25 juillet 2007

Retournerai-je à Midelt (episode 22)


Un matin aussi angoissant que les autres, comme les hirondelles, il a reçu le signal du départ que lui seul a su décrypter.
« Nous partirons à la fin de la semaine, lundi au plus tard ».
Alors ce sera lundi pensais-je si fort, qu’il ajouta :
« Lundi, si vous voulez ».
Ce triste répit ne nous fit pas plus plaisir que cela, sans doute quelques jours de souffrance en plus à attendre l’exode forcé.
Mais ne valait-il pas mieux souffrir chez nous à Midelt que là-bas dans ce village ? Comment se nomme t’il déjà ?
J’aurais tant aimé une heure, une minute, une seconde, retourner au paysannat et Lalla Mimouna pour leur dire au revoir une dernière fois et leur promettre que je reviendrai. Je ne sais quand mais je reviendrai embrasser cette terre ingrate si peu fertile mais si attachante. J’aurais encore une fois souffert la déchirante séparation, mais l’attente à la fois si loin de mes seules vraies racines et si près m’était insupportable.
Je lui en voulais, lui mon héros, de ne pas me l’avoir proposé.
Nous étions les rares derniers français à quitter Midelt, du moins je le crois, personne ne vint nous dire au revoir en dehors de Mr Bunsik et de Porcela le pharmacien.
La douleur du départ ne suffit pas, je vécu un autre affreux dilemme
« Toto, Rika et Look, c’est trop ». Patrick, il faut choisir, deux chiens et pas trois dans le coffre »
« Rika vient c’est la seule bergère allemande, choisis entre Toto et Look celui que tu préfères ».
Mais celui que je préfère moi c’est les deux ! Pourquoi à moi la douleur déchirante du choix. C’est comme les fois où il me demandait « tu préfères ta mère ou ton père ». Je savais moi que je préférai mon père et que j’avais une peur bleue de ma mère. Lâchement, jamais ne n’ai choisi. Au moins, étaient-ils fiers que ma réponse fût toujours :
« Les deux, Papa ».
Je savais pertinemment que je mentais, mais ma méfiance de chasseur me soufflait ce mensonge à l’oreille. Je mettais à mal l’éducation chargée de respect que mon père m’inculquait tous les jours, et notamment, « le mensonge ce n’est pas beau ».
Et bien oui, le mensonge c’est beau. La preuve mon mensonge vous fait plaisir !
Je devins glacial. Mon corps se pétrifiait juste à l’idée de devoir choisir, et d’envoyer dans le passé le chien que j’allais abandonner.
Je tentais sans espoir et sans conviction de ne pas choisir, mais raisonnablement, intimement, je convenais que trois chiens ne contenaient pas dans la malle.
Mr Bunsik, s’approcha de moi.
« Je choisis pour toi, Toto est trop vieux, le voyage sera trop long pour lui, laisse le vivre et mourir tranquillement ici, dans son pays.
Cette pensée de savoir Toto mourir chez lui et de ne pas connaître l’exode, aussi paradoxal que cela puisse paraître m’affranchit pour quelques temps de la douleur.
« Tu sais que je l’aime, je m’en occuperai très bien, tu as ma promesse » me répéta t’il d’une voie rassurante et apaisante pour me convaincre définitivement.
Je me suis empressé de le croire. Son discours m’arrangeait et me libérait lâchement du choix, qu’inconsciemment j’avais déjà fait.
« Monsieur Bunsik dit que Toto est trop vieux, j’ai pas le choix on emmène Look ».
J’ai encore son dernier regard en mémoire, le regard d’un épagneul fidèle à mourir, vous connaissez ?
Le regard d’un épagneul qui n’a jamais compté sa peine pour nous ramener devant nos fusils perdreaux et lièvres.
Le regard absent d’un ami fidèle qui sait que vous allez lâchement l’abandonner et qui en plus fait semblant de ne pas comprendre votre méfait.
Ainsi j’abandonnais Toto, devant la porte d’entrée, trop vieux pour se déplacer. Je suis sûr qu’il avait compris, j’aurais tant aimé qu’il me dise qu’il me pardonnait et que je n’avais pas le choix, que c’était mieux pour lui »
Au moins un kilo de sucre devant son nez gourmand tentait de racheter ma trahison. Une dernière caresse pour me rassurer. Juda !
Les deux autres chiens, sans un mot m’épiaient, déjà couchés dans le coffre, évitaient la scène et mon regard, le cœur en transe, en espérant que je ne change pas d’avis.
Une cale pour l’air,
Un tendeur pour fermer le coffre.
Un tour de clef.
La voiture endormie par les premières chaleurs, sursaute et démarre.
Deux bras par la fenêtre timides s’agitent machinalement, les ultimes au revoir au présent, sans futur proche.
Je me retourne Toto s’et levé et court derrière la voiture.
Je m’enfonce dans mon siège et pleure. J’avais abandonné Toto comme il y a quelques années, j’avais moi-même été abandonné à Meknes, perdu dans la nuit, et dans mes draps. Pensionnaire de ce lycée trop grand pour moi.
Adieu jardin des dieux.
J’ai peur de demain.
J’allais découvrir un nouveau mot pour ma collection, que je jetais au fond de ma poche comme une poignée de cacahuète (sic Majid Blal) le mot, « rapatriés », et en apprendre la douloureuse signification.

15 juillet 2007

Retournerai-je a Midelt (épisode 21)




Sur une carte de France, je cherchais Serres sur Arget, ce doit être très petit. Je ne trouve pas. Si ça n’existe pas, on ne pourra pas y aller ! Diable que les gosses sont innocents !
Je me rends compte aujourd’hui que pendant mes années Maroc, je ne me suis jamais préoccupé à quoi pouvait bien ressembler la France, pas même où elle se situait.
J’exagère un peu, je savais qu’on traversait la mer. J’aimais prendre le bateau à Tanger. Puis il fallait traverser l’Espagne, au choix, parfois par la côte, et parfois au plus court par le centre. Mon père aimait énormément ce pays.
« Le soleil n’y chauffe pas comme ailleurs, les filles sont belles, et le vin excellent ». En quelques mots il résumait parfaitement l’attachement festif qu’il portait aussi à ce pays. Mais il aimait par-dessus tout, s’arrêter chez l’habitant et manger des tapas, au bar, un verre de « Rioja » ou de « Valdepenas» à la main, et discuter avec les espagnols, loin des hôtels à touristes.
« Tapas y vino tinto, ariba Espana » lançait-il toujours pour démarrer et clôturer la soirée, avant d’offrir toujours la dernière tournée ».
D’années en années, il s’arrêtait toujours au même endroit « el rincon de Pépé » à Valence. Il y était attendu, j’en suis sûr ! J’ai dû, sûrement moi aussi, hériter de ces tendances hispaniques.
Ensuite nous arrivions en France, juste après que les monsieurs en habit bleu de méchant aient frénétiquement terminés de dépouiller la voiture. C’était un rituel bien huilé, avec un malin plaisir et chaque fois qu’ils voyaient une voiture immatriculée au Maroc.
Nous le savions tous, c’était le rituel auquel il fallait se soumettre. Nous passions ensuite des heures à re-ranger les vêtements et objets habilement étalés sur la chaussée un peu à l’écart du poste.
« Pourquoi papa à chaque fois qu’on passe devant les monsieurs en bleu, ils nous vident la voiture ? »
« Ils n’aiment pas les Pieds noir mon enfant »
Cela suffisait comme explication, les pieds noirs ! « Ces esclavagistes buveurs du sang qui nourrissait leurs ouvriers avec un bol de riz ». (Sic)
Mais l’Espagne est bien loin ce jour d’avril 1964. Je vivais dans l’angoisse journalière d’entendre le signal. J’imaginais comme au temps des cow-boys mon père sur son fier destrier siffler et d’un geste de la main, nous indiquer à tous que la caravane s’élançait vers l’aventure. Malheureusement, là nous rentrions, humblement, tout simplement sans faire de bruit.

08 juillet 2007

Retournerai-je a Midelt (épisode 20)


Monsieur Bunsik habitait en bordure de Midelt. Pour moi c’était la ville, pas de moineaux, plus de hyènes, plus de Mimouna à escalader…je m’ennuyais. Les poings inutiles enfoncés dans les poches, je footballais les cailloux de la cour. Moi qui ne savais que chasser, galoper, défier Orus le taureau de race de la ferme, manger des sauterelles grillées sur le « camoun » lors des invasions, chaparder avec la complicité des enfants la viande boucanée pendue sur une corde qui nous alléchait et nous narguait.
Je regrettais même de ne pas aller à l’école, je ne me serais pas ennuyé au moins. J’aurais à nouveau fait la connaissance avec la tendre baguette magique de Driss, celle qui te stimule les fesses et le cerveau. J’en arrivais à souhaiter re-goutter l’amertume de ses caresses sur mes frêles guiboles. Pourtant elle n’était pas bien loin, personne s’en était préoccupé, un oubli, je n’en sais rien. Trop de choses à penser.
Comme j’ai oublié le temps à retarder le signal de l’exode. Attendre l’angoisse du signal effrayant que donnerait mon père. Celui de l’appel du deuxième départ.
Les chariots de feu à l’envers, Go Ouest ! Vers le nord, la caravane des pionniers qui retournent chez eux la tête basse, honteuse d’avoir échoué dans le nouveau monde
Mon père avait déjà accompli plusieurs voyages en France avec notre fidèle Peugeot, pour préparer notre arrivée. Bien entendu, rien n’était prévu là-bas en métropole, et cela ressemblait bien à de la précipitation non préméditée, à un coup de tête.
Il nous dévoilait ses plans au compte goutte sur la maison qu’il venait d’acheter dans l’Ariège grâce à Monsieur Marquis un ami pâtissier.
« Tu connaissais » me disait-il, « la maison louée à Lux, tu t’en souviens on avait passé des bonnes vacances non ! Et bien c’est à coté ».
Je savais qu’il cherchait par ces tristes mots à acheter mon acquiescement à ce voyage, il cherchait des alliés, je n’en étais plus un. Il tenta alors de me dire que je ne serai pas dépaysé puisque je connaissais un peu la chute de notre histoire Marocaine.
Oui bof, je n’étais pas plus rassuré pour autant, mes souvenirs de France n’étaient vraiment pas des plus immortels. Pas de quoi motiver et convaincre un chasseur à la transhumance forcée. Un berbère, son cheval, son sloughi et sa « crîma » à changer de pâturage, se perdre vers l’oubli.

01 juillet 2007

Retournerai-je à Midelt ? (episode 19)


Ce triste moment s’est déroulé vers Mars 1964. Aujourd’hui encore j’entends les pleurs des fantômes. Sur ce blog, le Docteur Mouhib est venu ressusciter les pleurs et les lamentations de souvenirs douloureux que je croyais à jamais enfouis. Il a rencontré des Mideltis qui étaient présents au départ de mon père, et lui ont raconté la scène que je viens de conter. Pas un mot n’a manqué, ni même les émotions.
Un camion, quelques jours avant, était venu chercher nos grosses malles en bois. Toute notre vie avec ses souvenirs bien rangés au carré dans des caisses fermées à double tour. Pour être sûr de ne rien perdre, ni rien oublier de son passé. Pour les empêcher de s’enfuir ou de tenter de rester à Midelt.
Le poids est limité, il faut trier. Quels souvenirs faut-il emporter ? Les meilleurs sans doutes, mais lesquels, il y en a tant !
Les journées de chasses avec Almy et nos deux chiens, ou la pêche à la Zaouïa de Sidi Amza, pas beaucoup de truite mais que des grosses.
Imsouane et ses barques bleues ou les sardines de Safi ?
L’outarde de ksar Souk empaillée dans le salon ou le mouflon de Tedders ?
Les couvertures de Chichaoua ou la table de Mogador ?
Les épices de Marrakech ou la théière de Midelt ?
La Mimouna ou le Moussen d’Imilchil ?
Les hyènes mystérieuses ou les gerboises intrépides qui nous narguaient du bord de la route ?
Mais comment emmener mes amis avec moi, les rires de Fatima, la peur de Slimane et les grimaces de Mohamed.
Au loin, La Mimouna, ma mère, ma montagne éternelle pour des siècles, ne me reverra plus l’escalader en marmonnant en arrivant à son sommet qu’elle avait bien voulu par indulgence me laisser escalader. « Je suis Patrick le chasseur de l’atlas ». Des larmes rouges et ocres ruissellent sur ses flancs. Elle aussi gémit, j’en suis sûr, je l’entends ! Je le sens.
Il ne faut choisir que les bons souvenirs, ceux qui un jour vous aideront par leur seule pensée, à vous échapper de votre vie sans vie, de votre cauchemar. Un léger rictus aux lèvres et un hochement de tête sauront sûrement pour quelques courts instant raviver la flamme de ce passé si pressant.
Sans doute aussi, emporter et essuyer vos larmes, celles qui depuis trois jours deviennent votre quotidien. Même la bonne n’a pas le droit de disposer des caisses du désespoir, du demain qui fait peur, de la France qui ne nous attend pas.
De super directeur à éleveur de moutons, voila le futur de mon père. A-t-il au moins une vague idée de ce qui l’attend ?
« Papa il n’est pas trop tard pour rester »
Pourquoi n’ai-je jamais crié cette phrase. Pourquoi restait-elle enfouie dans mes entrailles sans jamais s’exiler.
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