26 septembre 2007

Mes années france (épisode 7)


Souvent mon père regrettera qu’en France, même un contrat en bonne et due forme ne vous mette pas à l’abri d’une escroquerie. Il en souffrit, il en sera même victime.
« Au Maroc, me disait-il, je faisais des contrats avec les fellahs ou les Caïds des Douars voisins tous les jours, jamais un écrit. Il suffisait que le sage du village soit présent, il était respecté et sa parole scellait les contrats. Après une tape réciproque dans la main qu’il fallait ramener sur son front et son coeur, nos allions boire le thé.
Nous espérions l’un et l’autre que les pommiers que nous allions planter allaient apporter non pas la richesse, mais un peu de bonheur, et amélioreraient la vie des gens. J’avais engagé mon nom, ma réputation, et lui son peuple. Il croyait en mes mots en mon enthousiasme pour ce projet fabuleux d’introduire la pomme à Midelt. Puis nous nous séparions sans oublier de nous saluer encore par respect. Le dernier mot de toutes les conversations avec un marocain se termine par « Inch allah » (Si dieu le veut). Jamais je n’ai eu le moindre problème avec eux. Et les pommiers sont encore dans la mémoire collective de Midelt.
« La parole d’un berbère vaut tous les contrats de tous les meilleurs avocats du monde ».
Cette phrase sans qu’il puisse s’en douter allait devenir le fil conducteur de l’éducation que je voulais me donner. Elle parlait d’honneur, de parole, et de berbère. Moi, j’avais promis d’être berbère quand je serai grand. Pour commencer il fallait leur ressembler. Je me répétais « honnête, et parole d’honneur, voilà la trace à suivre ».
Il nous éleva mes frères et moi, selon ce même principe du respect de la parole, du respect des autres. Ce fut là son seul héritage. Après en avoir parfois fortement douté, tant il est difficile dans ce nouveau monde de vivre au milieu d’individus n’ayant aucunement envie de respecter cette même règle. Ma foie en ses paroles vacilla souvent, mais ne rompit jamais. Je sais malgré tout qu’il avait raison.
A mon tour, modestement, j’ai tenté de faire partager cet héritage atavique à mes enfants, qui je le crois, eux ne doutent pas. Ils en ont fait leur mode de vie. J’en suis fier pour leur pépé Maurice. Son héritage survira une génération de plus.
Et tant pis si de temps à autre, nous aussi, ses fils et petits fils, avons subi des désagréments de cette éducation parfois trop idéaliste, si respectueuse d’autrui et des règles de vie en communauté. Nous sommes tous dignes de lui ressembler. En cela, nous sommes des fils de « Berbères », et pas peu fiers.

18 septembre 2007

Mes années France (épisode 6)


A présent, je m’en voulais déjà d’avoir manifestement et aussi rapidement admis que le Maroc allait devenir pour moi une chimère inatteignable. Un passé encore très présent certes, mais il ne fallait plus rêver de pouvoir y retourner. Si ce n’était en vacances. Vœu perpétuel et mensonge conscient. Juste le temps adoucir la rupture et tuer l’angoisse du départ.
Alors, là ou ailleurs il faudra bien s’adapter, se « caméléoniser » au pays, à ces gens, à tout, et à l’école que je devais découvrir au plus vite.
Après renseignement, elle était tout proche, j’irai à pied le matin, pas demain, mais après-demain, l’instituteur m’attendait. J’étais inscrit à l’école communale du village.
Je n’arrivais à croire que l’école fut toute proche ! Cette situation pittoresque me paraissait inimaginable et impossible à admettre. Cela n’allait pas durer, c’était trop beau ! Cela va changer bientôt. Juste le temps de se fixer un peu, et hop ! Je serai à nouveau pensionnaire quelque part par là. Un peu loin ! Pas trop prés non plus. Juste assez loin pour ne pas trop les déranger !
Voila sans aucun doute possible ce que l’avenir me promettait de mieux dans son grand livre ou tout était écris. Cela avait toujours été comme cela avant, et je ne vois pas ce qui pourrait changer maintenant !
En attendant, certain du sort qui m’attendait, je vais profiter de cette école, et au bref répit de ma transhumance sans doute déjà programmée, pour bien travailler et rattraper mon retard.
Le lendemain de notre arrivée, mon père tenta de piquer notre curiosité à l’idée d’aller voir notre future maison, mais toute sa passion fut vaine. Ni moi, ni ma mère ne semblaient répondre à son excitation bien trop feinte. Sans enthousiasme, nos pas nous ont menés à Serres, ce n’était pas loin.
« Elle est où la maison ? ».
Le nez à travers des barreaux d’un portail délabré, je venais de questionner mon père.
« Là devant ! Voyons c’est assez visible. »
« Moi je ne vois que des ronces et des arbres partout ! » répliqua ma mère, un tantinet exaspérée.
« La maison est sous les ronces, un petit coup de nettoyage et elle sera habitable !
« ……………………….. » !
Il n’eut pas le temps de placer un autre mot, pas même une syllabe, que sitôt ma mère le fusilla sur place !
« Et tu nous as fait quitter le Maroc pour ça ! »
« Tu ne changeras jamais ! Après la baraque en planche de Timexaouine, on repart encore une fois à zéro! J’en ai marre ! »
Je ne compris pas tous les mots qui suivirent, certains appellent cela un chapelet d’amabilités. Sitôt sa poésie terminée elle s’engouffra dans la voiture, suivi de son fiston qui lui aussi comme un grand voulait étaler toute sa désapprobation, les bras croisés et la mine grise !
La maison se camouflait habillement sous les ronces aux yeux et aux sarcasmes des passants depuis plus de dix ans. Emprisonnée presque jusqu’au toit, d’où timidement se dévoilait une cheminée. Elle lançait désespérément depuis ce temps un SOS aux passants moqueurs.
Sa détresse était telle que nous n’avons pas pu y entrer pour débroussailler la cour par l’entrée. Dés le lendemain, c’est depuis chez le voisin que nous avons entamé le travail de reconquête de cette maison oubliée de tous.
Une maison d’un étage, une maison abandonnée que plus personne ne voulait au village. Mais pour un pied noir aux abois elle fera bien l’affaire. Et puis il n’y avait pas le choix alors ! Il prendra ce qu’il trouvera !
Bien plus tard, nous apprendrions que le prix exorbitant qu’avait du débourser mon père pour l’acheter, avait été calculé spécialement pour un pied noir «sans doute plein aux as ».
Ils l’ont regrettés, m’ont-ils dit un jour, mais bien plus tard, au moins dix ans plus tard ! Le temps de passer du sobriquet méfiant de Pied Noir, parfois même d’arabe, à celui de Maurice, Patrick, ou Marie Louise !
« Quand tu n’as pas le choix, le commerce se fait sur ton dos. » constata mon père. Mais moi je sais que lui n’aurait jamais accepté de profiter d’une telle situation pour s’enrichir et profiter du malheur des autres. Il était bien trop épris de justice et d’humanisme pour imaginer un seul instant cela. Mais voila, nous étions en France et il fallait bien s’adapter. S’adapter, s’adapter, notre maître mot à tous ….sauf à ma mère. C’est la France qui s’adapterait à elle ou sinon tant pis. Comme ni l’une ni l’autre ne firent le premier pas, elles vivront toutes les deux jusqu’à la fin, dans une totale ignorance l’une de l’autre.

13 septembre 2007

Mes années France (episode 5 )


Je compris bien plus tard, lorsque j’assistais au déballage des menus trésors enfouis, que le risque avait été minutieusement arbitré entre différentes cachettes que je ne soupçonnais pas.
Notre séjour français débutait par de la contre bande. Il parait qu’il était interdit et je n’ai jamais su pourquoi, de passer de grosses sommes d’argent entre les deux pays.
« Il faut bien aussi rapatrier ses sous, surtout qu’on en a pas beaucoup nous ! » grogna mon père, puis il ajouta :
« Ce soir nous dormons dans un gîte rural à « La mouline » c’est tout près, et demain je vous montrerai la maison que j’ai acheté à Serres sur Arget ».
Tous les enfants du monde sont pressés et excités juste à l’idée de voir leur nouvelle maison, et sans doute aussi de mieux connaître leur nouveau pays. Moi je ne me souviens pas avoir été spécialement enthousiaste à cette funeste perspective. En fait, je m’en moquais éperdument. Je pensais surtout à cet instant à Toto que nous avions abandonné. Etait-il heureux ? M’en veut-il encore ! Que devenait-il ?
Aussi stupide que cela puisse paraître un larme fugitive et timide n’osait coulait sur ma joue. C’était entre elle et moi, notre secret. Nous n’allions pas montrer aux autres notre faiblesse. Elle et moi étions affligés d’avoir pour une seconde pensé à Toto, à sa mort !
Les cigognes de l’église de Midelt me manquaient. Elles m’accueillaient toujours de leur claquement de bec bruyant et rieur. Des bravos enthousiastes pour les enfants de cœurs que nous étions tous, plus ou moins. Je me souviens aussi du concert qu’elles m’offrirent pour ma communion privée. Elles étaient bien belles dans leur tenue de gala noir et blanc. Mr Porcela m’avait offert une montre de marque Orly, et mes parents une médaille religieuse de rigueur dans de telle circonstance, bien qu’ils n’étaient ni croyants ni pratiquants.

04 septembre 2007

Mes années France (épisode 4)


« C’est bon, vous pouvez passer, bienvenue en France ! »
Ils ne sont pas tous méchants, ces monsieurs.
D’un coup d’épaule rageur elle l’écarta, tous coupables ! Vous êtes tous coupables ! Pas de survivant, tuez les tous ! Dieux reconnaîtra les siens. Je parierai mon retour en France contre un village berbère perdu, qu’elle ruminait cela en ce moment précis!
Pas de circonstances atténuantes, maintenant elle haïssait la France. Ne dit-on pas que la première impression est la bonne, les douaniers en avait été les zélés ambassadeurs.
Je sentais, bien qu’étant à l’arrière de la voiture, emmailloté dans des bagages qui me prenaient toute la place, que devant, ils respiraient mieux, bien mieux .Des éclats de rires agités et nerveux, ponctués d’un geste affectif réciproque et si rare depuis notre départ, me confirma qu’ils ressuscitaient.
Ma mère rangea momentanément sa haine, pour mieux la catapulter plus tard. Elle redevint la femme froide et taciturne que la France allait découvrir. Ma nouvelle maman, celle qui m’aimera encore moins qu’avant.
« Premier café, on s’arrête » fut sans doute la première phrase de mon père en France, si j’exclue le ouf ! de soulagement qu’il cracha en passant la frontière sans dommage.
Ils venaient d’échapper « aux gentils » douaniers français. Maintenant le risque est écarté. Le silence conjugal de rigueur depuis notre départ pouvait reprendre toute sa place, temporairement rompu par la peur qui venait juste pour un court instant de les rapprocher. Comme à l’époque, il n’y a pas si longtemps, l’amour, l’aventure et la peur avaient fait d’eux le couple le plus fusionnel qu’il se pouvait d’exister.
Je compris bien plus tard, lorsque j’assistais au déballage des menus trésors enfouis, que le risque avait été minutieusement arbitré entre différentes cachettes que je ne soupçonnais pas.
Notre séjour français débutait par de la contre bande. Il parait qu’il était interdit de passer de grosses sommes d’argent entre les deux pays.
« Il faut bien aussi rapatrier ses sous, surtout qu’on en a pas beaucoup nous ! » grogna mon père.
« Ce soir nous dormons dans un gîte rural à « La mouline » et demain je vous montrerai la maison que j’ai acheté à Serres sur Arget ».