J’apprenais trop vite et j’étais doué. Décidément rien n’allait comme je le voulais. Si j’avais été très nul, peut être ne m’aurait-il pas embauché, quoi que j’en doute. Il n’était pas homme à me laisser passer les vacances à ne rien faire. Seul le travail est réparateur et force de vie pensait-il.
J’aimais conduire le tracteur et ses travaux d’été à condition que l’on me laisse faire, ce qui n’était jamais le cas. Les fais ci et fais ça m’énervaient au plus haut point. J’aimais faucher les foins, puis les faner pour que cela sèche mieux, endainer correctement pour préparer le passage futur de la presse à fourrage, la dévoreuse de foin. Puis pour finir, passer avec la remorque tout près des tas de balles pour charger et transporter le fourrage vers les granges de Serres ou de Layrole son ultime voyage.
Tout cela semble bien simple, mais il faut maîtriser chaque épisode de ce long cheminement entre la fauche et le ramassage, afin de faciliter la tache de celui qui va suivre. Ainsi un bon faucheur saura comment « prendre la parcelle ». Il choisira le sens de la coupe pour bien préparer le futur fanage. Faner, il faut savoir faner en tournant, il faut être à la place de celui qui va endainer dans les jours à venir, lui tracer un circuit pour qu’il perde le moins de temps dans la parcelle et éviter les manœuvres inutiles et fastidieuses dans nos prairies bien trop exigus
Ensuite emballer, trouver la bonne vitesse pour ne pas « bourrer » la machine et perdre un temps précieux. Le fourrage en été c’est la course contre le temps, contre l’orage. Faire du fourrage c’est être organisé, et météorologue à la fois. On dit toujours les paysans vivent avec le temps, en vérité ils vivent contre le temps et le subissent, surtout l’été avec ses orages soudains. J’aimais tant ces orages brutaux, parfois sournois mais toujours bruyants. Même si à cause de lui il fallait tout recommencer pour obtenir par la suite un fourrage de bien moindre qualité tout juste bon en litière.
Quand l’orage éclatait, j’aimais trouver un abri, une vielle grange par exemple. Je m’appuyais sur sa porte branlante et j’admirai la nature se recroqueviller sous ses redoutables assauts. Elle pliait son dos jusqu'à ce qu’il fut bien rond pour mieux résister au déluge, et à la foudre menaçante, le bras armé et vengeur de Monsieur orage. J’aimais cette odeur de terre mouillée, de champignons et de sous bois. Des entrailles de la terre s’évadaient alors les senteurs trop longtemps emmurées par la chaleur. Tous les effluves de cette mère nourricière me bondissaient aux narines en même temps que le grondement du tonnerre me persécutait les tympans. Il nous rappelait qu’ici, il était le maître absolu, qu’il faisait ce qui lui plaisait, et qu’il fallait composer avec lui de temps à autre selon sa seule humeur. Puis venait le temps de la réconciliation, l’arc-en-ciel nous rassurait. Il nous murmurait :
– Vous pourrez bientôt reprendre le travail. C’est terminé pour aujourd’hui, rentrez chez vous et reposez-vous.
Les arbres et les oiseaux s’ébrouaient, et reprenaient possession de leur domaine, la vie redémarrait, un instant interrompue juste pour laisser maître orage piquer sa colère.
Cela nous donnait à peine une journée de répit que nous employions systématiquement pour monter le fourrage de notre propriété de Serres, vers Layrole en montagne, là où les brebis passeront l’hiver.
Il semble que j’excellais dans ces domaines. Et comme c’est moi qui fauchais et en final conduisait le tracteur pour ramasser les balles, j’organisais mes chantiers à la perfection. Comme j’étais un fainéant je les organisais pour le moindre effort à venir. Ainsi je gagnais mes galons auprès de mon père, sa nouvelle version sur son fils se modifiait lentement
– Comme tu es un fainéant, mais intelligent, tu réussiras dans la vie.
Bien, que la première partie de sa nouvelle version ne changeait toujours pas, il semble que la deuxièmement devenait légèrement plus plaisante à entendre. Sans doute y avait-il là un compliment à prendre, je prenais acte.
Le troupeau de mouton lui était en transhumance, en vacances à la « Deveze » en altitude. Ce fut sans doute les meilleurs souvenirs de mon travail saisonnier. La transhumance, consistait avant tout en une longue marche 25 à 30 kilomètres le premier jour qui nous attendait entre L’Ayrolle et Serres sur Arget. Là les brebis se reposaient une nuit, avant la dernière étape de montagne, Serres sur Arget, La Deveze. Nous partions très tôt le matin vers 4 ou 5 heures afin de ne pas fatiguer les brebis, et de profiter au maximum de la fraîcheur bienfaitrice des matinées d’été. Le lourd sac à dos militaire nous sciait les reins tant il était chargé, à la fois du ravitaillement pour la semaine du berger, mais aussi de grillage, clous, haches, et de tous les ustensiles que le berger utilisera . Quand nous le pouvions nous empruntions un âne à un ami, celui-ci comme beaucoup de ses compagnons ne dérogeait pas à la réputation de ces animaux, il n’était pas toujours de bonne humeur. Il avait la salle habitude de s’arrêter quelques kilomètres avant le sommet. Sans concession, sans négociation. C’est ainsi que les différents propriétaires de la région se répartissaient sa charge sous le brame stridente et l’oeil moqueur de ce foutu animal.
J’aimais conduire le tracteur et ses travaux d’été à condition que l’on me laisse faire, ce qui n’était jamais le cas. Les fais ci et fais ça m’énervaient au plus haut point. J’aimais faucher les foins, puis les faner pour que cela sèche mieux, endainer correctement pour préparer le passage futur de la presse à fourrage, la dévoreuse de foin. Puis pour finir, passer avec la remorque tout près des tas de balles pour charger et transporter le fourrage vers les granges de Serres ou de Layrole son ultime voyage.
Tout cela semble bien simple, mais il faut maîtriser chaque épisode de ce long cheminement entre la fauche et le ramassage, afin de faciliter la tache de celui qui va suivre. Ainsi un bon faucheur saura comment « prendre la parcelle ». Il choisira le sens de la coupe pour bien préparer le futur fanage. Faner, il faut savoir faner en tournant, il faut être à la place de celui qui va endainer dans les jours à venir, lui tracer un circuit pour qu’il perde le moins de temps dans la parcelle et éviter les manœuvres inutiles et fastidieuses dans nos prairies bien trop exigus
Ensuite emballer, trouver la bonne vitesse pour ne pas « bourrer » la machine et perdre un temps précieux. Le fourrage en été c’est la course contre le temps, contre l’orage. Faire du fourrage c’est être organisé, et météorologue à la fois. On dit toujours les paysans vivent avec le temps, en vérité ils vivent contre le temps et le subissent, surtout l’été avec ses orages soudains. J’aimais tant ces orages brutaux, parfois sournois mais toujours bruyants. Même si à cause de lui il fallait tout recommencer pour obtenir par la suite un fourrage de bien moindre qualité tout juste bon en litière.
Quand l’orage éclatait, j’aimais trouver un abri, une vielle grange par exemple. Je m’appuyais sur sa porte branlante et j’admirai la nature se recroqueviller sous ses redoutables assauts. Elle pliait son dos jusqu'à ce qu’il fut bien rond pour mieux résister au déluge, et à la foudre menaçante, le bras armé et vengeur de Monsieur orage. J’aimais cette odeur de terre mouillée, de champignons et de sous bois. Des entrailles de la terre s’évadaient alors les senteurs trop longtemps emmurées par la chaleur. Tous les effluves de cette mère nourricière me bondissaient aux narines en même temps que le grondement du tonnerre me persécutait les tympans. Il nous rappelait qu’ici, il était le maître absolu, qu’il faisait ce qui lui plaisait, et qu’il fallait composer avec lui de temps à autre selon sa seule humeur. Puis venait le temps de la réconciliation, l’arc-en-ciel nous rassurait. Il nous murmurait :
– Vous pourrez bientôt reprendre le travail. C’est terminé pour aujourd’hui, rentrez chez vous et reposez-vous.
Les arbres et les oiseaux s’ébrouaient, et reprenaient possession de leur domaine, la vie redémarrait, un instant interrompue juste pour laisser maître orage piquer sa colère.
Cela nous donnait à peine une journée de répit que nous employions systématiquement pour monter le fourrage de notre propriété de Serres, vers Layrole en montagne, là où les brebis passeront l’hiver.
Il semble que j’excellais dans ces domaines. Et comme c’est moi qui fauchais et en final conduisait le tracteur pour ramasser les balles, j’organisais mes chantiers à la perfection. Comme j’étais un fainéant je les organisais pour le moindre effort à venir. Ainsi je gagnais mes galons auprès de mon père, sa nouvelle version sur son fils se modifiait lentement
– Comme tu es un fainéant, mais intelligent, tu réussiras dans la vie.
Bien, que la première partie de sa nouvelle version ne changeait toujours pas, il semble que la deuxièmement devenait légèrement plus plaisante à entendre. Sans doute y avait-il là un compliment à prendre, je prenais acte.
Le troupeau de mouton lui était en transhumance, en vacances à la « Deveze » en altitude. Ce fut sans doute les meilleurs souvenirs de mon travail saisonnier. La transhumance, consistait avant tout en une longue marche 25 à 30 kilomètres le premier jour qui nous attendait entre L’Ayrolle et Serres sur Arget. Là les brebis se reposaient une nuit, avant la dernière étape de montagne, Serres sur Arget, La Deveze. Nous partions très tôt le matin vers 4 ou 5 heures afin de ne pas fatiguer les brebis, et de profiter au maximum de la fraîcheur bienfaitrice des matinées d’été. Le lourd sac à dos militaire nous sciait les reins tant il était chargé, à la fois du ravitaillement pour la semaine du berger, mais aussi de grillage, clous, haches, et de tous les ustensiles que le berger utilisera . Quand nous le pouvions nous empruntions un âne à un ami, celui-ci comme beaucoup de ses compagnons ne dérogeait pas à la réputation de ces animaux, il n’était pas toujours de bonne humeur. Il avait la salle habitude de s’arrêter quelques kilomètres avant le sommet. Sans concession, sans négociation. C’est ainsi que les différents propriétaires de la région se répartissaient sa charge sous le brame stridente et l’oeil moqueur de ce foutu animal.