26 août 2007

Mes années France ( épisode 3 )


Sans un mot, l’un des douaniers nous fit un geste de la main. Le claquement des doigts militaire nous ordonnant de nous approcher. Je me souviens de cet instant, mortifié, j’étais sûr qu’ils avaient découvert notre trésor et que ce soir c’est en prison que nous dormirions. À moins que papa négocie, mais ce n’est pas du tout son genre, ce sera donc la prison !
« Il n’y a rien ! Vous pouvez ranger, dit-il sèchement, d’une mimique nerveuse et condescendante. »
« Je vous l’avais dis, il fallait me croire » lui répondit aussitôt mon génial de père. Voilà comme je l’aime. Jamais battu, cabochard, jamais soumis, comme le chasseur de sangliers et de panthères qu’il était. Il attendait, guettait ces douaniers, sa future proie. S’ils ne trouvent rien, il devenait pour quelques temps, l’animal dominant. Plutôt que de remercier platement ces douaniers de leur amical accueil, il en profite pour les narguer juste ce qu’il faut pour se faire plaisir, et retrouver son honneur bafoué. Je sais que de sa vie il n’a jamais baissé la tête, j’en témoignerai plus tard. Il le paiera cher parfois, mais je suis certain que cela lui était égal. Il se sentait l’égal de tous, y compris plus tard, du premier ministre de la république française, qu’il ne se gêna pas d’interpeller, lors d’une réception au village.
Pendant ce temps je ne remarquais pas ma mère accroupie qui rangeait consciencieusement les vêtements souillés de la honte. Elle nous tournait le dos, pliait, repliait, secouait, son passé simple pour les ranger dans les valises du futur. Une à une elle referma les valises de son bonheur passé. Papa les prenait et tentait de les ranger dans la voiture, sans doute elle aussi apaisée de cette fouille intime. le passage à tabac en règle de notre amour propre prenait fin.
Ma mère se releva, jeta un coup d’œil justicier sur ses violeurs de félicité. Des larmes coulaient lentement sur son visage. Jamais elle n’avait pleuré. Auparavant, elle était plutôt la joie de vivre et l’insouciance de ce pays. Je compris vite qu’elle ne pleurait pas de chagrin mais de haine. Elle cherchait de son regard revolver chacun des douaniers, et un par un elle les abattit d’une balle net dans le front. Moi, dans ces yeux humides de haine, je lisais que s’ils avaient été dans la forêt de « Tedders », ils n’auraient pas tenté seulement de lui prendre sa valise et encore moins de l’ouvrir. Rare furent les fois où son fidèle fusil, si réputé, ne l’accompagnait pas, charnellement blottit sur son dos, prêt à la défendre
Je ne sais si les uniformes bleus de ce jour furent impressionnés, mais l’un deux s’approcha, et tenta un geste de réconciliation militaire.
« C’est bon, vous pouvez passer, bienvenue en France ! »

19 août 2007

Mes années France( épisode 2)


Ce tableau émouvant d’une famille en rupture de bonheur, de ces chiens trop gros pour le ventre maigre de ce coffre, le ton convainquant et sincère de mon père, semblaient avoir ébranler momentanément le douanier. Sans doute pensait-il aussi qu’il venait de tomber sur un pauvre bougre de pied noir, pas bien futé. Il rentrait seulement maintenant celui-là, pas malin ça ! Tous les autres, surtout les plus fortunés, avaient senti le vent tourner depuis longtemps et s’étaient mis à l’abri à la métropole. Ceux là, sont passés ici il y a bien deux ou trois ans pour les derniers. Et puis celui-ci c’est un du Maroc, pas d’Algérie.
Peu à peu, la voiture dévoilait sa pudique nudité, surtout elle, la « Taunus » c’était son premier voyage, pucelle de France. Ces mains étrangères sur son corps la faisaient sursauter de dégoût. Il y a toujours une première fois.
Eloigné du véhicule je demandais, effrayé :
« Pourquoi ils continuent à vider notre voiture papa ? »
« Ils n’aiment pas les rapatriés fiston ! »
« Comme la dernière fois, les pieds noirs, papa !»
« C’est ça fiston, nous sommes maintenant des pieds noirs rapatriés et ils ne nous aiment pas plus.»
Voila deux mots qui n’entreront jamais dans ma collection. Il semble qu’ils soient toujours accompagnés de la haine des autres, du regard qui te fait baisser les yeux, de la honte d’être, d’exister.
Cumuler pour une seule et même famille les patronymes de pieds noirs et rapatriés, te projetait directement vers la quarantaine de la république.Tous libres et égaux.
Plus jamais je ne serai pieds noirs ou rapatrié, j’avais trop honte de le dire. Cette idée me hantait déjà. Expulser de mon jeune corps et de ma fragile tête, je devais renier mes origines pour exister, vivre sous la crainte que ce lourd secret allait être découvert, un jour en France.
Chez lez berbères c’était mieux. Là-bas chez moi, ils ne me demandaient pas si j’étais français, arabe, yougoslave, grec, juif, nous étions tous des Marocains, tous des fils de Midelt la belle. Midelt toujours les bras ouverts comme ses habitants qui ne connaissent le mot « inviter » qu’au présent.
Les yeux du douanier pour la première fois semblaient nous demander de l’excuser, sans pour autant avoir du remord. Avait-il compris que tous les pieds noirs ne sont pas des « colons ».
Ils n’avaient pas tous des centaines d’ouvriers qu’ils payaient avec un lance pierre.
Certains oui, ne méritent même pas le titre d’homme, pas plus que les grands patrons français de cette époque, les mines, les filatures pour seuls exemples, n’étaient pas non plus des modèles de social avancé. La plupart des pieds noirs étaient partis un jour de France, sans doute avec une valise et un billet de train, ou de bateau, espérant que cette deuxième France y serait plus douce pour eux.
Sur place au Maroc ils travaillèrent, fonctionnaires, petits commerçants, ouvriers, maçons, agriculteurs, j’ai dis agriculteur pas colons. Pour la plupart, la fortune ne les attendait pas et elle ne fût pas au rendez vous.
Mais tous vous diront qu’ils ont vécu comme des rois, non pas des richesses qu’ils avaient accumulées mais du royaume du Maroc qui les a accueillis.
Un pays si magnifique qu’il devrait être classé avec ses habitants comme lieu mondial de l’UNESCO de la beauté et de la tolérance.

05 août 2007

Mes années France (épisode 1)


Je ne souviens plus de notre traversée de l’Espagne, une anesthésie sympathique et bienvenue du destin. Je me réveille de ce long sommeil juste au moment où :
« Papiers, sil vous plait. »
Après quelques regards croisés d’incompréhensions et de suspicions réciproques entre mon père et le monsieur en habit de méchant, le douanier demanda :
« Rapatriés ? »
« Oui »
« Garez vous s’il vous plait »
Encore une fois et comme toujours, ce mot rapatrié semblait déclencher chez ces hommes, une frénésie funeste et l’espoir d’une pêche fabuleuse. Ils en tenaient un ! Ils allaient lui faire voir qu’ici c’est la patrie de la liberté et de la fraternité!
« Quelque chose à déclarer ? »
« Oui, toute ma vie dans la voiture »
« C’est ça, faite le guignol ! »
La fouille méthodique commence. Pourvu que ma mère dans l’état d’esprit qui l’anime en ce moment n’exacerbe pas encore plus le méticuleux et zélé douanier.
Presque surpris, je vis bien qu’elle s’en moquait, si ce n’était sans doute la crainte légitime se faire prendre.
Je sais moi ce qu’il cherche, le monsieur. J’avais bien vu furtivement mon papa et ma maman cacher de l’argent.
Je vais vous dire où il est. Il y en a dans le cric et dans le tube de dentifrice.
Je suis sûr que mes parents ne se sont jamais doutés que j’avais compris et deviné la raison de leurs chuchotements nocturnes et suspects.
Méthodiquement ma mère avait vidé le tube dentifrice, et par une invisible coupure sur le coté avait réussi à glisser un rouleau de quelques billets, le dentifrice ainsi entamé et enroulé, devenait un asile parfait.
Le second magot, si l’on peut dire cela, des maigres économies de mes parents, c’est papa qui s’en charge. L’argent blottit, recroquevillé sur lui, allait voyager dans un minuscule tube en fer. Le cric cylindrique de la voiture, allait l’avaler, pour le cracher en France.
« Pas d’argent, vous êtes sûr ?
« Tous les pieds noirs planquent de l’argent, où est-il qu’on en finisse ? » Réplique notre douanier, l’air encore plus insensible que jamais, et dépité de n’avoir rien trouvé.
« Pas d’argent parce que je n’en ai jamais eu, alors vous pouvez fouiller ».
Les douaniers reprirent leur travail avec un zèle extrême, teinté de prime s’ils trouvaient quelque chose.
La honte des réfugiés vous connaissez ?
Il suffisait de croiser le regard moqueur des automobilistes qui passent lentement devant vous, lorgnant avec le sourire narquois du bon français embrigadé par la propagande des colons buveurs de sang ! L’étalage de votre vie sur le sol, votre intimité violée.
Vous ne connaissez pas vous ! Et bien je vous jure que le gamin s’en souvient lui !
Vous n’avez qu’une chose à faire, sinon que de courber l’échine bien bas comme les chiens dominés ! Sinon votre sort en est jeté. De la fouille zélée des bagages, l’exaltation des douaniers vous transporte allégrement en quelques minutes dans un autre monde, celui des malfrats.
La voiture est décortiquée, les chiens et les armes automatiques vous souhaitent la bienvenue dans le pays de la liberté.
Tous les rapatriés du monde le savent, à la douane tu baisses la tête, tu enroules ton orgueil entre tes doigts vengeurs, et tu fais taire ton amour propre !
« Ils ont de la chance de ne pas se trouver dans la forêt de Timexaouine ceux-là ! », marmonnait ma mère, en regardant de ses yeux absents le déballage sans pudeur de son intimité si bien rangé il y a encore quelques minutes.
Une menace que tout gendarme, douanier ou garde-chasse de cette région aurait pris avec sérieux, tant la réputation de redoutable tigresse de ma mère était connue.
Elle commençait graduellement et irréversiblement à haïr la France.Look et Rika attendaient aussi. Ils comprenaient, j’en suis sûr que leur destin allait connaître un nouveau chemin, mais ils avaient confiance en nous. Nous serons toujours ensemble et seul cela compte