30 janvier 2008

Mes Années collége (épisode 1)


Le troupeau d’environ trois cents brebis, était très insuffisant pour deux familles, il en aurait fallu au moins cinq cents pour en vivre dignement. L’argent manquait cruellement et de plus en plus. Les terres aussi.
Mon frère, comme mon père, l’orgueil vissé au corps ne baissaient jamais les bras malgré les nombreux déboires auxquels ils avaient dû faire face.
Ce n’était pas les meilleures bêtes qu’ils avaient achetées, ni forcement la race la plus adaptée. L’inconnu, la découverte de la profession qu’ils venaient d’embrasser leur coûtait cher chaque jour.
Trouver un bon chien de berger, connaître les maladies, payer les vétérinaires dont le plus proche était à 25 kilomètres, et puis vendre ces agneaux. Il fallait faire comme les « gens du pays », vendre à la foire le lundi à Foix. La foire de Foix, point d’autre salut pour les paysans des montagnes, les maquignons de la région le savaient fort bien.
Dès 5 où 6 heures du matin, le café du foirail devenait le rendez-vous immuable des paysans de la Barguillière. Les paysans en attente d’être tondus, graves et le regard perdu dégustant un grand bol de café. Les maquignons adossés au comptoir examinaient leurs proies d’un œil acerbe, devant un ballon de rouge, un pain frais et un morceau « cambajou » (jambon) fermier. Leur éternelle baguette en noisetier, sceptre de leur pouvoir, accrochée au comptoir.
Les éleveurs présentaient leur maigre butin, je devrai dire leur maigre offrande aux maquignons de passage. Par tous les temps, toutes les saisons ou presque. Attendre l’hypothétique acheteur qui voudra bien daigner se pencher sur le malheureux animal que vous vendiez parfois pour vivre ! Seulement vivre !
La foire. Aux cris des veaux, vaches, cochons, bœufs, canards, chevaux, se mêlaient les exclamations du pouvoir régnant et sans partage des marchands de pauvreté.
Les paysans vivaient sous le joug des maquignons, de l’Aude, de l’Ariège, et même des Pyrénées Orientales. Ils se partageaient le marché sans vergogne. Avant le début des « enchères », les acheteurs s’accordaient sur les prix à payer pour la journée.
Nous avions vite compris la tactique des rapaces en blouse grise et bâton menaçant. Mais que faire quand le maquignon est maître ? Se faire voler le moins possible. Ils commençaient par renifler le marché, tâter du pouls de ces paysans mal dégrossis. Un tour du foirail encore engourdi par le froid matinal, juste pour repérer le marché, la qualité des bêtes, les nombre de mouton, et surtout quels éleveurs étaient présents.
Les blouses grises se réunissaient une deuxième fois au vu de tous pour bien faire comprendre aux serfs et manants que nous étions qu’il serait inutile de marchander. Le prix du marché sera tenu. Maquignon, c’est une secte ! De père en fils
Puis comme une nuée de rapaces sur les fragiles paysans, les voilà qui s’abattent sur le marché. Chaque paysan le souffle coupé, le regard hagard, interrogateur, voire aguicheur se demandait si les blousses grises daigneraient s’approcher de son coin.
Bien gras et transpirant, un rapace s’approche de mon père, espérant étreindre rapidement sa proie si facile et si docile désormais.
Première offre :
- Cinq francs, Maurice, c’est bon ! ». L’intonation n’est pas un point d’interrogation, mais point de discussion, c’est un ordre. Sans attendre la réponse de mon père, la main armée d’un ciseau, il commence à tracer sa marque, son sceau, en entaillant la laine. Les moutons lui appartiennent désormais.
- Voyons 5 francs, ce n’est pas possible ! La semaine dernière, c’était au moins 7 francs.
« La semaine dernière, c’était la semaine dernière. Il n’y avait pas assez de mouton. Tu vois aujourd’hui, il y en a trop, regarde ! D’un geste ample, digne des plus grands empereurs romains, comme si tous ces moutons lui appartenaient, montra la foule des paysans apeurés. Il avait raison.
- Vous allez en laisser sur le carreau, je vous le dis. Certains d’entre-vous remonteront avec vos bêtes. Vends moi les, voyons ! Tu démarres dans le métier, tu as besoin d’argent, non ? Mais continue, Maurice, tu fais du bon travail. Le genre d’encouragement qui vous permet juste de vous motiver pour ne pas arrêter, pour rester toujours sa proie, pour ne pas mourir de faim et nourrir son orgueil. L’encouragement qui vous maintient entre le suicide et l’enthousiasme.
Inutile de répondre, le maquignon avait raison, il y avait souvent plus de mouton que leurs besoins, du moins était-il capable de le faire croire après la messe de conciliabule de plein air qu’il venait de tenir.
Il était malheureusement vrai que mon père devait vitalement vendre. A 5 francs, il ne remboursait pas ses frais, mais s’il devait remonter avec ses 4 ou 5 brebis il lui manquerait de quoi acheter les premières nécessités pour la maison. Il entendait d’ici ma mère lui vomir qu’il n’était même pas capable de nourrir sa propre famille. Il n’en pouvait plus de cette éternelle réflexion qui le tuait à petit feu. Son orgueil d’homme libre lui pesait désormais. Il fallait aussi payer la coopérative, le crédit agricole, les assurances, et à manger s’il en restait.
Où es-tu Mandrin ? Reviens sauver les pauvres !
La laine ne se vendait pas mieux. Elle n’avait même plus de prix, on nous expliquait, les bras désolés, que les australiens avaient cassé le marché. Alors, on troque à la coopérative. De la laine, au poids, contre des vêtements en laine bien sûr !
Chaussettes, pulls, chemises…….mais la laine de mouton est inépuisable et les vêtements durent longtemps, alors on jette la laine.
Cette semaine encore nous mangerons les légumes du jardin, les œufs, les lapins, les poulets, les canards et tout ce qui porte plumes et poils dans la basse cour. Au moins nous ne mourions pas de faim et c’était déjà ça ! Pour l’huile, le café, le savon, il faudra faire attention. Les jouets ? Je ne savais plus à quoi cela ressemblait, je ne lisais plus le chasseur français ni Manufrance. Je n’avais plus le droit de rêver. Un enfant sans rêve………….ça crève à petit feu, c’est pire non !
Il devait vendre aussi parce que la bête non vendue à temps, au poids désiré par les fabricants de pauvres continuait à grossir et coûtait de plus en plus cher en nourriture, et vous n’étiez pas sur qu’au prochain marché le prix ne baisse pas encore.
- Elle n’est plus dans les normes Maurice cette bette, agneau de 100 jours ! Au lait de la mère ! On te demande ! Que veut tu que je fasse de celle là »
L’air franchement navré, il cherche une solution pour « sauver » mon père. L’œil en coin il pistait sans aucun doute sa réaction!
- Bon je t’aime bien tu sais je vais te rendre service 4frs çà va !
- Oui ça va » le tondu était soulagé d’avoir été volé ! Un peu pas trop !
Il l’aurai même laissé à 3 francs s’il avait fallu, tant qu’il ne se préoccupait plus de la marge qu’il pouvait faire, mais de la liquidité dont il avait cruellement besoin ! Mais des jours, il arrivait qu’un cher maquignon vous annonce assurément navré
- Votre mouton est bien beau, mais moi je cherche de l’agneau de 100 jours et là il est bien trop gros, il fallait l’amener avant, je vous l’aurai acheter ! Assurément !
C’est quoi qui nous retiens à cet instant de lui flanquer une trempe ? La stupéfaction ? La peur ? La lâcheté ?........Rien de cela, mais l’esprit de survie, et de conservation qui vous gère inconsciemment votre vie. Bousculer cet homme c’était mourir, pas de mort subite non, mais oh plus grave, la mort à petit feu, de celle du genre :
- Tu peux toujours descendre tes moutons Maurice, personne ne te les achètera », et c’est sûrement ainsi que cela se serai passé.
Comme à la douane française, encore une fois tu enroules ton orgueil autour de tes points, tu te fais la promesse qu’un jour viendra ou……, mais tu ne bouges pas en attendant ! !
Avale ton orgueil !avale !sans eau à sec ! Un jour viendra tu l’espères ou ils iront rejoindre dans la toujours grande fosse de la foret de Tedders, les dockers, les douaniers, et quelques français.
Ils étaient bougements puissants les gras en blouses grise, et point de Jacquou le croquant pour se révolter. Impossible de connaître le prix du marché qu’ils avaient fixé à la journée, parfois même à la demi journée. Le matin un prix et le soir un autre bien plus bas. La technique consistait aussi à faire faire le yoyo au prix pour affoler les paysans qui ne savaient plus ou donner du portefeuille
- Alors Maurice cinq francs c’est bon
- Non j’attends
- Attention Maurice cinq francs maintenant c’est beaucoup, ce sera peu être quatre tout à l’heure !
Ainsi ne reculant devant aucune ignominie, les blouses grises tondaient régulièrement tous les lundi, ce bétail humain, et docile à merci.
Au début il refusa ce chantage à la misère, il remonta plusieurs fois avec ses moutons. Préfèrent entendre les miséreuses remarques de ma mère que de capituler sans combat devant l’armée des blouses grises. Mais la coopérative, le crédit agricole, les assurances n’avaient pas beaucoup plus de compassion pour lui que les maquignons du marché
Lentement, fatalement, l’orgueil, sous le mouchoir, il vendait. Toujours à la limite de son prix de revient. Parfois bien plus bas, et parfois, mais rarement, il explosait de joie dans sa vielle 4 l. Quelques liasses de billets bien serrés dans le fond de sa poche lui tenaient chaud, et le rassurait pour quelques temps.
- Maman me disait il, ainsi nommait il ma mère, « me foutra la paix. Quelques temps !pas trop ! Le temps de reprendre son souffle, le temps que les billets fassent aussi leur temps, et l’anesthésies, puis elle recommencera.
Quelques notes sifflées sur l’air de la Montagne de jean Ferrat ne laissait plus aucun doute, il avait tout vendu et très bien vendu.
Alors mon frère et lui se sentaient à nouveau d’un courage tout neuf, à toute épreuve, c’est assuré maintenant leur travail va payer enfin, ses moutons sont appréciés, il va réussir et Claude avec ses trois enfants aura enfin un salaire c’est promis. Ils signaient tous les deux un nouveau baille avec les moutons et les maquignons, ça ira mieux maintenant !c’est sûr ! A table alors une bouteille de « vieux pape » venait sceller le renouveau

20 janvier 2008

Mes années France ( épisode 23 )


De cette année là, je me souviens aussi de mon certificat d’étude. Je l’ai eu !
Non sans vanité, gloire débordante et enthousiasme, je me présentais le soir devant mes parents et attendais le bon moment pour leur annoncer ma première grande victoire. J’avais vaincu l’école qui ne me voulait que du mal. A l’époque, avoir son certif c’était important ! Le bout de papier qui change tout, le passeport, le papier qui faisait enfin de moi un gosse normal pas plus bête que les autres, je rentrais dans le rang. J’obtenais mon droit d’asile, de séjour, j’étais Français Ariégeois. Et Dieu sait si je voulais être comme tous. Je n’étais plus le pied noir rapatrié mais Patrick de Serres sur Arget le petit qui a eu lui aussi comme les autres, son certificat d’étude !
Je farfouille et triture le plus profond de ma mémoire à la recherche de cet instant magique et merveilleux bien enfoui. Je me désole de ne pas y trouver un sourire, une félicitation, un « bravo petit, nous sommes fier de toi ! »
Sans doute alors, suis-je allé dans ma chambre, blogger mon cahier intime et lui jeter en pâture père et mère. De rage !
Je rentre en 6ème,………………non plutôt c’est la 6ème qui m’aspire !
Ce qui me surprit le plus, c’est de ne pas avoir été inscrit au pensionnat, mais seulement comme demi-pensionnaire. Cela me parut louche, j’attendais avec appréhension, du jour au lendemain le contre ordre. Il n’était pas dans leurs habitudes de me garder si près d’eux. Mon passé douloureux de pensionnaire trop précoce m’en est témoin. Je ne me souvenais que trop bien des nuits sans nuits du lugubre lycée de Meknes.
J’en bavais intellectuellement, trop dure cette sixième !
Du moins, appelons cela plus simplement, je n’avais pas du tout le niveau. À 11 ans en sixième ce n’était déjà pas un exploit. Mais la faute à qui ?
Qui a oublié de m’envoyer à l’école pour ne s’apercevoir qu à sept ans qu’il était temps d’y penser !
Qui m’avait déraciné et rempoté chaque année dans des écoles différentes ? Midelt, Mibladen, Meknes, Serres sur Arget. Un terreau nouveau à coloniser tous les ans.
Je ne pouvais que leur en vouloir. De ma mère, je le comprenais, elle n’avait quasiment jamais été à l’école. Jeune, orpheline, elle apprit plutôt à garder les moutons en Auvergne que les tables de multiplication ou la littérature française. Une main d’œuvre bien peu coûteuse ! Juste le prix de la nourriture et du foin dans la grange qui lui servait de literie, pardon de lit douillet et de chambre à coucher spacieuse.
Mon père, par contre lui, était un puits de science ambulant, ce ne sont pas non plus les années d’études qui le forgèrent, mais il avait réussi son certificat d’étude en étant le second du canton.
A cette époque, 1915, un certificat d’étude valait sans problème un bac actuel. Des preuves ! Vous voulez des preuves ! Il aurait battu pour nombre d’entres vous et moi de même à la dictée de Pivot. Plus tard seule ma femme osait le provoquer en duel à la dictée, elle était secrétaire, et semble t’il excellait en orthographe. Je les revois tous les deux s’échauffant avant l’émission, lui tranquille, sûr de sa force et de son certificat d’étude à l’ancienne, elle bardée de diplôme à l’école privée « Pigier ».
Pivot arrive, le match commence, le stylo dans les starting-blocks, ils attendent. Pivot commence, le silence s’empare de la pièce. Moi j’avais toujours mal à la tête, ou bien avais-je un livre à terminer pour ne pas participer à ce duel dont je connaissais malheureusement l’issue fatale. C’est cela, j’avais toujours quelque chose d’urgent à terminer, et cela n’attendait pas. Je m’éloignais. Sournoisement, je les enviais. Du coin de l’œil, et du bas de ma honte je guettais cet homme à la télé qui parlait si bien. Il me faisait à nouveau penser à mon instituteur qui tentait par tous les moyens de nous guider sur la terminaison de mots en les prononcent bien intelligiblement, et insistant sur les terminaisons. J’aurais aimé être des leur, être de celui qui tente un jour la dictée de Pivot. Un rêve comme le voyage de la Mecque pour un Musulman, ou la route 66 pour un motard.
Posez les stylos. La correction.
Des Ha ! Ho ! Merde ! Et pourtant je le savais ! Des passés du subjonctif plus tard, et des participes passés ou présent placés avant ou après. Des choux, poux, cailloux, genoux, plus tard. Des verbes du 1er deuxième ou troisième groupe plus tard, et toutes les exceptions à la règle plus tard, et après avoir évité les piéges de l’académie française, mon père gagnait. Comme toujours. Sauf une fois. Ce jour-là il devait être ailleurs. La victoire modeste, il offrait toujours son coup à boire, et lancé un nouveau défi, à l’année prochaine !
CQFD le certificatif d’étude à l’ancienne, c’est du bon !
Il était incollable en histoire de France. Pouvait réciter jusqu'à la fin de sa vie, les cantons, chefs lieu de canton, les départements français
Il lisait tous les soirs en partageant à égalité ses longues lectures nocturnes avec un ulcère à l’estomac, et des crises de paludisme, vestiges de ses années marocaines, qui le rongeaient sournoisement peu à peu, en douceur, sans bruit.
Il était incollable sur les grands hommes, ou du moins ceux qui avaient marqué leurs temps, choix éclectique comme Napoléon, Jean Moulin, Lafayette, Pompidou, Churchill, De gaulle etc….
Lui aurait pu s’occuper de moi. Je comprenais aussi que le temps libre ou vacances ne faisaient plus parties de son quotidien, de ses préoccupations. Jamais arrêté, jamais en repos. De sa vie française, il n’est plus jamais allé à la pêche, ni à la chasse, et je ne me souviens pas l’avoir entendu dire qu’il prenait la journée pour se reposer.

09 janvier 2008

Mes Années France (épisode 22)

L’école recommença. Jacques Brel fait ses adieux, California Dream me fait pleurer, Dutronc en réclame encore plus « Et moi ! Et moi ! Et moi ! » Belphégor hante mes nuits.
J’étais à présent chez les grands au CM2 et préparais mon entrée en sixième à FOIX. L’instituteur reprit son entreprise de construction, il bâtit peu à peu un môme puzzle en entier.
J’eus le droit cette année là à sa seule punition. Mes parents s’étaient absentés, je devais rentrer à la maison et me faire à manger tout seul. J’avais eu en récompense une pièce de un franc. Je crois même que cela ne m’aurait pas gêné qu’ils absentent tous les midis contre une pièce de un franc.
A la recréation avec ma pièce bien au chaud au fond de ma poche, je quittais l’école accompagné de mes amis. Nous étions attirés, aspirés même par l’odeur des friandises de la vielle dame de Serres qui tenait le bureau de tabac. Le dernier commerce avec l’épicerie sur la place du village. Ma première école buissonnière.
Nous entrons, la porte sonne, la vieille dame s’approche, je montre ma pièce :
« Je voudrai pour un franc de bonbons. »
« Un franc, d’un coup ? En une fois ? C’est beaucoup ! Tu es sûr ? »
« Oui madame. »
Je me demandais si elle n’était pas en train de penser que cette pièce je l’avais volée. Je n’avais jamais auparavant dépensé un seul centime de bonbons dans sa boutique.
« Alors, choisis mon petit » me dit-elle presque à regret, toujours méfiante. Sûr qu’elle en parlera à mon père, la mégère, je le vois dans ses yeux interrogateurs qui déjà me condamnent.
Devant nous des grands bocaux fermés, transparents, aguichants le chaland. Des couleurs, des odeurs, et la promesse d’un futur proche à « se niquer les dents » comme le dit si bien Renaud.
Du doigt, je montrais, Carambar, Malabar, pochettes surprises, réglisse en rouleau, en bâton, torsades ou pas, fourrés de rouge, de jaune, de vert. Mes yeux ne suivent plus mes gestes, ils brillent et mon ventre est gros du plaisir qui l’attend, je demande à mes amis
« Que voulez vous ?»
Nous recommençons. Des carambars, des bonbons durs, tendres, moûts, des qui font mal au ventre, des qui vous collent les dents, des qui sifflent, des avec un bâton au milieu. Des surprises à ouvrir,
Des ……………….………….
« Il me reste encore des sous, Madame. »
« Oui encore un peu, continue »
Le premier sac plein, nous attaquons le second. Non pas de gâteau ma mère m’en donne ! Du chocolat plutôt, en barrette, blanc et noir, des …..
« Stop, tu en as pour un franc, mon garçon. »
Ouf ! Nous commencions à nous fatiguer et la classe va bientôt reprendre !
Le partage commence, chacun, discipliné attend sont tour et sa poignée de plaisir.
A l’école, le maître nous attrape dès l’entrée, près du portail, la bouche pleine de ces nouveaux bonbons tout mous, les mains chargées du trésor, les yeux ronds et le souffle court de la peur qui soudainement nous tenaille l’estomac, à moins que ce soit les bonbons avalés en force, sans mâcher.
« Donnez moi ça Patrick, vous n’avez pas honte de gaspiller! »
Il me vola !
« Et j’en parlerai à vos parents. »
Il me tua !
Surtout ne pas en parler à mon père ! Il juge très vite, trop vite. Je suis déjà condamné !
Je ne pourrai lui expliquer que cette pièce de un franc c’était pour moi ma première liberté. Celle d’offrir aux copains, de décider tout seul. Ma première pièce, mon premier cadeau depuis le Maroc, j’en fais ce que je veux, c’est pas gaspiller c’est partager, donner, aimer.
Il n’en parla jamais à mes parents. A la fin de la journée, il m’appela, une fois seuls, lui et moi, il me tendit mes bonbons. Je ne me souviens pas de ma réaction, mais si je me connais bien, je n’ai pas du dire merci, trop fier ! Trop con ! J’ai du le regarder dans les yeux et accompagner ma gratitude d’un sourire rapide.
« Il fait le geste qu’il faut ce petit, il faut vite le détecter c’est tout » disait le vieux de Layrole.

02 janvier 2008

Mes années France ( épisode 21 )

Ces sacrés moutons que je malmenais parfois, souvent même, tant ils m’en ont fait voir. Les coups de faux rageurs pour nettoyer et extirper genets et fougères. Les prés à présent reconquis par la force et le courage. Les forêts où j’allais ramasser selon les saisons, champignons, châtaignes, pommes dans les vergers abandonnés dont le vieux monsieur m’avait parlé, et même fraises sauvages. J’en connaissais les moindres recoins, les moindres secrets qu’elle avait bien voulu partager avec moi. J’aimais plus que tout cet univers rassurant qui fonctionnait comme un régulateur.
C’était le matin le plus beau, en été surtout, même si été et Layrole rimaient malheureusement avec fourrages et travail.
Très tôt, juste à l’instant magique où le soleil a rendez-vous avec la montagne refroidie par la nuit, les premiers rayons effleurent les prés qui s’ébrouent et se chauffent au plus vite. La rosée disparaît peu à peu, l’herbe se sèche, on peut sortir les moutons.
Les jours où je gardais les moutons, j’ouvrais la bergerie, j’allais les accompagner vers les prés gagnés sur le maquis, un bien joli coin où je savais l’herbe en abondance. Les chiens depuis qu’ils étaient montés dans la voiture à Serres, n’attendaient que cet instant, celui de prendre en charge le troupeau, de deviner le plus rapidement possible l’endroit choisi pour aussitôt se mettre à mon service.
Ils n’avait d’yeux que pour mes signes de commandements, ils exécutaient l’ordre et souvent venaient chercher une caresse réconfortante et encourageante. Ils ne cherchaient qu’à repartir en manœuvre, en rajouter pour m’être agréable. Dés que l’un d’entre eux avait subtilement deviné où nous allions, il le faisait savoir aux deux autres, et mon travail s’arrêtait là, les chiens prenaient le troupeau en charge. Je marchais devant, eux balayaient l’arrière, l’oeil attentif, le nez pointé vers l’avant, vigilants à mes ordres, prêts à ramener les brebis fugueuses ou buissonnières. Les trois chiens de père en fille canalisaient cette bande désordonnée pour la transformer en quelques minutes en un régiment en ordre de marche.
Une fois sur place, je pouvais m’installer, m’asseoir, choisir un excellent point de vue, dominer le troupeau et rêver. Au loin, les Pyrénées, amies fidèles. Et je ne m’ennuyais jamais.
Je décidais seul de l’endroit où aller faire paître le troupeau. Je passais de temps à autre devant la maison de notre septuagénaire lorsque je les emmenais vers les « Fautils ».
Au fait comment se nommait-il ?
Je suivais des yeux en avançant cette bâtisse désormais fermée, désarmée à nouveau devant la vengeance des ronces et fougères. Je laisserai les moutons brouter de temps à autre, ils tiendront éloignés les envahisseurs, et lui la haut j’en suis sûr, en sera tout retourné.
« Ce petit décidemment pas très bavard a toujours le geste qu’il faut, mais faut faire vite pour le voir ou le comprendre » Lui me comprenait.
C’est presque à regret que l’été se termine. Je vais reprendre l’école.
« Les moutons ont bien profités » me dit me père. Je suis très fier de moi