26 mars 2007

Retournerai-je a Midelt (episode 9)


Et puis, un matin de je ne sais quel mois, janvier ou février 1964, le soleil s’illumina.
Appelé à l’accueil, mon père m’y attendait, accompagné de Missoudie la bonne. Je lui sautais au cou, et lui fis une bien longue bise.
« Nous allons accompagner votre bonne au dortoir, elle pourra préparer ses affaires ». D’un geste, la directrice interpella une personne qui passait par là.
Que voulait bien dire cette mystérieuse phrase.
« Je comprends Monsieur, ce n’est plus comme avant depuis l’indépendance. »
« Vous n’êtes pas fonctionnaire, malgré votre statut ministériel, il faut penser aussi à vous.
« C’est à cause de cela que l’école se vide, je le vois bien chaque année, il manque des élèves. »
A chaque fois, mon père d’un signe de la tête malheureux, semblait donner raison à la directrice. Il ne disait mot.
De quoi pouvaient-ils bien parler ? Je ne comprenais absolument rien à ce charabia de grand. Je saisissais quand même que si on faisait ma valise, j’allais partir, mais où ?
Je devais absolument attendre pour me réjouir, ils étaient bien capables de m’envoyer à Rabat, mon frère y était déjà, pourquoi pas moi.
« On rentre à la maison »
« …………………………… »
Habitué à des rebondissements de dernières secondes, ma joie s’impatientait au bord de mes lèvres, au bout de mes bras, avant de se libérer et d'exploser.
« Cela ne te fait pas plaisir ? Je te ramène à Midelt. » Je te dis.
Comme un trop plein d’espoir, une explosion, un appel d’air de l’extérieur, je pouvais enfin me réjouir, c’était la bonne ! Ils me croyaient, ils allaient enfin m’écouter ! J’allais rentrer à Midelt !
Sur le retour, la route me paraissait bien plus accueillante que les rares fois où mes parents venaient me voir, ou me chercher pour les vacances. Il fallait que les vacances soient « grandes » comme ils m’expliquaient pour venir me libérer de ma geôle.
« Les moyennes et les petites vacances ça ne compte pas », m’expliquaient-ils.
« Tu comprends, hein ! La route est longue de Midelt à Meknés »
Si je comprends ? Comment leur dire que moi je n’avais pas choisi d’aller à Meknes, ni à Mibladen, que mon bonheur à moi c’est Midelt et rien d’autre !
Ce n’est pas ma faute si la route est longue ! Je le sais moi que la route est longue ! D’ailleurs j’ai remarqué qu’elle est plus longue de Meknés à Midelt, que de Midelt à Meknés, le retour. Et si le route est longue, vous ne croyez pas vous que le temps est long aussi pour moi ! Que mes nuits furent longues, que mes journées bien trop courtes, paniqué à l’idée d’affronter la nuit !
C’est long d’attendre tous les soirs devant la grille que vous veniez me chercher, parce que vous ne me préveniez jamais quand vous veniez me chercher.
Vous me disiez « on passait par là, alors on vient te voir. » .Comme si j’étais une bête du zoo dont on décide la visite au dernier moment, juste avant la fermeture.
Vous veniez oui, mais combien de fois n’êtes-vous jamais venus ? Même pendant des vacances « moyennes » et « petites » quand les autres pensionnaires s’en allaient eux ! Et que moi le cœur en vrille j’allais chez les Dolivet. Vous ne veniez pas me voir !
C’est quoi d’abord des grandes vacances ?
Je me le faisais expliquer par la pionne, elle ne savait pas pourquoi je posais une question aussi idiote, mais moi oui je savais.
J’avais vite saisi. Les Grandes, égalent papa et maman, petites et moyennes égalent Dolivet. Même si aller chez eux était un légitime plaisir, ils ne pouvaient malgré l’amour qu’ils me portaient remplacer papa, maman et Toto.
Voila ce que j’aurais aimé leur dire moi ! Mais jamais je n’oserai, d’abord par crainte de représailles et surtout parce que peu à peu j’ai appris à cuirasser mes émotions, j’empile et on verra bien, soit cela va exploser un jour, soit comme disent les grands, ça passera.

18 mars 2007

Retournerai-je à Midelt (episode 8)


Parfois, une partie acharnée de « noyau » venait égailler mes recréations. Ce jeu fort simple consistait à jeter un noyau d’abricot vers un mur et d’approcher le pied du mur du plus prêt possible. La difficulté consistait seulement de la distance du mur choisi pour le jet.
Dès qu’il ne s’agissait plus de bosser je devenais le meilleur, à tel point que plus personne ne s’aventurait à jouer contre moi.
Alors je perdais volontairement de temps à autre. Des jours « sans » comme on dit, des périodes où je perdais juste un peu, pas longtemps, pas beaucoup, il fallait amorcer, juste le temps que cela se sache dans le collège.
Ma ruse fonctionnait à chaque fois même si presque tout le monde connaissant mon stratagème. Il existe toujours quelque part des joueurs naïfs ou intrépides, c’est pareil. Ils veulent défier le Caïd des noyaux, lui infliger une bonne raclée, et devenir à leur tour le garçon le plus envié du collège. On ne connaissait pas le meilleur élève de ce collège, mais tous connaissait le numéro un du lancer du noyau, ça je vous le promet.
Cela fonctionnait plutôt bien, mon stock de noyau ne cessait de grossir. J’avais dû m’arranger les règles pour attirer des joueurs, celui qui me battait gagnait deux fois plus de noyaux que le jeu ne le permettait, je lançais des défis à 3, 4, 5 fois la mise.
Bien avant Paul Newman, j’avais inventé l’arnaque, certes la petite arnaque aux malheureux noyaux d’abricot. Le « poker lanceur de noyaux » en quelque sorte.
Gloire à celui qui battrait un jour Patrick, le plus fin tireur de noyaux de l’atlas. Sans doute les prétendants guettaient-ils ces instants d’épuisement imaginaire, de vacillantes faiblesses maîtrisées pour provoquer le tireur d’élite, mais voilà, Kit Karson gagnait tous ses duels
Ces rares moments à se les ressasser aujourd’hui, ont dû être mes seuls instants de joie et provoquaient chez moi une d’anesthésie générale de mon mal de vivre, de mon mal de Midelt. La douleur était alors reportée à plus tard……….bien plus tard……Il fallait à tout prix, et c’était vital, ralentir la nuit, repousser le repas, se brosser très longuement les dents.
Mais la nuit vicieuse et sournoise approchait à pas feutrés, incommensurablement, inexorablement.
« Extinction des feux ». J’ai perdu. La nuit nous gagne. Pas de négociation possible.
Chaque soir, je perdais mon inlassable combat. En quelques minutes nous étions tous sous les draps, la couverture sous le nez. Peu à peu le silence nous gagnait. Quelques chuchotements courageux perçaient le silence macabre, derniers toussotements de détresse avant les larmes cachées, des gorges sèches raclaient leurs derniers cris de détresse, et puis le silence tant redouté rodait dans le dortoir.
Le silence vainqueur guettait alors le moindre bruit pour prévenir le pion,quelque soit le pion, ils étaient tous sévères, la norme minimum pour cet emploi.
Caché sous ma couverture, j’imaginais Toto, la Mimouna, les scorpions, les perdreaux, les hyènes, Bijou mon mouton. Je regrettais presque Driss. Enseveli sous ces souvenirs, en essayant de m’évader de ces couvertures trop rêches et qui ne sentent même pas la maison, je m’endormais………….jusqu’au lendemain et la contre offensive que je ne manquerai pas de lancer contre la nuit.
J’accumulais un trésor de noyaux très enviable et convoité. Plus malin que Barberousse je partageais mon butin entre plusieurs cachettes. Une partie du trésor chez mes correspondants, une autre partie confié à mes deux amis, et une maigre part dans mon placard. Celui qui m’a un jour volé mes noyaux dans mon armoire n’a fait que reprendre ce que j’avais moi aussi emprunté dirons-nous, à un autre un joueur, sûrement un méchant et un tricheur, ce n’était que justice. Je vivais à crédit de ce larcin, les intérêts de ces gains rejoignaient mes cachettes secrètes.

09 mars 2007

Retournerai-je a Midelt (episode 7)


« Elle est moche et pas belle cette école » ! !!!!
D’ailleurs, plus aucun souvenir de cette période, encéphalogramme plat, même pas l’espoir d’une secousse, si ce n’est quelques flashs qui me traversent comme une douleur, exhumer ces souvenirs encore béants n’arrangerait rien à la guérison.
Le premier soir, je vis bien que certains quittaient l’école, j’allais voir Huguette la pionne et lui demandais qui étaient ces gamins heureux qui nous abandonnaient en fuyant lâchement l’école.
« Ce sont les demis pensionnaires »
« Les demis pensionnaires !!» m’étonnais-je, c’est quoi un demi pensionnaire ?
« Ben …... ce sont les élèves qui rentrent chez eux le soir »
Ainsi il y avait possibilité de sortir le soir, même à moitié cela m’intéresserait, sûrement devais-je encombrer les Dolivet, ou pire, il n’en avait jamais été question.
Des nuits de cafard seul à pleurer, je n’ai même pas de souvenir de classe si ce n’est mes deux amis, Patrick d’Espagne et Michelle Marin, la bande des trois, mais comme si cela ne suffisait pas à ma peine, ils étaient demis pensionnaires, j’étais le seul interne. Je les raccompagnais tous les soirs à la grille, dehors ils étaient libre eux, de ce coté-ci de la grille ce n’était que pleurs. L’angoisse de la nuit commençait à me saisir tous le corps.
Le nez entre les barreaux de la grille, je les regardais s’éloigner ensemble. En plus, si je me rappelle bien, elle me plaisait Michèle et lui pouvait tous les soirs la raccompagner. L’image triste de mon lion m’accaparait, lui et moi derrière nos barreaux et notre prison, bien trop grande pour moi, minuscule et mortelle pour lui. C’est sûr, un jour, lui et moi, nous nous sauverons dans la forêt.
Je n’avais que très peu d’amis, ou du moins ma mémoire ne m’autorise que ces souvenirs.
En récréation, je retrouvais un frère et sa sœur aussi pommés que moi.
Comment pouvaient-ils bien se nommer ? Un nom italien, j’en suis sûr !
Nous étions tristes ensemble, point d’autres souvenirs.
Décidément, cette mémoire est bien cadenassée, la profaner devenait indécent !
Nous partagions notre goûter le soir en regardant la gorge serrée les demis pensionnaires s’en aller le cœur joyeux. Nous ne manquions pas sans mot dire d’attarder notre attention sur le portail d’entrée, on ne sait jamais !!!! Quelqu’un pouvait venir nous chercher.
L’œil fatigué, nous abandonnions notre quête sans espoir qu’un jour par surprise quelqu’un vienne nous chercher comme cela arrivait trop rarement. Ce n’est pas « les grandes vacances » tous les jours.
Un chocolat ou un Vinifruit, assis sur un banc, goûter et mélancolie se partageaient à parts égales. J’aimais le chocolat, ils se régalaient avec le Vinifruit, et du pain pour tous.

03 mars 2007

Retournerai je à Midelt ? (episode 6)


Il y a là pour plusieurs années de vêtement , à Midelt un short des sandales, et voilà.
Ils ne vont pas m’abandonner quand même ! Ils en seraient capables !
Maintenant visite des douches et lavabos. Facile de retenir mon coin, il y a un numéro. Comme sur mon lit et tous mes vêtements, cousu dans le dos, au revers du col.
Il n’y a pas si longtemps encore je me souvenais parfaitement de ce numéro, celui de la honte, celui qu’elle avait sûrement demandé à Missoudie la bonne, de coudre en cachette.
« Tu n’oublieras pas les dents »
Les dents ! À Midelt, elle s’en foutait de mes dents. A croire que les parents conscients de perpétrer une injustice tentent de se racheter une conscience circonstancielle, très rapidement le temps de l’acte, tant que le gosse est là, et jusqu'à ce qu’ils s’en aillent.
Toutes les mères indignes sont les plus gentilles des mamans au monde quand elles commettent leurs crimes, et puis comme par enchantement, avec une grande gomme oublient, effacent cette faiblesse momentanée étonnées du sentiment humain qui venait de les surprendre.
La vie ne doit-elle pas continuer !
« C’est pour son bien, disent-elles, il est si mauvais à l’école, nous n’avions pas le choix, et en plus c’est pas le prix de Midelt, si vous saviez ce que ça nous coûte….... vous comprenez ? Nous ne pouvions faire autrement, c’est pour son bien, rien que son bien »
Des mots, que des mots, qu’un enfant de 10 ans ne peut, et ne veux comprendre, des mots pour se racheter.
Les papas eux semblent imperturbables, assis sur une chaise, regardent ce triste spectacle. Sans doute pensent-ils « tu vas le laisser tranquille ce petit, tu l’angoisses »,
Combien d’entre eux pleurent à l’intérieur ? Combien ont dû prendre la décision de ne vous éloigner qu’après un long et sournois chantage,
« C’est lui ou moi, tu choisis et viens pas te plaindre si … »
Ou tout simplement pour acheter la paix, à vil prix certes, même si pour cela il fallait sacrifier le petit sur l’autel de la paix
« Elle n’est pas si mal cette école, elle est propre et la directrice est bien gentille, tu seras bien ici »
C’est comme ça un papa, ça cherche à se dédouaner en permanence sur la maman qui décide.
Les papas sont faibles, tous les papas du monde ne peuvent accepter un exil de 200 kilomètres pour leurs enfants, ne peuvent non plus accepter du jour au lendemain de fabriquer eux-mêmes leurs cartouches sans penser tristement au fiston , à la première cartouche tirée ; elle n’a pas bien « pétée ». Ça se voit que ce n’est plus le petit qui les fabriquent, pourtant je fais comme lui, le petit est un champion pour ça !
Ne peuvent entreprendre la tournée des CT sans le p’tiot qui vous assomme avec ses questions. N’empêche, qu’avec lui, le temps passait plus vite, et puis elles étaient marrantes ses questions.
Ils ne peuvent non plus accepter d’aller pêcher sans les cris stridents du gosse qui vient de sortir sa truite dans la Moulouya, ni le cri de peur à la vue de l’écrevisse qui essayait de lui déguster le doigt, ni le jour où cet idiot à la pêche à la grenouille est tombé dans le lac, il ne savait même pas nager, on l’a sauvé de justesse. Tiens, on lui apprendra à nager la prochaine fois.
Les papas du monde, ce sont des hommes, et entre hommes on est solidaire ! Oui, mais les papas du monde ont une femme, et si cette femme décide, un jour où l’autre, le meilleur papa du monde cède face à l’acharnement d’une maman qui veut.
Et, ce qu’elle veut…………….elles l’obtiennent…
« Et bien, c’est fini, la valise est vide, voyons si je n’ai rien oublié »
Liste à la Prévert, comme pour se disculper et prouver qu’elle a menée à bien sa mission.
Tous les objets de supplice sont là, vêtements, chaussures, brosse à dents, cirages.
Tous bien rangés dans l’armoire, qu’il ne faudra pas oublier de fermer avec le cadenas. Dernière avertissement avant la fuite.
« Bon et bien, on peut partir, tu viens Maurice ?»
Elle devant, lui derrière, s’éloignent. En passant mon père d’un geste de défaite me passe les doigts dans les cheveux, il marche à reculons dans ce long couloir comme pour ralentir le temps, un premier demi tour, un second, il est loin. Il peut encore me sauver, lancer la cavalerie et gagner. L’escalier l’avale tel les sables mouvants, peu à peu, les genoux, les hanches, le dos, la tête, un dernier regard de consolation………..
« Tu as oublié la bise » !!!!!!!!!!!!!!!!!!

Photo du CT 63 a Midelt

La colline c'est "Lalla Mimouna", derriére les arbres à gauche c'est le CT 63 ou "paysannat qui parait il est en ruine total ( je viens de l'apprendre sur un forum de Midelt)
Je viens de créer un lien avec Midelt pour ceux qui m'ont demandé des photos, ou mieux de connaitre Midelt je vous engage à y aller.
(merci au blog "midelt web" pour la photo), ci joint sont adresse directe
La suite de l'histoire bientot