28 novembre 2007

Mes années France (épisode 16 )

L’instituteur tenta vainement de me sauver de mon naufrage annoncé et attendu. Si je ne faisais aucun effort, ma sixième serait dramatique avait-il dit à mes parents
« Tu vois ce qu’on te dit, il faut travailler à l’école, c’est pour toi ! Ce n’est pas pour nous ! Nous on s’en fout, notre vie nous l’avons faite »
C’est bien cela que je leur reproche, ils s’en foutent complètement. Ils font juste semblant d’être des parents dignes, le temps d’accompagner l’instituteur sur ses remarques, et sitôt les abandonner dans la poubelle de leurs propres préoccupations.
Le maître par tous les pores de son corps, des forces qu’il pouvait engager, du temps qu’il disposait devenait omniprésent. Il ne me lâchait plus, pour mon bien, je n’en doute point.
« Patrick, photographiez le mot en entier, imaginez-le en entier et seulement recopiez-le sur votre cahier ».
Aujourd’hui encore j’utilise sa méthode quand j’y pense seulement. Je revis avec une nostalgie touchante ces instants. Je revois ce pauvre instituteur qui tente à lui seul de combler tout le déficit de ma tendre vie, à lui seul m’apporter amour et connaissance, attachement et travail bien fait. Lui seul m’avait dit un jour les seuls mots que jamais mes parents n’avaient encore prononcés :
« Allez Patrick, vous en êtes capable ».
Aujourd’hui, je continue à détruire les mots à chaque syllabe, je les déchiquette, et les explose en milliers de lettres. Quand soudain mon maître d’école me touche l’épaule, il est vieux, mais ses yeux pétillants de sagesse et d’amour, ont toujours l’espoir de me sauver. Je reprends mon souffle revient en arrière, je relis le mot en entier. Je photographie pour lui, pour lui seul, qu’il soit fier du type que je suis modestement devenu. C’est vrai quand même ce qu’il m’a dit il y a 40 ans. Un mot en entier devient ton ami, il ne te trahira jamais.
Il retire sa main de mon épaule, sourit, il pense toujours que ce gamin est spécial. Je l’entends me dire :
« Je t’ai connu cancre, mais dans tes yeux pétillait la curiosité et c’est cela qui te sauvera ».
Et le temps passa jusqu’en septembre, lentement ou pas je n’en sais rien, je n’avais même plus la nostalgie de Midelt, j’étais là en France il fallait bien s’y faire.
Je devenais même le chef de classe, sans avoir eu à combattre. Le représentant de la classe pour aller chercher un trophée du « lendit » genre de gymnastique de groupe. Tous les élèves de l’Ariège s’étaient cette année-là réunis à St Girons pour y produire une manifestation de masse. Sans doute notre classe avait-elle été parfaite, pour cela nous reçûmes une coupe.
Je n’avais pas la télévision en ce temps là, c’est au catéchisme de Foix que des élèves m’annoncèrent que j’étais passé sur FR3 avec la classe.

19 novembre 2007

Mes années France (épisode 15)

Lui était plutôt petit, mais de ces petits qui sont aussi larges et difficiles à faire tomber, un carré de vivacité, je connaissais bien ce genre de combattant hargneux. La gueule en renard, sans doute un malin, un combattant rusé où la force n’aura pas toujours le dessus. Nos regards se croisent. C’est bien lui, nous avons communiqué, c’est quand tu veux !
Nos regards se redonnent rendez vous, ce sera pour bientôt. Lui aussi me jaugeait, mais juste pour ruminer si j’étais de taille ou si j’allais comme les autres abdiquer sans combat, fort de sa réputation de « sale gosse ».
De cette jauge des combattants, des gladiateurs de l’arène, des boxeurs avant le combat, c’est à cet instant précis que vous gagnez votre combat. Si vous perdez l’assaut des yeux et de la haine, votre adversaire saura déjà qu’il va vous faire plier le genou.
Le combat aura bien lieu, je le voyais dans son regard moqueur et hautain, et moi de plus j’en avais trop envie. J’aimais trop ce jeu du plus fort, du dominant dominé. J’aime trop le regard envié des autres gamins quand vous brandissez les bras en l’air, pendant que votre victime crache encore le sable que vous lui avez rageusement enfoncé dans la bouche. Il devait en une seule fois avaler le sable, sa vanité, son orgueil, sa salive, et j’en passe. C’est beaucoup pour un vaincu !
Qui va provoquer ?
Attention le provocateur doit gagner ! A la clef de la victoire il y aura aussi la punition du maître. Le combat devra avoir lieu au grand jour dans l’arène de l’école, devant tout le monde, pour solenniser l’événement. Et qu’il n’y ait pas de protestation possible. Ce sera ainsi jusqu'à l’arrivée d’un autre prétendant.
Le vainqueur sera puni par le maître, c’est sûr, c’est en quelque sorte aussi son trophée. Être exposé devant tous au piquet pendant la recréation parce que vous vous êtes battu, et que vous avez vaincu. C’est là, la reconnaissance suprême de votre incontestable victoire. Personne ne devra nier votre titre. Cela est vrai au Maroc, en France et dans toutes les écoles, aujourd’hui encore.
Je décidais d’attendre le défi, il avait pour lui toute l’école, les faibles de sa cour, et les autres plus anciens que moi. Et surtout, ils étaient du pays.
Première journée de classe. Surprise ! Trois niveaux différents dans la classe. Je découvrais pour la première fois que les écoles campagnardes ne perduraient que parce que dans la même classe étaient mêlés des élèves de niveaux différents.
Chez nous, le CE 1, CM 1 et CM 2, les grands qui préparent la rentrée en sixième, pour l’année suivante.
Dans la classe de Madame trois autres niveaux aussi, ceux des « petits » disait-on.
Avec moi au CM1, cinq à six élèves pas plus. Jacques, celui que je devais combattre, Robert, Alain, Monique, Emilien, Richard composaient la classe, assis l’un derrière l’autre sur les bancs pour éviter de tricher, semble t’il.
A coté de nous, sur le même banc, les CM 2, également alignés, par la même logique sans doute.
Je me souviens très bien de l’élève du C.M 2 assis près de moi, il se prénommé Albert. Si je me le rappelle, c’est qu il y a deux très bonnes raisons à cela. La première, oh malheur ! Je découvris qu’il était le frère de Jacques et cela rendra ma tache difficile au nomment crucial du combat. En plus, il était bien plus fort rien qu’à le voir, rien à discuter la dessus.
Avait-il confié les clefs de la suprématie à son frère et le défendait-il quand cela s’avérait nécessaire ? Ou bien c’est lui le fort et je m’étais trompé dans mon enquête ?
L’instituteur semblait s’être attaché à me faire rattraper le temps perdu. Mais peut-on rattraper le temps. Peut-on en neuf mois apprendre au gamin ce qu’il aurait dû apprendre en trois, voire quatre ans !
Le gamin avait-il envie lui d’apprendre ? En avait-il les capacités ?
Aucun de ses parents ne se préoccupait de ses notes, ou de ses devoirs comme cela était déjà le cas au Maroc.

11 novembre 2007

Mes années France ( épisode 14 )

..Nous soufrions aussi de cette invective du pied noir esclavagiste, qui nourrissait ses employés avec un bol de riz, comme me le dira un jour la laitière, lorsque timidement je lui demandais de me faire crédit jusqu'à demain. J’avais seulement oublié la monnaie. Nous les pieds noirs devions payer de suite, sinon « pas de lait ».
Dur alors un jour d’expliquer ce qu’a vécu un pied noir, être totalement compris, et tenter de se faire accepter un jour. Et si vous n’aviez pas d’argent comme ils semblaient l’admettre peu à peu de mes parents, ils ne manquaient d’âmes sereines pour raconter :
« C’est qu’ils sont malin ces pieds noirs, l’argent ils l’ont et font semblant d’être pauvres ».
Eux mêmes, dans ces contrées reculées le pratiquaient avec leur propre deniers. On cache ses sous, et on mène une vie de faux pauvre. Réminiscence des temps anciens où les coupeurs de gorges hantaient cette vallée profonde. On ne sait jamais ! S’ils revenaient ! Mais ils sont revenus ! Mandrin est de retour. Ils se nomment maintenant banques, assurances, crédit, et huissiers.
« Je les ai vu moi ! Ils mangent avec les doigts un plat au milieu d’une table basse, ils sont assis autour et se lèchent les doigts ! Même pas français que je vous dis ! »
C’était là leur vision simpliste d’un repas dominical autour d’un couscous ou d’un tagine, accompagné d’un modeste Sidi Brahim ou Gris de Boulaouane. Nous avions tous j’en suis sûr, le besoin de retrouver dans ces gestes, ce repas, ce vin, les parfums, et les délicieuses effluves, que les caisses du déménagement nous avaient privées pour l’éternité. Jamais nous ne l’avions mangé autrement, autrefois, alors pourquoi changer maintenant, même si nous sommes aujourd’hui en France. Je devrai dire en Ariège !grosse nuance !
Etre d’ici, c’est être né dans la commune du village pas plus loin. Si vous êtes d’à peine quelques kilomètres de là, de Balmajou, de Lairole, du cols des Marrous, de Darnac ou Brassac ou d’ailleurs, méfiance, vous n’êtes pas d’ici.
Imaginez mon handicap, moi le pied noir d’Afrique, mais bon, il fallait de toute façon en passer par là, si nous voulions avoir une chance infime d’être acceptés.
Dans cette cour de l’école communale, comme tout nouvel animal dans une basse cour doit se présenter aux coqs, aux dindons, aux canards, je me laissais dévisager, en espérant ne pas prendre une première rouste juste pour la lutte d’influence. Et faire connaissance !
Le jaugeage réglementaire terminé, je ne me souviens pas avoir subi en ce premier jour une quelconque raillerie, moquerie ou tentative d’intimidation. J’en fus si heureux que le soir j’en parlais à mes parents.
Il ne faisait pas de doute que le plus fort de cette école, lui a dû lui me toiser, la taille, les muscles, et ce je ne sais quoi qui fait qu’au premier regard il saura s’il va garder son titre ou s’il devra me provoquer et honteusement le confier au dernier venu, si je devais sortir vainqueur du combat. J’admets très volontiers que je recherchais cette confrontation, comme à Mibladen ou ailleurs dans toutes les cours de recréation du monde, ou tout simplement dans la vie.
Je savais par expérience que le plus fort de la classe serait respecté, et j’avais vite compris que c’était pour moi le fabuleux raccourci de mon intégration. Certes quelque peu militaire mais oh ! combien efficace et rapide. De plus, je ne doutais pas que je sortirai vainqueur de la confrontation.
Je jouais mon intégration sur un coup !
Coup de chance qu’il ne soit pas trop fort !
Coup de tête ou coup de pied comme j’avais appris à les donner.
Lui ne devait pas connaître la technique de combat des cours de recréation du Maroc. Il sera surpris, j’en fais mon affaire.
A lui de choisir, le combat sur le tas de sable qui sert à sauter en hauteur ou la retraite, sans combat. La tête baissée, il se retournera et s’en ira sans mot dire, à votre premier acte d’homme fort.
Je le cherchais aussi moi du regard et le trouvais facilement, il ne se cachait point. Il est aisé à reconnaître le plus fort d’une classe.
Il a toujours une cour autour de lui. Une cour qui le « chimpanze ». Il rit, ils en font de même, il croise les bras et ils l’imitent, de peur de ne plus être de la bande, rejetés, méprisés, maltraités, et en final devenir le soufre douleur préféré du chef.

05 novembre 2007

Mes années France ( épisode 13 )

Ce jour là :
« Patrick venez chercher votre baffe »
Assis dans son fauteuil dominant la classe du haut de son estrade, et de son orgueil, il puait la connaissance de celui qui croit savoir. Il venait de cracher sa phrase préférée. Celle qui le faisait rire et jouir aussi.
Humiliation suprême que de devoir se lever, escorter les bourgeois de Calais avec sa tête sur un coussin. Tendre sa joue pleureuse et craintive, humblement. Des tremblements de haine dans les poings serrés à s’en faire saigner les doigts et le coeur. La gifle part, son rire sadique accompagne ma douleur, elle m’explose la joue droite et la gauche. Je regarde le prof dans les yeux, arme mon revolver, et comme ma mère face aux douaniers l’abat d’une balle en plein front. Lui aussi sera enterré dans la forêt de Tederrs ou d’Oulmes ! Je retourne à ma place. J’ai fais pipi dans le pantalon. Je dissimule tant que possible mon avilissante réaction à la peur.
Les mains vengeresses devant moi, je cache cette tache disgracieuse. La scène est toujours présente là quelque part.
Je venais d’inaugurer l’école de Jules Ferry et l’affection brutale de l’un de ses représentants. Je ne suis pas rancunier mais j’ai de la mémoire, mon temps et le sien viendront !
Le premier jour dans cette école primaire, je devais être la bête de foire, la créature curieuse, non pas l’écolier qui vient d’une autre commune ou tout au plus d’un autre canton éloigné, non j’étais l’étranger, celui qui vient d’ailleurs, qui ne mérite qu’un regard méprisant. Les écoliers de Serres sur Arget découvraient là devant eux à quoi pouvait bien ressembler un pied noir. Une espèce bien rare dans cette contrée. Cette race que tous les ragots malveillants avaient colporté jusque dans la montagne.
Nous étions les seuls pieds noirs des environs, plus précisément j’étais le seul puisque né en territoire marocain, et je comptais bien sur cette atypisme pour me faire remarquer, maintenant qu’ils connaissaient mon lourd secret de Pied noir rapatrié. Je devais m’imposer à eux qui n’étaient après tout que des Ariégeois, et moi le chasseur de l’Atlas.
Je me doute que toisé de haut en bas les gamins s’attarderaient sur mes pieds pour vérifier s’ils étaient réellement noirs. La question qui les démange, viendra bien assez rapidement. J’avais minutieusement préparé la réponse, il ne fallait pas caler et répondre :
« C’est parce que au Maroc seuls les européens portent des chaussures et comme elles sont noires, nous sommes les pieds noirs. »
Oui, bof ! On m’avait dit de dire cela, je le disais, mais franchement, je n’étais pas persuadé du tout de cette imaginaire théorie. Moi d’abord au Maroc je n’avais pas de chaussures aux pieds. Et quand il fallait en mettre c’était plutôt des claquettes. Pour mes parents c’était simple, Pataugas tout le temps, Pataugas pour la chasse, Pataugas pour tous les jours, et Pataugas spéciales pour le dimanche.
Un Ariégeois français et un pied noir français c’est pareil ! Normalement ! Point du tout, dans leur tête j’étais l’étranger, l’esclavagiste, le riche, et pas d’ici. De la bas de ce pays, et pas d’ici, pas de Serres sur Arget. Nous n’étions en France que pour usurper les terres et les maisons des vrais français ! C’est ce qu’ils entendaient dans leurs chaumières le soir à la veillée ou devant la télé noir et blanc, comme leurs âmes !
« Et en plus ont leur prête de l’argent à des taux que nous les paysans d’ici on a même pas le droit »
« Ils se sont foutu du pognon plein les poches et en plus le crédit agricole les enrichit en France »
Rengaines inlassables et fatigantes, qui nous accompagnait depuis notre arrivée. Toutes pas forcement ciblé sur mon père. Mais bien entendu, tous les pieds noirs se ressemblaient, comme tous les chinois, tous les arabes et tous les noirs de la planète. Celui là comme les autres.
Il ne fallait surtout pas répondre, ni se justifier. Nous soufrions tous de cela en silence, la chaire meurtrie, il fallait accepter, et s’intégrer par l’exemple, s’intégrer par l’exemple, s’intégrer par l’exemple,.s’intégrer……..