28 mai 2007

Retournerai-je a Midelt? (épisode 15)


C’est sûr, ma mère aurait accepté l’offre, même s’il avait fallu se convertir. Elle aimait passionnément le Maroc. Ce magnifique pays le lui rendait au centuple, plus que cela, pour elle ce pays était son seul et unique havre de paix. Dans le même temps, ses souvenirs de France n’étaient qu’orphelinat, famille d’adoption, froid, sabots en bois qui lui gelaient les pieds, « parfois même je pissais dedans pour un peu de chaleur furtive », aimait-elle me rappeler. Elle ne rêvait et ne pensait que « Maroc », maintenant elle y avait trouvé son bonheur. Je soupçonne même qu’elle détestait la France.
Toujours silencieux, mon père ruminait le piège si minutieusement préparé, c’est sans doute là l’erreur même de l’offre. Lui demander de renier la France ! Allons donc miséreux ! Moi du haut de mes presque 10 ans, je savais bien que ce serait foutu d’avance, fallait me le demander, et je vous l’aurais dis. Je le connais moi mon papa. Certes, il parle marocain, il ne pense qu’au bien des marocains, il vit pour le Maroc, et ce Paysannat c’est sa vie, il l’a vu grandir comme ce pays, petit à petit avec une infime tendresse, sans soubresaut.
Mais pas touche à sa France !
« Pays de naissance », m’avait-il dit un jour, « pays qu’on ne peut pas oublier, même si les souvenirs qui en remontent ne sont que tristesse, misère et orphelinat ».
Pas touche à sa France !
« Je regrette, mais c’est non ! Je suis français ! Je reste français, ce poste c’est en tant que français que je l’accepterai ! »
Certainement très déçu, le dirigeant lui répondit :
« Tu le sais Maurice, les français, vous devrez un jour ou l’autre partir. Je suis triste de cela, mais les marocains veulent une part de cette indépendance et de l’avenir de leur pays, et vous, les français et les étrangers, ne faites pas partie des plans ».
« Et bien alors, tu devras accepter ma démission, c’est non ! »
La suite de cette histoire est moins certaine, mon frère aîné Daniel affirme, et c’est fort possible compte tenu qu’à cette époque il avait environ 33 ans, que la suite de mon histoires est :
« Ecoute moi bien Maurice, tu prends ce poste pour seulement quelques années, et je suis sûr qu’avec tes relations au ministère et le travail déjà accompli, on va te proposer le poste de ministre de l’agriculture, je suis habilité à te le dire si je voyais que tu refusais »
Cela apparemment ne le fit malgré tout changer d’avis. Inutile de décrire dans quel état devait se trouver la déjà femme du ministre marocain de l’agriculture !
De ce jour, les relations particulièrement fusionnelles qui liaient mes parents se rompirent, pour devenir peu à peu de la haine, de l’indifférence. Ils se sont haïs autant qu’ils se sont aimés,
Ainsi, c’est avec des bouts de mots, des phrases non terminées, des suppositions que j’imagine la scène de la séparation et du déchirement. Mon père, seul avec ses convictions, mais j’en suis sûr avec une infinie tristesse.
Face à lui, la tribu des contre, plus nombreux certes, mais vaincus par la farouche résistance patriotique de « Monsieur Maurice ». Il ne badine pas avec l’honneur et les convictions, de cela j’en serai tour à tour, le spectateur parfois impuissant, et le dépositaire.
Je crois ne pas être très loin de la vérité de ce jour de janvier ou février 1964. Dix ans après ma naissance.

20 mai 2007

Retournerai-je à Midelt (episode 14)

« La France, on ira tous, et pour toujours » laissa tomber mon père, d’une parole sèche et intransigeante.
Ouf ! Pour l’école. Mais que voulait dire le « pour toujours ».
Il avait décidé seul apparemment, contre l’avis de ma mère de rentrer en France. Je ne connus en partie la vraie raison de son choix précipité que bien plus tard. Pour le moment sa sentence semblait sans appel, malgré les « grosses disputes » que mes oreilles de gamin espiègle entendaient dès qu’ils abordaient le sujet.
« C’est trop tard, j’ai donné ma démission, on ne revient plus la dessus !»
« Tu es fou ! Tu ne changeras jamais ! Mais que vas-tu « foutre en France ! Tu te rappelles de la France toi ! Pour moi ce n’est qu’humiliation et souffrance !» lui ressassait ma mère.
Ce fut sans doute la seule fois que je vis ma mère pleurer tous les jours, toute la journée, et toutes les nuits.
J’avais une peine sincère pour elle, et je guettais en permanence un signe de faiblesse de sa part qui m’aurait aidé à la consoler, à lui dire que moi aussi j’étais triste, et qu’à tous les deux ce serait plus facile. Mais ce geste ne vint jamais. Elle avait dû quand même souffrir quand elle était jeune dans son Auvergne d’adoption, avec des parents eux aussi d’adoption, pour être aussi forte et imperméable aux autres, et aux sentiments.
Mon père, imperturbable et impénétrable, poursuivait son travail. Je refusais de l’accompagner pour sa dernière tournée d’inspection. Clandestinement, et tacitement, je me rangeais du coté de ma mère.
Je vis bien tous les jours de nombreuses personnes, y compris ses employés, venir à la maison . Les alliances de circonstances.
À entendre ma mère, ces gens venaient à la maison le dissuader de partir, même son employeur, le gouvernement marocain, n’avait pas encore accepté sa démission.
J’essaye de me remémorer et de reconstituer tel un archéologue, avec les maigres bribes d’informations recueillies jusqu’à ce jour, les circonstances qui poussèrent mon père à étrangement précipiter sans raison apparente notre retour en France.
Je crois aujourd’hui, qu’il a dû se sentir bien seul. Il n’a jamais pour autant émis le moindre doute quand à son choix, même aux moments les plus difficiles qui l’attendaient en France.
Il fallait que l’événement qui l’a conduit à prendre cette triste décision fût grave pour quitter son Maroc, notre Maroc à tous.
Je crois savoir qu’un jour, lors d’un rendez vous à Rabat, la capitale, mais aussi le siège de son employeur, il eut la proposition suivante, et cela a bien pu se passer comme cela.
« Écoute Maurice, le Maroc est indépendant, tu le sais. Toi on veut te garder, mais je dois composer avec cette nouvelle génération des jeunes ingénieurs que tu as formés pour certains, qui cherchent par tous les moyens à d' obtenir les postes des français. Je n'y peux rien je dois obeir. Nous reconnaissons tous le travail exemplaire que tu as accompli ici pour le sud marocain, mais tu connais le Maroc, je dois faire la part de choses»
« J’ai perdu ma place, je dois rentrer? ».
« Qui te parle de quitter ta place ! Au contraire, je vais créer un poste uniquement pour toi : Super directeur. Tu auras tous les Paysannats du moyen atlas sous ta responsabilité, à Boumia, le corse est parti, je vais y caser un de tes anciens élèves, et pour le Paysannat de Midelt, le tien, on décidera ensemble à qui confier le poste. Chacun son poste, je place deux marocains et toi en haut, t’en dis quoi ? »
« Le moyen atlas mais c’est immense ! Tu te rends compte ces déplacements avec ma Willis ».
« J’y ai pensé figure-toi. Tu n’auras même pas à conduire. Un chauffeur est prévu. Je sais que tu seras tout le temps sur le terrain, tu auras un chauffeur et une voiture confortable»
« Mais qui empêchera un jour un de mes adjoints de vouloir mon poste, ton idée ne sert qu’à repousser le problème pas à le résoudre ».
« Mais ça aussi, c’est tout réfléchi » lui expliqua l’homme du ministère de l’agriculture, il suffit que tu prennes la nationalité Marocaine. Il ajouta dans la foulée sans respirer, je n’ai pas dit musulman, tu as bien compris ? Tu es chrétien, c’est pas notre problème».
L’homme redoutait cet instant, il venait là de toucher le point faible de son plan. Aussi, avait-il subtilement mis ma mère dans la confidence, et comptait sur son aide, ce quelle fit sans réserve.
« Tu te rends compte Maurice ! Super directeur, un chauffeur, une voiture gratuite ! C’est merveilleux on peut rester maintenant ! »

08 mai 2007

Ma première photo, 1955, 1 an
























Photo du bonheur.
Le mariage de mon frère à Meknes en 1955, la seule photo où toute la famille est réunie.
J’ai longtemps hésité à vous montrer cette photo, je l’ai découverte il y a une semaine, je n’en connaissais pas l’existence.
« La photo n’est pas bonne mais l’on peut y voir, le bonheur en personne et la douceur du soir » J.J. Goldmann.

De gauche à droite :
* Le général en chef, ma mère 43 ans.
Le général était un grand stratège, elle a fabriqué ses soldats tous les 10 ans environ.
« Comment vouliez-vous que nous sonnions la rébellion, il en manquait toujours 2 à l’appel »
Mais qu'elle est belle, non?
* Annie, ma belle-sœur :
La tendre et toujours douce Annie, son sourire l’accompagne en toute situation.
« Il fallait bien ça pour supporter mon grand frère »
* Daniel, non Serge, non Yaya : enfin quoi mon grand frère : 24 ans.
Son prénom, c’est déjà toute une histoire, pour le reste :
« Un ange jusqu'à 18 ans, après !!!!!…………. » Disait de lui ma mère, après ? Je vous raconterai sûrement
* Mon père, ce héros, 49 ans.
« Le cœur sur la main, les poches toujours vides et une vie peu commune »
* Le P'tiot, c’est moi, 1 an, qui essaye aujourd’hui pas à pas de faire son chemin.
« C’était vraiment un beau bébé » disait-elle. Depuis plus rien.
Regardez tous qui est à ma gauche ? Toujours près de moi ? Mon héros !
* Claude, mon autre frère, 10 ans.
« C’est lui le Mathelem, la boule, le crac, et mon protecteur. » Dommage notre différence d’âge.
« Je lui aurais appris le berbère par cœur, à notre école buissonniére » (M. Leforestier, enfin presque).

04 mai 2007

Retournerai-je à Midelt (épisode 13)


Une fois dehors, je demandais à mon père
« Et Bijou, il est où ? »
« Ton mouton est mort » me répondit-il embarrassé, la tristesse dans les yeux. J’apprenais quelques temps après, qu’il avait plutôt régalé en méchoui quelques personnes de la ferme, mais qui ? Nul ne le saura, des soupçons seulement…………..
Dur de partager la tristesse de la mort de Bijou et la joie de retrouver Midelt, j’avoue humblement avoir vite oublié ce triste épisode tant mon bonheur fut grand. Les mômes sont là, Fatima, Slimane, …………
« M’sieur Patrick, c’est bien que tu es là »
Et bien quel retour ! Le tireur d’élite rangea ses noyaux et sortit un lance pierre de sa cachette, il était là, il m’attendait, lui aussi orphelin de mes doigts agiles.
Demain, demain, c’est certain, j’irai respirer la ferme, et puis on ira chatouiller du moineau.
A aucun moment je n’ai eu une pensée, même furtive, et coupable, pour ce couple de frère et sœur, que j’abandonnais misérablement à Mekhnès. Je ne suis même pas sûr de leur avoir dit au revoir.
Et puis, plus rien, plus aucun souvenir.
Comment ai-je appris que je n’irai pas à l’école, ni à Midelt, ni à Mibladen, ni ailleurs au Maroc, mais en France, sans doute bientôt, mais personne ne sait quand !
Séisme. !
Une école encore plus loin, mon frère Claude y était déjà, à Foix, dans l’Ariège, pour terminer son Bac « mathélem ».
Je ne savais pas ce que cela pouvait bien dire être en « mathélem ». J’aimais ce mot. Mais une chose est certaine, c’était bien et très important. Cela le classait parmi les très intelligents, les supérieurs, ceux qu’on devait admirer, et intellectuellement respecter. Ce que je fis, depuis toujours et encore aujourd’hui. Sinon pourquoi mes parents ne cessaient de répéter à chaque fois que quelqu’un demandait des ses nouvelles :
« Il est en mathélem en France » répondaient-ils inexorablement, fièrement l’orgueil bien dressé. Il valait mieux le dire de suite, on ne sait jamais, si les personnes avaient oublié de leur demander des nouvelles de sa scolarité.
En plus ce mathélem, pour l’avoir, il fallait le passer en deux fois. La 1ère et la seconde partie.
« Il en faut de l’intelligence pour l’avoir le bac mathelem ».
Et rebelote, les fiers parents, ne manquaient pas de rappeler à toutes les personnes qui voulaient bien l’entendre, qu’ils avaient un fils en mathelem, et qu’en plus il avait deux examens à passer, nul doute qu’il les aura lui.
Je suis sûr que si par malheur on demandait des nouvelles de ma scolarité dans ce collège de Meknes, ils devaient répondre
« Si vous saviez ce que ça nous coûte », à part ça il est bien !
On m’avait expliqué qu’il n’y avait que les très bons élèves qui avaient le droit de le tenter ce mathelem, et mon frère en était.
Je me sentais rapidement exclu de cette famille d’élite, et même, je dois le dire, jaloux de ceux qui savaient, et qui ne se battaient pas pour éviter les dernières places, ou la honteuse baguette de Driss.
J’aurais pourtant aimé être le meilleur de la classe. Certes les écoliers me « badaient » pour mon adresse au lance pierre, en gymnastique, à la bagarre, à la course à pied, enfin tout, sauf pour la place de 1er de la classe.
Plus tard sans doute, un peu plus tard, je serai bien premier de quelque chose ou il faut être intelligent.……………