fabriquer un futur.Viendra ensuite le temps des amabilités.
Enfin une allumette libératrice craqua, s’enflamma, et envoya dans sa fumée tout le malheureux passé de notre demeure enfin libérée. Après les ronces, il faudra s’atteler à démonter quelques bâtiments, encombrants, forts laids et en piteux états.
Je crus déceler chez elle un signe amical de reconnaissance. Elle respirait à nouveau grâce à ces drôles d’étrangers venus de si loin pour lui rendre sa splendeur et sa position d’antan. Les gens de la rue ne se moqueraient plus d’elle. C’est qu’elle avait gardée toute sa fierté dame ! Elle allait maintenant, j’en suis sûr, dés qu’elle le pourrait nous abriter du mieux que ses vieux os le permettraient, du vent, de la pluie, de la chaleur, de ses murs bien épais, mais aussi du bruit, et surtout des commérages qui ne manqueraient pas.
Car des vieux os, elle en avait. Nous découvrions une pierre sculptée juste au dessus de l’entrée, il y était inscrit 1739 ! Cette dame était née avant la révolution française. Je l’observais avec tendresse et me disais qu’elle avait dû en voir et vécu des événements dans ce petit village. Nous apprenions que notre maison avait toujours été la maison des maîtres du village, avant de terminer son agonie sous les ronces, pour on ne sait plus quelle raison. Elle avait aussi connu Lakanal, le député de la convention né ici tout proche à la Coupière, dont la statue trône à la mairie. Je devais absolument rechercher ce qui avait pu se passer cette année 1739, une bonne encyclopédie m’y aiderait.
D’abord, je cherchais Lakanal.
LAKANAL : Né à Serres sur Arget (c’est faux sa maison est à la Coupière, même si ce n’est pas loin) le 14 juillet 1762, mort en février 1845. Et en plus un 14 juillet. Cela ne s’invente pas au siècle de Louis XVI et de la prise de la Bastille.
Il fut député de l’Ariège et siégea au Montagnard, il vota la mort du roi Louis XVI.
Et bien ! Notre maison, ce n’est pas la maison de tout le monde ! Elle doit en connaître des secrets ! Il y a un trésor caché quelque part ! Parait-il ! Des passants s’arrêtaient enfin pour discuter un peu par curiosité plus que par l’envie. Ils nous disaient :
« Hum ! En cherchant bien vous trouverez bien quelque chose, cette maison a toujours était celle des riches du village ».
Ils appuyaient bien sur le « riche », histoire de nous faire comprendre que la coutume reprenait ses droits, et qu’ils avaient bien compris que nous étions riches et qu’ils n’étaient pas dupes de la façon dont nous nous étions enrichis là-bas aux colonies.

26 septembre 2007

Mes années france (épisode 7)


Souvent mon père regrettera qu’en France, même un contrat en bonne et due forme ne vous mette pas à l’abri d’une escroquerie. Il en souffrit, il en sera même victime.
« Au Maroc, me disait-il, je faisais des contrats avec les fellahs ou les Caïds des Douars voisins tous les jours, jamais un écrit. Il suffisait que le sage du village soit présent, il était respecté et sa parole scellait les contrats. Après une tape réciproque dans la main qu’il fallait ramener sur son front et son coeur, nos allions boire le thé.
Nous espérions l’un et l’autre que les pommiers que nous allions planter allaient apporter non pas la richesse, mais un peu de bonheur, et amélioreraient la vie des gens. J’avais engagé mon nom, ma réputation, et lui son peuple. Il croyait en mes mots en mon enthousiasme pour ce projet fabuleux d’introduire la pomme à Midelt. Puis nous nous séparions sans oublier de nous saluer encore par respect. Le dernier mot de toutes les conversations avec un marocain se termine par « Inch allah » (Si dieu le veut). Jamais je n’ai eu le moindre problème avec eux. Et les pommiers sont encore dans la mémoire collective de Midelt.
« La parole d’un berbère vaut tous les contrats de tous les meilleurs avocats du monde ».
Cette phrase sans qu’il puisse s’en douter allait devenir le fil conducteur de l’éducation que je voulais me donner. Elle parlait d’honneur, de parole, et de berbère. Moi, j’avais promis d’être berbère quand je serai grand. Pour commencer il fallait leur ressembler. Je me répétais « honnête, et parole d’honneur, voilà la trace à suivre ».
Il nous éleva mes frères et moi, selon ce même principe du respect de la parole, du respect des autres. Ce fut là son seul héritage. Après en avoir parfois fortement douté, tant il est difficile dans ce nouveau monde de vivre au milieu d’individus n’ayant aucunement envie de respecter cette même règle. Ma foie en ses paroles vacilla souvent, mais ne rompit jamais. Je sais malgré tout qu’il avait raison.
A mon tour, modestement, j’ai tenté de faire partager cet héritage atavique à mes enfants, qui je le crois, eux ne doutent pas. Ils en ont fait leur mode de vie. J’en suis fier pour leur pépé Maurice. Son héritage survira une génération de plus.
Et tant pis si de temps à autre, nous aussi, ses fils et petits fils, avons subi des désagréments de cette éducation parfois trop idéaliste, si respectueuse d’autrui et des règles de vie en communauté. Nous sommes tous dignes de lui ressembler. En cela, nous sommes des fils de « Berbères », et pas peu fiers.

18 septembre 2007

Mes années France (épisode 6)


A présent, je m’en voulais déjà d’avoir manifestement et aussi rapidement admis que le Maroc allait devenir pour moi une chimère inatteignable. Un passé encore très présent certes, mais il ne fallait plus rêver de pouvoir y retourner. Si ce n’était en vacances. Vœu perpétuel et mensonge conscient. Juste le temps adoucir la rupture et tuer l’angoisse du départ.
Alors, là ou ailleurs il faudra bien s’adapter, se « caméléoniser » au pays, à ces gens, à tout, et à l’école que je devais découvrir au plus vite.
Après renseignement, elle était tout proche, j’irai à pied le matin, pas demain, mais après-demain, l’instituteur m’attendait. J’étais inscrit à l’école communale du village.
Je n’arrivais à croire que l’école fut toute proche ! Cette situation pittoresque me paraissait inimaginable et impossible à admettre. Cela n’allait pas durer, c’était trop beau ! Cela va changer bientôt. Juste le temps de se fixer un peu, et hop ! Je serai à nouveau pensionnaire quelque part par là. Un peu loin ! Pas trop prés non plus. Juste assez loin pour ne pas trop les déranger !
Voila sans aucun doute possible ce que l’avenir me promettait de mieux dans son grand livre ou tout était écris. Cela avait toujours été comme cela avant, et je ne vois pas ce qui pourrait changer maintenant !
En attendant, certain du sort qui m’attendait, je vais profiter de cette école, et au bref répit de ma transhumance sans doute déjà programmée, pour bien travailler et rattraper mon retard.
Le lendemain de notre arrivée, mon père tenta de piquer notre curiosité à l’idée d’aller voir notre future maison, mais toute sa passion fut vaine. Ni moi, ni ma mère ne semblaient répondre à son excitation bien trop feinte. Sans enthousiasme, nos pas nous ont menés à Serres, ce n’était pas loin.
« Elle est où la maison ? ».
Le nez à travers des barreaux d’un portail délabré, je venais de questionner mon père.
« Là devant ! Voyons c’est assez visible. »
« Moi je ne vois que des ronces et des arbres partout ! » répliqua ma mère, un tantinet exaspérée.
« La maison est sous les ronces, un petit coup de nettoyage et elle sera habitable !
« ……………………….. » !
Il n’eut pas le temps de placer un autre mot, pas même une syllabe, que sitôt ma mère le fusilla sur place !
« Et tu nous as fait quitter le Maroc pour ça ! »
« Tu ne changeras jamais ! Après la baraque en planche de Timexaouine, on repart encore une fois à zéro! J’en ai marre ! »
Je ne compris pas tous les mots qui suivirent, certains appellent cela un chapelet d’amabilités. Sitôt sa poésie terminée elle s’engouffra dans la voiture, suivi de son fiston qui lui aussi comme un grand voulait étaler toute sa désapprobation, les bras croisés et la mine grise !
La maison se camouflait habillement sous les ronces aux yeux et aux sarcasmes des passants depuis plus de dix ans. Emprisonnée presque jusqu’au toit, d’où timidement se dévoilait une cheminée. Elle lançait désespérément depuis ce temps un SOS aux passants moqueurs.
Sa détresse était telle que nous n’avons pas pu y entrer pour débroussailler la cour par l’entrée. Dés le lendemain, c’est depuis chez le voisin que nous avons entamé le travail de reconquête de cette maison oubliée de tous.
Une maison d’un étage, une maison abandonnée que plus personne ne voulait au village. Mais pour un pied noir aux abois elle fera bien l’affaire. Et puis il n’y avait pas le choix alors ! Il prendra ce qu’il trouvera !
Bien plus tard, nous apprendrions que le prix exorbitant qu’avait du débourser mon père pour l’acheter, avait été calculé spécialement pour un pied noir «sans doute plein aux as ».
Ils l’ont regrettés, m’ont-ils dit un jour, mais bien plus tard, au moins dix ans plus tard ! Le temps de passer du sobriquet méfiant de Pied Noir, parfois même d’arabe, à celui de Maurice, Patrick, ou Marie Louise !
« Quand tu n’as pas le choix, le commerce se fait sur ton dos. » constata mon père. Mais moi je sais que lui n’aurait jamais accepté de profiter d’une telle situation pour s’enrichir et profiter du malheur des autres. Il était bien trop épris de justice et d’humanisme pour imaginer un seul instant cela. Mais voila, nous étions en France et il fallait bien s’adapter. S’adapter, s’adapter, notre maître mot à tous ….sauf à ma mère. C’est la France qui s’adapterait à elle ou sinon tant pis. Comme ni l’une ni l’autre ne firent le premier pas, elles vivront toutes les deux jusqu’à la fin, dans une totale ignorance l’une de l’autre.

13 septembre 2007

Mes années France (episode 5 )


Je compris bien plus tard, lorsque j’assistais au déballage des menus trésors enfouis, que le risque avait été minutieusement arbitré entre différentes cachettes que je ne soupçonnais pas.
Notre séjour français débutait par de la contre bande. Il parait qu’il était interdit et je n’ai jamais su pourquoi, de passer de grosses sommes d’argent entre les deux pays.
« Il faut bien aussi rapatrier ses sous, surtout qu’on en a pas beaucoup nous ! » grogna mon père, puis il ajouta :
« Ce soir nous dormons dans un gîte rural à « La mouline » c’est tout près, et demain je vous montrerai la maison que j’ai acheté à Serres sur Arget ».
Tous les enfants du monde sont pressés et excités juste à l’idée de voir leur nouvelle maison, et sans doute aussi de mieux connaître leur nouveau pays. Moi je ne me souviens pas avoir été spécialement enthousiaste à cette funeste perspective. En fait, je m’en moquais éperdument. Je pensais surtout à cet instant à Toto que nous avions abandonné. Etait-il heureux ? M’en veut-il encore ! Que devenait-il ?
Aussi stupide que cela puisse paraître un larme fugitive et timide n’osait coulait sur ma joue. C’était entre elle et moi, notre secret. Nous n’allions pas montrer aux autres notre faiblesse. Elle et moi étions affligés d’avoir pour une seconde pensé à Toto, à sa mort !
Les cigognes de l’église de Midelt me manquaient. Elles m’accueillaient toujours de leur claquement de bec bruyant et rieur. Des bravos enthousiastes pour les enfants de cœurs que nous étions tous, plus ou moins. Je me souviens aussi du concert qu’elles m’offrirent pour ma communion privée. Elles étaient bien belles dans leur tenue de gala noir et blanc. Mr Porcela m’avait offert une montre de marque Orly, et mes parents une médaille religieuse de rigueur dans de telle circonstance, bien qu’ils n’étaient ni croyants ni pratiquants.

04 septembre 2007

Mes années France (épisode 4)


« C’est bon, vous pouvez passer, bienvenue en France ! »
Ils ne sont pas tous méchants, ces monsieurs.
D’un coup d’épaule rageur elle l’écarta, tous coupables ! Vous êtes tous coupables ! Pas de survivant, tuez les tous ! Dieux reconnaîtra les siens. Je parierai mon retour en France contre un village berbère perdu, qu’elle ruminait cela en ce moment précis!
Pas de circonstances atténuantes, maintenant elle haïssait la France. Ne dit-on pas que la première impression est la bonne, les douaniers en avait été les zélés ambassadeurs.
Je sentais, bien qu’étant à l’arrière de la voiture, emmailloté dans des bagages qui me prenaient toute la place, que devant, ils respiraient mieux, bien mieux .Des éclats de rires agités et nerveux, ponctués d’un geste affectif réciproque et si rare depuis notre départ, me confirma qu’ils ressuscitaient.
Ma mère rangea momentanément sa haine, pour mieux la catapulter plus tard. Elle redevint la femme froide et taciturne que la France allait découvrir. Ma nouvelle maman, celle qui m’aimera encore moins qu’avant.
« Premier café, on s’arrête » fut sans doute la première phrase de mon père en France, si j’exclue le ouf ! de soulagement qu’il cracha en passant la frontière sans dommage.
Ils venaient d’échapper « aux gentils » douaniers français. Maintenant le risque est écarté. Le silence conjugal de rigueur depuis notre départ pouvait reprendre toute sa place, temporairement rompu par la peur qui venait juste pour un court instant de les rapprocher. Comme à l’époque, il n’y a pas si longtemps, l’amour, l’aventure et la peur avaient fait d’eux le couple le plus fusionnel qu’il se pouvait d’exister.
Je compris bien plus tard, lorsque j’assistais au déballage des menus trésors enfouis, que le risque avait été minutieusement arbitré entre différentes cachettes que je ne soupçonnais pas.
Notre séjour français débutait par de la contre bande. Il parait qu’il était interdit de passer de grosses sommes d’argent entre les deux pays.
« Il faut bien aussi rapatrier ses sous, surtout qu’on en a pas beaucoup nous ! » grogna mon père.
« Ce soir nous dormons dans un gîte rural à « La mouline » et demain je vous montrerai la maison que j’ai acheté à Serres sur Arget ».

26 août 2007

Mes années France ( épisode 3 )


Sans un mot, l’un des douaniers nous fit un geste de la main. Le claquement des doigts militaire nous ordonnant de nous approcher. Je me souviens de cet instant, mortifié, j’étais sûr qu’ils avaient découvert notre trésor et que ce soir c’est en prison que nous dormirions. À moins que papa négocie, mais ce n’est pas du tout son genre, ce sera donc la prison !
« Il n’y a rien ! Vous pouvez ranger, dit-il sèchement, d’une mimique nerveuse et condescendante. »
« Je vous l’avais dis, il fallait me croire » lui répondit aussitôt mon génial de père. Voilà comme je l’aime. Jamais battu, cabochard, jamais soumis, comme le chasseur de sangliers et de panthères qu’il était. Il attendait, guettait ces douaniers, sa future proie. S’ils ne trouvent rien, il devenait pour quelques temps, l’animal dominant. Plutôt que de remercier platement ces douaniers de leur amical accueil, il en profite pour les narguer juste ce qu’il faut pour se faire plaisir, et retrouver son honneur bafoué. Je sais que de sa vie il n’a jamais baissé la tête, j’en témoignerai plus tard. Il le paiera cher parfois, mais je suis certain que cela lui était égal. Il se sentait l’égal de tous, y compris plus tard, du premier ministre de la république française, qu’il ne se gêna pas d’interpeller, lors d’une réception au village.
Pendant ce temps je ne remarquais pas ma mère accroupie qui rangeait consciencieusement les vêtements souillés de la honte. Elle nous tournait le dos, pliait, repliait, secouait, son passé simple pour les ranger dans les valises du futur. Une à une elle referma les valises de son bonheur passé. Papa les prenait et tentait de les ranger dans la voiture, sans doute elle aussi apaisée de cette fouille intime. le passage à tabac en règle de notre amour propre prenait fin.
Ma mère se releva, jeta un coup d’œil justicier sur ses violeurs de félicité. Des larmes coulaient lentement sur son visage. Jamais elle n’avait pleuré. Auparavant, elle était plutôt la joie de vivre et l’insouciance de ce pays. Je compris vite qu’elle ne pleurait pas de chagrin mais de haine. Elle cherchait de son regard revolver chacun des douaniers, et un par un elle les abattit d’une balle net dans le front. Moi, dans ces yeux humides de haine, je lisais que s’ils avaient été dans la forêt de « Tedders », ils n’auraient pas tenté seulement de lui prendre sa valise et encore moins de l’ouvrir. Rare furent les fois où son fidèle fusil, si réputé, ne l’accompagnait pas, charnellement blottit sur son dos, prêt à la défendre
Je ne sais si les uniformes bleus de ce jour furent impressionnés, mais l’un deux s’approcha, et tenta un geste de réconciliation militaire.
« C’est bon, vous pouvez passer, bienvenue en France ! »

19 août 2007

Mes années France( épisode 2)


Ce tableau émouvant d’une famille en rupture de bonheur, de ces chiens trop gros pour le ventre maigre de ce coffre, le ton convainquant et sincère de mon père, semblaient avoir ébranler momentanément le douanier. Sans doute pensait-il aussi qu’il venait de tomber sur un pauvre bougre de pied noir, pas bien futé. Il rentrait seulement maintenant celui-là, pas malin ça ! Tous les autres, surtout les plus fortunés, avaient senti le vent tourner depuis longtemps et s’étaient mis à l’abri à la métropole. Ceux là, sont passés ici il y a bien deux ou trois ans pour les derniers. Et puis celui-ci c’est un du Maroc, pas d’Algérie.
Peu à peu, la voiture dévoilait sa pudique nudité, surtout elle, la « Taunus » c’était son premier voyage, pucelle de France. Ces mains étrangères sur son corps la faisaient sursauter de dégoût. Il y a toujours une première fois.
Eloigné du véhicule je demandais, effrayé :
« Pourquoi ils continuent à vider notre voiture papa ? »
« Ils n’aiment pas les rapatriés fiston ! »
« Comme la dernière fois, les pieds noirs, papa !»
« C’est ça fiston, nous sommes maintenant des pieds noirs rapatriés et ils ne nous aiment pas plus.»
Voila deux mots qui n’entreront jamais dans ma collection. Il semble qu’ils soient toujours accompagnés de la haine des autres, du regard qui te fait baisser les yeux, de la honte d’être, d’exister.
Cumuler pour une seule et même famille les patronymes de pieds noirs et rapatriés, te projetait directement vers la quarantaine de la république.Tous libres et égaux.
Plus jamais je ne serai pieds noirs ou rapatrié, j’avais trop honte de le dire. Cette idée me hantait déjà. Expulser de mon jeune corps et de ma fragile tête, je devais renier mes origines pour exister, vivre sous la crainte que ce lourd secret allait être découvert, un jour en France.
Chez lez berbères c’était mieux. Là-bas chez moi, ils ne me demandaient pas si j’étais français, arabe, yougoslave, grec, juif, nous étions tous des Marocains, tous des fils de Midelt la belle. Midelt toujours les bras ouverts comme ses habitants qui ne connaissent le mot « inviter » qu’au présent.
Les yeux du douanier pour la première fois semblaient nous demander de l’excuser, sans pour autant avoir du remord. Avait-il compris que tous les pieds noirs ne sont pas des « colons ».
Ils n’avaient pas tous des centaines d’ouvriers qu’ils payaient avec un lance pierre.
Certains oui, ne méritent même pas le titre d’homme, pas plus que les grands patrons français de cette époque, les mines, les filatures pour seuls exemples, n’étaient pas non plus des modèles de social avancé. La plupart des pieds noirs étaient partis un jour de France, sans doute avec une valise et un billet de train, ou de bateau, espérant que cette deuxième France y serait plus douce pour eux.
Sur place au Maroc ils travaillèrent, fonctionnaires, petits commerçants, ouvriers, maçons, agriculteurs, j’ai dis agriculteur pas colons. Pour la plupart, la fortune ne les attendait pas et elle ne fût pas au rendez vous.
Mais tous vous diront qu’ils ont vécu comme des rois, non pas des richesses qu’ils avaient accumulées mais du royaume du Maroc qui les a accueillis.
Un pays si magnifique qu’il devrait être classé avec ses habitants comme lieu mondial de l’UNESCO de la beauté et de la tolérance.

05 août 2007

Mes années France (épisode 1)


Je ne souviens plus de notre traversée de l’Espagne, une anesthésie sympathique et bienvenue du destin. Je me réveille de ce long sommeil juste au moment où :
« Papiers, sil vous plait. »
Après quelques regards croisés d’incompréhensions et de suspicions réciproques entre mon père et le monsieur en habit de méchant, le douanier demanda :
« Rapatriés ? »
« Oui »
« Garez vous s’il vous plait »
Encore une fois et comme toujours, ce mot rapatrié semblait déclencher chez ces hommes, une frénésie funeste et l’espoir d’une pêche fabuleuse. Ils en tenaient un ! Ils allaient lui faire voir qu’ici c’est la patrie de la liberté et de la fraternité!
« Quelque chose à déclarer ? »
« Oui, toute ma vie dans la voiture »
« C’est ça, faite le guignol ! »
La fouille méthodique commence. Pourvu que ma mère dans l’état d’esprit qui l’anime en ce moment n’exacerbe pas encore plus le méticuleux et zélé douanier.
Presque surpris, je vis bien qu’elle s’en moquait, si ce n’était sans doute la crainte légitime se faire prendre.
Je sais moi ce qu’il cherche, le monsieur. J’avais bien vu furtivement mon papa et ma maman cacher de l’argent.
Je vais vous dire où il est. Il y en a dans le cric et dans le tube de dentifrice.
Je suis sûr que mes parents ne se sont jamais doutés que j’avais compris et deviné la raison de leurs chuchotements nocturnes et suspects.
Méthodiquement ma mère avait vidé le tube dentifrice, et par une invisible coupure sur le coté avait réussi à glisser un rouleau de quelques billets, le dentifrice ainsi entamé et enroulé, devenait un asile parfait.
Le second magot, si l’on peut dire cela, des maigres économies de mes parents, c’est papa qui s’en charge. L’argent blottit, recroquevillé sur lui, allait voyager dans un minuscule tube en fer. Le cric cylindrique de la voiture, allait l’avaler, pour le cracher en France.
« Pas d’argent, vous êtes sûr ?
« Tous les pieds noirs planquent de l’argent, où est-il qu’on en finisse ? » Réplique notre douanier, l’air encore plus insensible que jamais, et dépité de n’avoir rien trouvé.
« Pas d’argent parce que je n’en ai jamais eu, alors vous pouvez fouiller ».
Les douaniers reprirent leur travail avec un zèle extrême, teinté de prime s’ils trouvaient quelque chose.
La honte des réfugiés vous connaissez ?
Il suffisait de croiser le regard moqueur des automobilistes qui passent lentement devant vous, lorgnant avec le sourire narquois du bon français embrigadé par la propagande des colons buveurs de sang ! L’étalage de votre vie sur le sol, votre intimité violée.
Vous ne connaissez pas vous ! Et bien je vous jure que le gamin s’en souvient lui !
Vous n’avez qu’une chose à faire, sinon que de courber l’échine bien bas comme les chiens dominés ! Sinon votre sort en est jeté. De la fouille zélée des bagages, l’exaltation des douaniers vous transporte allégrement en quelques minutes dans un autre monde, celui des malfrats.
La voiture est décortiquée, les chiens et les armes automatiques vous souhaitent la bienvenue dans le pays de la liberté.
Tous les rapatriés du monde le savent, à la douane tu baisses la tête, tu enroules ton orgueil entre tes doigts vengeurs, et tu fais taire ton amour propre !
« Ils ont de la chance de ne pas se trouver dans la forêt de Timexaouine ceux-là ! », marmonnait ma mère, en regardant de ses yeux absents le déballage sans pudeur de son intimité si bien rangé il y a encore quelques minutes.
Une menace que tout gendarme, douanier ou garde-chasse de cette région aurait pris avec sérieux, tant la réputation de redoutable tigresse de ma mère était connue.
Elle commençait graduellement et irréversiblement à haïr la France.Look et Rika attendaient aussi. Ils comprenaient, j’en suis sûr que leur destin allait connaître un nouveau chemin, mais ils avaient confiance en nous. Nous serons toujours ensemble et seul cela compte

25 juillet 2007

Retournerai-je à Midelt (episode 22)


Un matin aussi angoissant que les autres, comme les hirondelles, il a reçu le signal du départ que lui seul a su décrypter.
« Nous partirons à la fin de la semaine, lundi au plus tard ».
Alors ce sera lundi pensais-je si fort, qu’il ajouta :
« Lundi, si vous voulez ».
Ce triste répit ne nous fit pas plus plaisir que cela, sans doute quelques jours de souffrance en plus à attendre l’exode forcé.
Mais ne valait-il pas mieux souffrir chez nous à Midelt que là-bas dans ce village ? Comment se nomme t’il déjà ?
J’aurais tant aimé une heure, une minute, une seconde, retourner au paysannat et Lalla Mimouna pour leur dire au revoir une dernière fois et leur promettre que je reviendrai. Je ne sais quand mais je reviendrai embrasser cette terre ingrate si peu fertile mais si attachante. J’aurais encore une fois souffert la déchirante séparation, mais l’attente à la fois si loin de mes seules vraies racines et si près m’était insupportable.
Je lui en voulais, lui mon héros, de ne pas me l’avoir proposé.
Nous étions les rares derniers français à quitter Midelt, du moins je le crois, personne ne vint nous dire au revoir en dehors de Mr Bunsik et de Porcela le pharmacien.
La douleur du départ ne suffit pas, je vécu un autre affreux dilemme
« Toto, Rika et Look, c’est trop ». Patrick, il faut choisir, deux chiens et pas trois dans le coffre »
« Rika vient c’est la seule bergère allemande, choisis entre Toto et Look celui que tu préfères ».
Mais celui que je préfère moi c’est les deux ! Pourquoi à moi la douleur déchirante du choix. C’est comme les fois où il me demandait « tu préfères ta mère ou ton père ». Je savais moi que je préférai mon père et que j’avais une peur bleue de ma mère. Lâchement, jamais ne n’ai choisi. Au moins, étaient-ils fiers que ma réponse fût toujours :
« Les deux, Papa ».
Je savais pertinemment que je mentais, mais ma méfiance de chasseur me soufflait ce mensonge à l’oreille. Je mettais à mal l’éducation chargée de respect que mon père m’inculquait tous les jours, et notamment, « le mensonge ce n’est pas beau ».
Et bien oui, le mensonge c’est beau. La preuve mon mensonge vous fait plaisir !
Je devins glacial. Mon corps se pétrifiait juste à l’idée de devoir choisir, et d’envoyer dans le passé le chien que j’allais abandonner.
Je tentais sans espoir et sans conviction de ne pas choisir, mais raisonnablement, intimement, je convenais que trois chiens ne contenaient pas dans la malle.
Mr Bunsik, s’approcha de moi.
« Je choisis pour toi, Toto est trop vieux, le voyage sera trop long pour lui, laisse le vivre et mourir tranquillement ici, dans son pays.
Cette pensée de savoir Toto mourir chez lui et de ne pas connaître l’exode, aussi paradoxal que cela puisse paraître m’affranchit pour quelques temps de la douleur.
« Tu sais que je l’aime, je m’en occuperai très bien, tu as ma promesse » me répéta t’il d’une voie rassurante et apaisante pour me convaincre définitivement.
Je me suis empressé de le croire. Son discours m’arrangeait et me libérait lâchement du choix, qu’inconsciemment j’avais déjà fait.
« Monsieur Bunsik dit que Toto est trop vieux, j’ai pas le choix on emmène Look ».
J’ai encore son dernier regard en mémoire, le regard d’un épagneul fidèle à mourir, vous connaissez ?
Le regard d’un épagneul qui n’a jamais compté sa peine pour nous ramener devant nos fusils perdreaux et lièvres.
Le regard absent d’un ami fidèle qui sait que vous allez lâchement l’abandonner et qui en plus fait semblant de ne pas comprendre votre méfait.
Ainsi j’abandonnais Toto, devant la porte d’entrée, trop vieux pour se déplacer. Je suis sûr qu’il avait compris, j’aurais tant aimé qu’il me dise qu’il me pardonnait et que je n’avais pas le choix, que c’était mieux pour lui »
Au moins un kilo de sucre devant son nez gourmand tentait de racheter ma trahison. Une dernière caresse pour me rassurer. Juda !
Les deux autres chiens, sans un mot m’épiaient, déjà couchés dans le coffre, évitaient la scène et mon regard, le cœur en transe, en espérant que je ne change pas d’avis.
Une cale pour l’air,
Un tendeur pour fermer le coffre.
Un tour de clef.
La voiture endormie par les premières chaleurs, sursaute et démarre.
Deux bras par la fenêtre timides s’agitent machinalement, les ultimes au revoir au présent, sans futur proche.
Je me retourne Toto s’et levé et court derrière la voiture.
Je m’enfonce dans mon siège et pleure. J’avais abandonné Toto comme il y a quelques années, j’avais moi-même été abandonné à Meknes, perdu dans la nuit, et dans mes draps. Pensionnaire de ce lycée trop grand pour moi.
Adieu jardin des dieux.
J’ai peur de demain.
J’allais découvrir un nouveau mot pour ma collection, que je jetais au fond de ma poche comme une poignée de cacahuète (sic Majid Blal) le mot, « rapatriés », et en apprendre la douloureuse signification.

15 juillet 2007

Retournerai-je a Midelt (épisode 21)




Sur une carte de France, je cherchais Serres sur Arget, ce doit être très petit. Je ne trouve pas. Si ça n’existe pas, on ne pourra pas y aller ! Diable que les gosses sont innocents !
Je me rends compte aujourd’hui que pendant mes années Maroc, je ne me suis jamais préoccupé à quoi pouvait bien ressembler la France, pas même où elle se situait.
J’exagère un peu, je savais qu’on traversait la mer. J’aimais prendre le bateau à Tanger. Puis il fallait traverser l’Espagne, au choix, parfois par la côte, et parfois au plus court par le centre. Mon père aimait énormément ce pays.
« Le soleil n’y chauffe pas comme ailleurs, les filles sont belles, et le vin excellent ». En quelques mots il résumait parfaitement l’attachement festif qu’il portait aussi à ce pays. Mais il aimait par-dessus tout, s’arrêter chez l’habitant et manger des tapas, au bar, un verre de « Rioja » ou de « Valdepenas» à la main, et discuter avec les espagnols, loin des hôtels à touristes.
« Tapas y vino tinto, ariba Espana » lançait-il toujours pour démarrer et clôturer la soirée, avant d’offrir toujours la dernière tournée ».
D’années en années, il s’arrêtait toujours au même endroit « el rincon de Pépé » à Valence. Il y était attendu, j’en suis sûr ! J’ai dû, sûrement moi aussi, hériter de ces tendances hispaniques.
Ensuite nous arrivions en France, juste après que les monsieurs en habit bleu de méchant aient frénétiquement terminés de dépouiller la voiture. C’était un rituel bien huilé, avec un malin plaisir et chaque fois qu’ils voyaient une voiture immatriculée au Maroc.
Nous le savions tous, c’était le rituel auquel il fallait se soumettre. Nous passions ensuite des heures à re-ranger les vêtements et objets habilement étalés sur la chaussée un peu à l’écart du poste.
« Pourquoi papa à chaque fois qu’on passe devant les monsieurs en bleu, ils nous vident la voiture ? »
« Ils n’aiment pas les Pieds noir mon enfant »
Cela suffisait comme explication, les pieds noirs ! « Ces esclavagistes buveurs du sang qui nourrissait leurs ouvriers avec un bol de riz ». (Sic)
Mais l’Espagne est bien loin ce jour d’avril 1964. Je vivais dans l’angoisse journalière d’entendre le signal. J’imaginais comme au temps des cow-boys mon père sur son fier destrier siffler et d’un geste de la main, nous indiquer à tous que la caravane s’élançait vers l’aventure. Malheureusement, là nous rentrions, humblement, tout simplement sans faire de bruit.

08 juillet 2007

Retournerai-je a Midelt (épisode 20)


Monsieur Bunsik habitait en bordure de Midelt. Pour moi c’était la ville, pas de moineaux, plus de hyènes, plus de Mimouna à escalader…je m’ennuyais. Les poings inutiles enfoncés dans les poches, je footballais les cailloux de la cour. Moi qui ne savais que chasser, galoper, défier Orus le taureau de race de la ferme, manger des sauterelles grillées sur le « camoun » lors des invasions, chaparder avec la complicité des enfants la viande boucanée pendue sur une corde qui nous alléchait et nous narguait.
Je regrettais même de ne pas aller à l’école, je ne me serais pas ennuyé au moins. J’aurais à nouveau fait la connaissance avec la tendre baguette magique de Driss, celle qui te stimule les fesses et le cerveau. J’en arrivais à souhaiter re-goutter l’amertume de ses caresses sur mes frêles guiboles. Pourtant elle n’était pas bien loin, personne s’en était préoccupé, un oubli, je n’en sais rien. Trop de choses à penser.
Comme j’ai oublié le temps à retarder le signal de l’exode. Attendre l’angoisse du signal effrayant que donnerait mon père. Celui de l’appel du deuxième départ.
Les chariots de feu à l’envers, Go Ouest ! Vers le nord, la caravane des pionniers qui retournent chez eux la tête basse, honteuse d’avoir échoué dans le nouveau monde
Mon père avait déjà accompli plusieurs voyages en France avec notre fidèle Peugeot, pour préparer notre arrivée. Bien entendu, rien n’était prévu là-bas en métropole, et cela ressemblait bien à de la précipitation non préméditée, à un coup de tête.
Il nous dévoilait ses plans au compte goutte sur la maison qu’il venait d’acheter dans l’Ariège grâce à Monsieur Marquis un ami pâtissier.
« Tu connaissais » me disait-il, « la maison louée à Lux, tu t’en souviens on avait passé des bonnes vacances non ! Et bien c’est à coté ».
Je savais qu’il cherchait par ces tristes mots à acheter mon acquiescement à ce voyage, il cherchait des alliés, je n’en étais plus un. Il tenta alors de me dire que je ne serai pas dépaysé puisque je connaissais un peu la chute de notre histoire Marocaine.
Oui bof, je n’étais pas plus rassuré pour autant, mes souvenirs de France n’étaient vraiment pas des plus immortels. Pas de quoi motiver et convaincre un chasseur à la transhumance forcée. Un berbère, son cheval, son sloughi et sa « crîma » à changer de pâturage, se perdre vers l’oubli.

01 juillet 2007

Retournerai-je à Midelt ? (episode 19)


Ce triste moment s’est déroulé vers Mars 1964. Aujourd’hui encore j’entends les pleurs des fantômes. Sur ce blog, le Docteur Mouhib est venu ressusciter les pleurs et les lamentations de souvenirs douloureux que je croyais à jamais enfouis. Il a rencontré des Mideltis qui étaient présents au départ de mon père, et lui ont raconté la scène que je viens de conter. Pas un mot n’a manqué, ni même les émotions.
Un camion, quelques jours avant, était venu chercher nos grosses malles en bois. Toute notre vie avec ses souvenirs bien rangés au carré dans des caisses fermées à double tour. Pour être sûr de ne rien perdre, ni rien oublier de son passé. Pour les empêcher de s’enfuir ou de tenter de rester à Midelt.
Le poids est limité, il faut trier. Quels souvenirs faut-il emporter ? Les meilleurs sans doutes, mais lesquels, il y en a tant !
Les journées de chasses avec Almy et nos deux chiens, ou la pêche à la Zaouïa de Sidi Amza, pas beaucoup de truite mais que des grosses.
Imsouane et ses barques bleues ou les sardines de Safi ?
L’outarde de ksar Souk empaillée dans le salon ou le mouflon de Tedders ?
Les couvertures de Chichaoua ou la table de Mogador ?
Les épices de Marrakech ou la théière de Midelt ?
La Mimouna ou le Moussen d’Imilchil ?
Les hyènes mystérieuses ou les gerboises intrépides qui nous narguaient du bord de la route ?
Mais comment emmener mes amis avec moi, les rires de Fatima, la peur de Slimane et les grimaces de Mohamed.
Au loin, La Mimouna, ma mère, ma montagne éternelle pour des siècles, ne me reverra plus l’escalader en marmonnant en arrivant à son sommet qu’elle avait bien voulu par indulgence me laisser escalader. « Je suis Patrick le chasseur de l’atlas ». Des larmes rouges et ocres ruissellent sur ses flancs. Elle aussi gémit, j’en suis sûr, je l’entends ! Je le sens.
Il ne faut choisir que les bons souvenirs, ceux qui un jour vous aideront par leur seule pensée, à vous échapper de votre vie sans vie, de votre cauchemar. Un léger rictus aux lèvres et un hochement de tête sauront sûrement pour quelques courts instant raviver la flamme de ce passé si pressant.
Sans doute aussi, emporter et essuyer vos larmes, celles qui depuis trois jours deviennent votre quotidien. Même la bonne n’a pas le droit de disposer des caisses du désespoir, du demain qui fait peur, de la France qui ne nous attend pas.
De super directeur à éleveur de moutons, voila le futur de mon père. A-t-il au moins une vague idée de ce qui l’attend ?
« Papa il n’est pas trop tard pour rester »
Pourquoi n’ai-je jamais crié cette phrase. Pourquoi restait-elle enfouie dans mes entrailles sans jamais s’exiler.
.

24 juin 2007

Retournerai-je à Midelt (épisode 18)


Mais pour l’instant il faut faire face. Mon père veut partir, nous voulons rester. Tout est vague et flou dans mon esprit, entre le moment de sa décision et notre départ.
Un mois, pas plus. Et puis je n’en sais rien ! Ma mémoire refuse obstinément de me le dire !
Nous avons dans un premier temps quitté le Paysannat, comme pour s'accoutumer larme par larme à ne plus le voir, ni sentir ses odeurs protectrices. Je n’allais même pas à l’école, un oubli que personne ne revendiqua jamais, tant il était absurde. Nous habitions à Midelt chez Monsieur Bunsik l’ami vétérinaire de mon père.
Par contre, je me souviens du dernier périple entre le Paysannat et Midelt, les 5 ou 10 Km les plus longs et les plus dramatiques de ma jeune existence. Chargée de nos derniers souvenirs, la Ford Taunus était prête, pour sa 1ère étape, courte certes, mais déjà déchirante.
Même notre Peugeot avait quelques jours auparavant décidée de ne pas nous accompagner. Elle décéda de je ne sais quelle maladie mécanique. Certains disent qu’elle s’était volontairement mise en panne pour ne pas quitter Midelt, et aussi parce qu’elle était dans la confidence de ce qui nous attendait en France. Je crois qu’elle refusait tout simplement de quitter son pays même si elle était née à Sochaux en France il y a quelques 15 années. Elle repose sans doute en pièce détachée dans les mémoires des dernières Peugeot de Midelt. Mais déjà un pied noir sans sa Peugeot n’est plus un Pied noir.
Tous les salariés de la ferme s’étaient réunis devant la voiture. Lamentations et prières, rien n’y fit, mon père resta froid.
Ah ! L’orgueil quand tu nous tiens de quoi es-tu capable de nous faire faire ? Quel mal y aurait-il eu à reconnaître maintenant son erreur ? Je crois même qu’on tuerait le mouton pour le Méchoui des retrouvailles.
« Reste monsieur reste, après toi c’est plus pareil »
Des larmes et des gestes d’amitié s’agitaient autour de nous, des gens qui s’aiment et qui vont se quitter. Tout le monde se doutait instinctivement qu’on ne se reverrait plus.
Face à la voiture étonnée par ce vacarme, des essaims bruyants d’ouvriers tentaient de ralentir amoureusement notre départ .
« Reste M’sieur Maurice ! Dis lui toi Patrick, dis lui toi madame qu’il reste ! Il n’est pas content de nous pour qu’il parte ! Son pays c’est ici »
Je m’engouffrais dans la voiture, emmitouflé de mes larmes, me bouchais les oreilles pour ne plus entendre les cris de détresse de ces pauvres gens qui sans doute, pensaient eux aussi que nous les abandonnions.
Je vis ma mère en faire autant la tête plongée dans les mains. Elle ne jeta plus un seul regard à la horde en pleurs, en souffrance de guide.
Même pas un adieu tant ce fut douloureux. Chacun chez soit. Nous dans les chariots du désespoir et eux plantés par leur douleur et la crainte du lendemain sans Maurice.
Au bout de l’allée, la route de Midelt à ksar el souk, tourner à gauche. Adieu paysannat. A dieu, et à Allah je m’en remets pour revenir te voir.

17 juin 2007

Retournerai-je à Midelt(épisode 17)

A Nancy, le pays de ma tata et de mon tonton, ma seule famille, j’étais très fier d’avoir appris un mot savant, et de le retenir pour le resservir à chaque occasion qui m’était offerte. Après « Mathélem », le mot c’est « Stanislas Leszczynski ». J’ai entendu un jour de visite, tonton prononcer ce mot si fort et si mystérieux. Bizarre ce hasard fait de rencontres fortuites. Stanislas Leszczynski était polonais et fidèle à Napoléon, lui l’apatride au grand destin qui deviendra une grande famille française. Je me sentais bien plus fort et bien plus intelligent maintenant, certes pas encore un « Mathélem » mais ça viendrait.
Il y a des mots comme celui-ci qui jalonnent ma vie, pareil au Petit Poucet, ils ont émaillés mon chemin de vie, de temps à autre, au gré du temps et des événements. Ils me servent de repaire, de berger même.
Le suivant, je crois que c’est « Giuseppe Tomasi di Lampedusa » l’auteur d’un seul roman, le « Guépard ». Il fut même publié un an après sa mort. Avec ce mot, je sentais bien que je gagnais un grade de plus vers le « Mathélem », il est beau ce nom, il est long, je n’oublie rien au passage, et je trouve qu’il chante !
Puis, débarqua dans ma vie vers les dix ans, d’autres mots. Et bien ! Me direz-vous tu as pris tout ton temps ! Oui, certes, j’ai pris mon temps, sans doute avais-je abandonné l’idée d’être Mathélem, ou bien les événements de la vie se chargèrent, et m’obligèrent de m’occuper plus de mon sort, que des mots intelligents que je m’étais promis d’apprendre.
Mais c’est aussi que pour devenir un mot parmi les mots, le nectar des mots, pour qu’inconsciemment je le sélectionne, il doit en traverser des épreuves.
Les autres mots ne servent qu’à s’aligner dans une modeste phrase, à compléter celui qui viendra derrière et devenir l’esclave de celui qui est devant. Un mot seul n’est rien, mais les mots du « chasseur de l’atlas » sont uniques.
J’aurais aimer être un jongleur de mots. A mes mots s’attachent, amoureusement une vie, une étape, un pan entier de ma conscience solitaire. Soustraire ce mot, c’est m’amputer un bout de vie, et j’ai besoin de tous les bouts, pour devenir grand.
Le suivant, disais-je, c’est « Ayuntamiento ». Lui, j’étais fier de le posséder dans ma collection, comme un timbre rare, l’objet de toutes vos requêtes. Son histoire est magique, j’avais en 6ème un professeur d’espagnol, non ! En fait, un répétiteur plutôt. Je disais donc qu’un matin comme ça, un matin banal, en plein cours, il nous dit :
« Savez-vous quel est le mot le plus long de la langue espagnole ? En plus il détient aussi un autre record ? Qui le sait ? »
Le mystère.
Voila ce qui me fait avancer, mon carburant, mon envie de vivre. Il me le fallait ce mot, je le voulais ! Il devait entrer dans ma collection.
La réponse du prof tardait trop, j’attendais impatiemment.
Le temps ne s’épuisait pas assez rapidement, le prof attendait là, fier de sa trouvaille qui apparemment captivait la salle. Il savait qu’il nous enchantait tous, que nous voulions partager son mystère !
Le temps durait beaucoup plus longtemps que le temps normal !
Le temps qui me fait souffrir, quand va-t-il s’en aller ce temps ! Et arriver juste à temps !
À l’instant même où le professeur nous annonce :
« Ayuntamiento : la mairie en espagnol. Ce n’est pas seulement le mot le plus long, mais aussi, il contient toutes les voyelles de l’alphabet ! »
Et le voila le fier, il énonce :
Le A
Le Y
Le U
Le I
Le E
Et enfin le O! Quel mot ! Quelle histoire !
Ainsi, il entra dans mon univers fermé et confidentiel des mots prédestinés.
Comme tous les gosses, je retenais aussi « anticonstitutionnellement », le mot le plus long de la langue française ». Mais bof ! Lui, il semblait insipide, sans intérêt, pas brillant, nul à prononcer, et tout le monde le connaissait, je n’ai épaté personne avec celui là. C’est pas comme « Giuseppe Tomasi di Lampedusa », ça c’est du mot, de celui qui vous classe. En plus « anticonstitutionnellement » son orthographe m’épuisait toujours en l’écrivant. Je panique encore devant lui, effarouché juste à l’idée de l’écrire, comme au premier jour de notre brève rencontre. Il me fait toujours peur ! Combien de T ? Combien de N ? Combien de L et où doit-on les mettre ? Je l’ai gardé certes, mais pour l’échanger un jour, au besoin l’oublier. Ce n’est pas avec lui que j’aurais fait « Mathélem » !