24 juin 2007

Retournerai-je à Midelt (épisode 18)


Mais pour l’instant il faut faire face. Mon père veut partir, nous voulons rester. Tout est vague et flou dans mon esprit, entre le moment de sa décision et notre départ.
Un mois, pas plus. Et puis je n’en sais rien ! Ma mémoire refuse obstinément de me le dire !
Nous avons dans un premier temps quitté le Paysannat, comme pour s'accoutumer larme par larme à ne plus le voir, ni sentir ses odeurs protectrices. Je n’allais même pas à l’école, un oubli que personne ne revendiqua jamais, tant il était absurde. Nous habitions à Midelt chez Monsieur Bunsik l’ami vétérinaire de mon père.
Par contre, je me souviens du dernier périple entre le Paysannat et Midelt, les 5 ou 10 Km les plus longs et les plus dramatiques de ma jeune existence. Chargée de nos derniers souvenirs, la Ford Taunus était prête, pour sa 1ère étape, courte certes, mais déjà déchirante.
Même notre Peugeot avait quelques jours auparavant décidée de ne pas nous accompagner. Elle décéda de je ne sais quelle maladie mécanique. Certains disent qu’elle s’était volontairement mise en panne pour ne pas quitter Midelt, et aussi parce qu’elle était dans la confidence de ce qui nous attendait en France. Je crois qu’elle refusait tout simplement de quitter son pays même si elle était née à Sochaux en France il y a quelques 15 années. Elle repose sans doute en pièce détachée dans les mémoires des dernières Peugeot de Midelt. Mais déjà un pied noir sans sa Peugeot n’est plus un Pied noir.
Tous les salariés de la ferme s’étaient réunis devant la voiture. Lamentations et prières, rien n’y fit, mon père resta froid.
Ah ! L’orgueil quand tu nous tiens de quoi es-tu capable de nous faire faire ? Quel mal y aurait-il eu à reconnaître maintenant son erreur ? Je crois même qu’on tuerait le mouton pour le Méchoui des retrouvailles.
« Reste monsieur reste, après toi c’est plus pareil »
Des larmes et des gestes d’amitié s’agitaient autour de nous, des gens qui s’aiment et qui vont se quitter. Tout le monde se doutait instinctivement qu’on ne se reverrait plus.
Face à la voiture étonnée par ce vacarme, des essaims bruyants d’ouvriers tentaient de ralentir amoureusement notre départ .
« Reste M’sieur Maurice ! Dis lui toi Patrick, dis lui toi madame qu’il reste ! Il n’est pas content de nous pour qu’il parte ! Son pays c’est ici »
Je m’engouffrais dans la voiture, emmitouflé de mes larmes, me bouchais les oreilles pour ne plus entendre les cris de détresse de ces pauvres gens qui sans doute, pensaient eux aussi que nous les abandonnions.
Je vis ma mère en faire autant la tête plongée dans les mains. Elle ne jeta plus un seul regard à la horde en pleurs, en souffrance de guide.
Même pas un adieu tant ce fut douloureux. Chacun chez soit. Nous dans les chariots du désespoir et eux plantés par leur douleur et la crainte du lendemain sans Maurice.
Au bout de l’allée, la route de Midelt à ksar el souk, tourner à gauche. Adieu paysannat. A dieu, et à Allah je m’en remets pour revenir te voir.

17 juin 2007

Retournerai-je à Midelt(épisode 17)

A Nancy, le pays de ma tata et de mon tonton, ma seule famille, j’étais très fier d’avoir appris un mot savant, et de le retenir pour le resservir à chaque occasion qui m’était offerte. Après « Mathélem », le mot c’est « Stanislas Leszczynski ». J’ai entendu un jour de visite, tonton prononcer ce mot si fort et si mystérieux. Bizarre ce hasard fait de rencontres fortuites. Stanislas Leszczynski était polonais et fidèle à Napoléon, lui l’apatride au grand destin qui deviendra une grande famille française. Je me sentais bien plus fort et bien plus intelligent maintenant, certes pas encore un « Mathélem » mais ça viendrait.
Il y a des mots comme celui-ci qui jalonnent ma vie, pareil au Petit Poucet, ils ont émaillés mon chemin de vie, de temps à autre, au gré du temps et des événements. Ils me servent de repaire, de berger même.
Le suivant, je crois que c’est « Giuseppe Tomasi di Lampedusa » l’auteur d’un seul roman, le « Guépard ». Il fut même publié un an après sa mort. Avec ce mot, je sentais bien que je gagnais un grade de plus vers le « Mathélem », il est beau ce nom, il est long, je n’oublie rien au passage, et je trouve qu’il chante !
Puis, débarqua dans ma vie vers les dix ans, d’autres mots. Et bien ! Me direz-vous tu as pris tout ton temps ! Oui, certes, j’ai pris mon temps, sans doute avais-je abandonné l’idée d’être Mathélem, ou bien les événements de la vie se chargèrent, et m’obligèrent de m’occuper plus de mon sort, que des mots intelligents que je m’étais promis d’apprendre.
Mais c’est aussi que pour devenir un mot parmi les mots, le nectar des mots, pour qu’inconsciemment je le sélectionne, il doit en traverser des épreuves.
Les autres mots ne servent qu’à s’aligner dans une modeste phrase, à compléter celui qui viendra derrière et devenir l’esclave de celui qui est devant. Un mot seul n’est rien, mais les mots du « chasseur de l’atlas » sont uniques.
J’aurais aimer être un jongleur de mots. A mes mots s’attachent, amoureusement une vie, une étape, un pan entier de ma conscience solitaire. Soustraire ce mot, c’est m’amputer un bout de vie, et j’ai besoin de tous les bouts, pour devenir grand.
Le suivant, disais-je, c’est « Ayuntamiento ». Lui, j’étais fier de le posséder dans ma collection, comme un timbre rare, l’objet de toutes vos requêtes. Son histoire est magique, j’avais en 6ème un professeur d’espagnol, non ! En fait, un répétiteur plutôt. Je disais donc qu’un matin comme ça, un matin banal, en plein cours, il nous dit :
« Savez-vous quel est le mot le plus long de la langue espagnole ? En plus il détient aussi un autre record ? Qui le sait ? »
Le mystère.
Voila ce qui me fait avancer, mon carburant, mon envie de vivre. Il me le fallait ce mot, je le voulais ! Il devait entrer dans ma collection.
La réponse du prof tardait trop, j’attendais impatiemment.
Le temps ne s’épuisait pas assez rapidement, le prof attendait là, fier de sa trouvaille qui apparemment captivait la salle. Il savait qu’il nous enchantait tous, que nous voulions partager son mystère !
Le temps durait beaucoup plus longtemps que le temps normal !
Le temps qui me fait souffrir, quand va-t-il s’en aller ce temps ! Et arriver juste à temps !
À l’instant même où le professeur nous annonce :
« Ayuntamiento : la mairie en espagnol. Ce n’est pas seulement le mot le plus long, mais aussi, il contient toutes les voyelles de l’alphabet ! »
Et le voila le fier, il énonce :
Le A
Le Y
Le U
Le I
Le E
Et enfin le O! Quel mot ! Quelle histoire !
Ainsi, il entra dans mon univers fermé et confidentiel des mots prédestinés.
Comme tous les gosses, je retenais aussi « anticonstitutionnellement », le mot le plus long de la langue française ». Mais bof ! Lui, il semblait insipide, sans intérêt, pas brillant, nul à prononcer, et tout le monde le connaissait, je n’ai épaté personne avec celui là. C’est pas comme « Giuseppe Tomasi di Lampedusa », ça c’est du mot, de celui qui vous classe. En plus « anticonstitutionnellement » son orthographe m’épuisait toujours en l’écrivant. Je panique encore devant lui, effarouché juste à l’idée de l’écrire, comme au premier jour de notre brève rencontre. Il me fait toujours peur ! Combien de T ? Combien de N ? Combien de L et où doit-on les mettre ? Je l’ai gardé certes, mais pour l’échanger un jour, au besoin l’oublier. Ce n’est pas avec lui que j’aurais fait « Mathélem » !

12 juin 2007

Un ami de plus par mon blog ! merci!


Majid Blal est une connaissance par mon blog
Il est originaire de Midelt et vit actuellement au canada, c’est sympa cela me fait deux lecteurs dans ce pays (salut Mike)
J’ai eu la surprise du commentaire ci-joint et du poème qu’il m’a envoyé, touché par son geste ,je vous propose de le lire
Vos commentaires sont les bienvenu,je pense que Mr Majid blal ne manquera pas de vous répondre


Mail reçu de Mr Majid Blal un matin



Il m'arrive souvent quand je m'ennuie de Midelt de faire le même cauchemar. Je revoyais cette majestueuse montagne (El Ayachi) puis graduellement elle devenait floue, je perdais ses contours et je sentais l,angoisse de quelqu'un qui voit l'objet de son amour le quitter alors que je me débattais pour la réactuliser, je me réveillais en sueur. Voilà, je te dédie ce poème qui fait partie de mon prochain recueil de poésie. Il te ressemble énormément d'après tes jolis et touchants textes sur ton Blog.Fais en ce qui te semble bon. Garde le ou mets le sur ton blog, je te l'offre. Sans façon d'un midelti à un autre...Salutations sincères.M comme Moulouya la haute Majid blat






FIXATION (Jbel El Ayachi)

Fragments d’éclipses dans le noir
En copeaux, les sursauts crépitent
Éclaboussent de sueur mes nuits
Échouent au bord des rêves

Avortent tant de rêves
Que je ne fais plus…

Mille soubresauts est mon sommeil.
Longue torpeur avec l’aurore.

Je guette la rédemption des lendemains.

Cette montagne n’est pas assez morte que trépasse mon deuil.
Cette marotte n’est pas assez coriace
Que repose la mémoire-tourmente.

Cette chose simule…
L’attraction n’invite qu’à l’orbite.
Ni trop loin pour oublier
Ni trop près pour Étreindre

Moi je gravite…


Majid Blal, le 29 février 2000.

05 juin 2007

Retournerai-je à Midelt (episode 16)


La France point pour moi !
Ils ne voudront pas de moi dans ce pays, ni de mon lance pierre, ni de mon short, ni de mes pièges à moineaux, les hyènes, ma carabine, mes voitures fabriquées avec du fil de fer et des bidons d’huile…………..
Et puis là bas il n’y a pas de Berbères et c’est ça que je veux faire quand je serai grand ! Je l’avais promis à mon père !
En France y a que des français, ça ne va pas aller ça !
J’y suis bien allé, une fois ou deux, je ne sais plus trop bien.
Un été de je ne sais de quelle année nous sommes allés à Nancy pour voir tata Fernande et tonton Georges. Et aussi vers Foix, à Lux, dans l’Ariège, où nous avions loué une maison pour les vacances.
Nancy, je m’en souviens un peu. Je savais que papa était originaire de la Lorraine, de Commercy plus précisément, et avait vécu à Méligny le Petit.
« Le village se souviendra toujours de notre famille » me disait-il souvent, l’air pensif, je voyais aussi dans ses yeux malicieux un filet d’orgueil.
« D’abord la plus belle tombe, c’est celle de tes ancêtres qui remontent si je ne me trompe pas vers 1750, et tu verras si tu y vas un jour il y a même une inscription au sujet des vignerons qui y sont enterrés »
Il semblait bien fier lui aussi de ces ancêtres d’il y a plusieurs siècles. Lui, l’orphelin qui me parlait plus souvent de la famille maternelle qui l’a élevé et d’un vague grand-père qui l’a prit sous sa protection à la mort tragique de ses parents.
« Et ce n’est pas fini, à Méligny, il y a des horloges francontoises signées à notre nom, au moins 2 !» ajouta-t-il pour justifier s’il en était besoin que nos ancêtres étaient bien des terriens de ce village, et pas n’importe qui.
L’histoire de ces horloges francontoises serait-elle prémonitoire à la destinée de la famille.
La légende veut qu’un d’entre eux ait fait la guerre d’Algérie de 1870 à l’époque de la conquête par Napoléon III.
A sa démobilisation, il avait le choix entre prendre épouse sur place, plus un fusil, plus des terres et s’installer comme colon, soit renter au pays avec sa prime.
C’est ce qu’il fit. Il aurait appris le métier d’horloger en s’arrêtant en Franche Comté lors de son long retour à pied de Marseille à Méligny.
Je ne sais si cette histoire ou légende est vraie, mais moi elle me plait bien et j’y crois.
Déjà, un ancêtre avait eu l’envie de connaître cette Afrique du nord comme pour tracer la route à mon père.
Adulte, j’ai voulu connaître cette famille du 18ème siècle, la fierté de mon père. Bien plus tard je me souvenais toujours de ce jour ou il m’avait venté ses ancêtres qui étaient aussi les miens.
Je me suis rendu à Méligny. Dans le cimetière je vis cette majestueuse tombe bien entretenue. En effet l’arbre généalogique de la famille y remonte à 1736.
Comment peut on être fier devant une tombe, d’un bout de pierre, ce fut pourtant le cas. Fier de ces ascendants que je ne connaissais pas, mais j’étais sûr que comme mon père ils avaient été justes bons. Attitude idiote je le sais.
Plus tard aussi je fis une recherche sur le net et je découvris en tapant mon nom :
« Aux "H........, vignerons qui reposent à l'ombre de cette croix dans un entrelacs de pierres et de vignes sculptées, une curiosité à Méligny le Petit. »
Ensuite ajoutait il, « va dans l’église et tu y verras une extraordinaire surprise, les vitraux portent la signature « offert par la famille Hierard ».
Moi le déraciné, le fils du désert, j’avais des parents qui ici ont participé à la vie du village. Il y on laissé un témoignage majestueux de leur passage en ce monde pour la prospérité leur nom.
A l’église, je vis bien les vitraux. Je me retournais instinctivement pour y voir mon père, il était là j’en suis sur à coté de moi comme il y a 30 ans à Midelt. Je suis sûr qu’il était fier que son rejeton révolté soit, lui aussi proche de ses ancêtres.
Lors d’un voyage en France un jour tata m’a amené dans un grand magasin, un très grand magasin que mes yeux d’enfants ne pouvaient voir d’un bout à l’autre, des jouets que des jouets…….. Elle me dit « choisis ».
« C’est sûr, je prends tout le magasin » !
Ma mère comprit vite que l’offre était bien trop vaste, et généreuse de la part de ma tante, et qu’il fallait très vite circonscrire le feu.
« Tu choisis de là à là ! » me répliqua-t-elle dans le même temps ses deux longs bras m’indiquaient les limites de mes recherches.
« Et pas cher ! » pour bien ponctuer son ordre.
J’approchais les mains de mon premier choix, lentement, avec prudence. Je n’avais jamais vu autant de jouets de ma vie. Surtout, jamais je n’avais eu à choisir quelque chose pour moi, quelque chose qui me ferait plaisir à moi tout seul.
Mes doigts tremblants s’approchaient lentement pour sentir le jouet, au moment de le saisir délicatement, presque religieusement, brusquement, par crainte, ou par réflexe, mes mains reculèrent, juste avant que le bruit single ! J’entendis :
« Tu touches avec les yeux ! »
« ………….. »
Vous qui me lisez ce jour, vous comprenez bien le sens de ces terribles mots, mais moi à 7 ou 8 ans, toucher avec les yeux, ça vous laisse perplexe et abasourdi.
« Je peux ou pas me choisir un jouet ? »
« Tu veux bien ne pas répondre si non rien »
J’aurai dû en temps normal, là à cet instant précis, ramasser une baffe avant même d’avoir fini ma phrase, et me retrouver en dehors du magasin. Mais il y avait tata, elle ne dira rien j’en suis sûr, trop maligne pour ça, mais je savais en mon fort intérieur que je paierai cette acte de rébellion ouvert. Je vis bien dans ses yeux une vengeance tardive, « Elle ne va pas me mettre une claque quand même ? J’ai encore rien fait. »
« Vas-y petit, prends ce qui te plait » ouf sauvé
Ma tante vole à mon secours et ma mère bat en retraite. Hum ! Pas pour longtemps, je n’ai pas intérêt à rigoler ou même esquisser un sourire de remerciement à ma tante, la vengeance ne saurait tarder par la suite.
Presque hypnotisé, j’ai choisi un camion bleu, semi remorque de la marque « Dinky toys ». Je vous épate en me rappelant même la marque de ce magnifique jouet hein !!
Et bien il, faut croire que les grands moments de joie d’un enfant ne s’effacent jamais de sa mémoire. Un petit geste, un peu d’amour suffit à rendre un enfant heureux, surement plus qu’une baffe quotidienne et l’amour toujours à distance trop longue pour mes petits bras.
Et puis un jour, disparition du camion de tata. J’ai perdu un ami, un confident, le souvenir d’un instant inoubliable, comme une photo de famille. Le seul souvenir de ma Tata.
Perdu ?
Jeté ?
Vengeance tardive ?