30 octobre 2007

Mes années France (épisode 12 )

Mes bulletins scolaires ternes et sans vie se ressemblaient d’un trimestre sur l’autre. Ils me poursuivaient inexorablement d’année en année, avec toujours les mêmes remarques :
« Élève très intelligent, vif, peut beaucoup mieux faire, mais le veut-il ? »
« Peut mieux faire s’il s’en donne la peine »
« Curieux, s’intéresse à la classe, participe, parfois chahuteur mais pourquoi ne transforme-t-il pas cela en résultat scolaire ? »
Ces aimables remarques provenaient toujours des enseignants qui peinaient à me voir au ralenti dans leur classe. Moisir sur le quai du savoir, sans espoir de voyage, avec disaient-il un potentiel énorme. Que faut-il faire pour l’exploiter ? La punition ? La contrainte ? La motivation ? Rien n’y faisait. Toutes les tentatives venaient fatalement s’échouer à mes pieds, au bord de ma vie dans l’écume de ma rage. J’attendais le déclic culturel, et chaque jour le retard s’accumulait. Pénélope fut patiente elle, pourquoi pas moi ! Je me laissais volontairement mourir à petit feu de la connaissance. Et de l’éducation nationale.
L’école n’avait pas encore su se faire une place dans ma vie. Ce temps viendrait un jour sûrement. Aujourd’hui, je sais quand ce jour a fini par surgir dans ma vie, presque par traîtrise, mais avec un infime bonheur. Ce sera pour plus tard.
Et puis, il y avait aussi les autres, les profs. Ceux qui n’y comprenaient rien disait-on. Ceux qui jugent, décident et tranchent définitivement votre scolarité. Leurs premières impressions étaient toujours la bonne. Vous êtes jugé cancre, vous démarrez cancre, vous resterez cancre, et vous terminez votre scolarité cancre en classes de transition.
« C’est un fainéant, on n’en tirera rien » ! Commentaires intelligents de conseil de classe !
Ils ne vous accordent aucune circonstance atténuante. Jusqu’à ce que votre chemin s’écarte enfin du leur ! Vous aurez alors peut être un jour une deuxième chance, en rencontrant le prof de votre vie.
Moi aussi, si je veux, je peux leur dire une phrase intelligente « le professeur est le courrier de l’essentiel » et paf ! Le monsieur qui a dit ça a un nom allemand, mais je ne le dirai pas !
Les bulletins scolaires de ces professeurs là, me faisaient mal, plus mal que les encouragements des autres enseignants. Ils vous vomissent de la classe. Peu à peu, du premier rang, vous glissez vers le fond, le chauffage, la dernière ligne de démarcation avant les railleries des autres élèves, et échapper à leurs regards meurtriers, et moqueurs.
Le rejet était total, point de réminiscence possible. De professeur en professeur, ma flétrissure me suivait honteusement, et je dégringolais dans les bas fonds de la classe. La honte chevillée au corps vous escorte comme une tare incurable !
Je devais aussi lutter contre cela, ne jamais reculer. Certes je ne visais pas la 1ère place, devant avec les « fayots, » c’est comme cela que nous les moins bons nous nous défendions des autres, en essayant de rallier ainsi une partie de la classe à ma fatale cause. Forme de terrorisme intellectuel, je sais !
Pour ces professeurs là, je n’étais que cancre, fainéant, perturbateur, limite cas social.
Pour l’un d’eux, prof de science en 5ème, son temps viendra aussi, plus tard. Sa paire de claque humiliante, me hante encore.
Comment ne me suis-je pas révolté ? Comment ai-je accepté cet affront ?

23 octobre 2007

Mes années France ( épisode 11 )

En orthographe, je mangeais mon pain noir, la misère la plus totale, une misère à la Cosette.
Mais bon Dieu ! Pourquoi cette langue est-elle si difficile ? Et si compliquée ? Une forme de complexe de supériorité à la française ? Ah ! Cela vient du grec et du latin, c’est bien ce que je dis, ça ne pourrait pas venir de chez nous !
Pourquoi les sons et les écrits ne se ressemblent-ils pas ? Pourquoi ne pas écrire tout simplement phonétiquement comme l’arabe qui n’est qu’une suite de rythme phonétique, ou même l’espagnol, qui d’ailleurs accueillera en son sein bienfaiteur ma première dictée sans faute, avant même le français. Jamais je n’arriverai à écrire sans avoir la hantise de me demander « où se réfugient donc ces maudites fautes » ? Je les traque ! J’espionne les lignes ! Remue le plus profond des souvenirs de ma mémoire ! Rien que pour débusquer ces maudites fautes, et les pièges tendus à mon ignorance !
Il m’arrivait souvent de regarder le mot coupable en imaginant
« Ce mot là, juste devant moi sur cette feuille, noir, sans vie, avec ce mot qui me nargue en plus! Est-il plus joli avec deux consonnes ou avec une seule ? Je m’éloigne, bascule la tête à droite, à gauche et je choisis. Une seule consonne ! C’est plus esthétique !
Voila mon Larousse, la beauté du mot, son équilibre des lettres mais point trop, j’aime le simple.
Et bien sûr pourquoi faire simple ! Je me trompais souvent.
Ma méthode peu conventionnelle, je m’en accuse, n’était pas infaillible, et ne respectait pas les canons de l’académie française. Ces honnêtes vieillards qui ne sont là que pour embrouiller la langue française, et s’assurer ainsi la perpétuité de leur siège et de leur savoir du savoir. Imaginez un étranger, qui entend : « Verre, vert, vers !!!! ». Comment l’écrit il ?
La langue française n’est pas faite pour nous ignares du peuple. Elle est exclusivement réservée à une élite qui n’existe que grâce à elle.
Jamais cette flétrissure et cette peur stressante des fautes d’orthographe ne quitteront mon esprit.

17 octobre 2007

Mes années France (épisode 10)

Il venait d’avoir 59 ans et une nouvelle vie s’ouvrait devant lui. Je dirais plutôt se refermait subitement sur lui. Tous les rêves qu’il avait pu échafauder depuis son Maroc tant aimé, partaient inexorablement en fumée.
Nous avions tous besoin du contenu de ces caisses. Non pas le matériel, ou les objets qu’elles contenaient, mais bien la part de notre vie qu’elles renfermaient. Nous aurions pu de temps à autres, les consulter, les solliciter, les toucher, les aimer, les caresser d’un regard complice. Juste pour se dire que le courage vient avec l’espérance, et que de l’espoir nous en avions bien besoin, vitalement besoin.
La vie qui attendait mon père lui explosa subitement en pleine figure, et sa déflagration se fera sentir jusqu'à son dernier souffle. Ce qui l’attendait en France, serait bien différent de ce qui l’attendait quelques 40 ans plus tôt sur le port de Casablanca. Le Maroc à son horizon, rien que pour lui. Une valise vide, les yeux pleins d’espoirs.
Il nous dira toujours qu’il ne regretta jamais sa décision, toujours apostrophé par les « Tais-toi Maurice, tu ne sais pas ce que tu dis ! » de ma mère, qui ne manquait aucune occasion de tourner dans la plaie ouverte de mon père, son couteau finement aiguisé au fil de sa haine, et des années en France.
Avaient-ils désormais un avenir ensemble ? Etaient-ils seulement souhaitable de partager leur vide, ou devais-je dans l’urgence, grandir très vite ? Pour me fabriquer tout seul ! Avaient-ils le temps et l’amour de s’occuper de ce mouflet de 11 ans ?
Mon père seul était dupe, et voulait bien se convaincre qu’il avait eu raison. Nous ses fils nous ne le jugions plus, comme autrefois. Il avait décidé, point.
Nous respections………..par respect ! Tout simplement !
1er jour de classe communale en ce mois de printemps 1965. Deux grandes classes se partageaient une cour immense. Un tilleul trônait au beau milieu de ses majestueuses branches. Dans quelques mois il embaumera la cour. Je devenais le nouvel élève du « Groupe scolaire Lakanal ». Comme ma maison, j’étais fier ! Déjà !
Monsieur l’instituteur et sa femme étaient les maîtres incontestés de ce domaine de l’apprentissage des lettres, calcul, histoire….. Et aussi gymnastique, et de tous ce que les gosses avaient besoin d’apprendre. C’est pareil qu’au Maroc sauf qu’ici il n’y a pas les marocains. Faudra vite vérifier si Driss et sa baguette sont dans le coin.
« Bonjour les enfants, je vous présente votre nouveau copain, il se nomme Patrick et viens du ………….Aie ! Voila la honte qui me submerge, il va le dire et je serai la risée de ce peuple au regard moqueur, …….. « Du Maroc, comme moi. Je vous demande de bien l’accueillir chez nous ». Lui aussi était de là-bas, je serai à jamais protégé, personne ne manquera de respecter les paroles ce gentil instituteur.
Compte tenu de mon âge, presque 11 ans, j’aurais dû être au minimum en 6ème au collège à Foix. Mais le retard accumulé dés le début, les changements incessants d’école, et aussi j’avoue, de ma bien mauvaise volonté, avaient eu le dessus sur ma scolarité, et sur ma culture générale. Nul en mathématique, pire ! Rien à en tirer. En histoire ? Je n’en sais rien, je ne me souviens même pas si j’avais appris qu’au Maroc mon ancêtre était gaulois. Cela aurait bien fait rire Rachid l’arabe, Samy le juif ou Katchikas le grec, et moi le « Roumi »chrétien, fils de Marrakech. Tous frères et fils de gaulois français ! Croisés avec l’envahisseur Arabe de Poitiers ! Pourquoi pas !

10 octobre 2007

Mes années France (épisode 9 )

Les caisses du déménagement nous attendaient, elles venaient d’arriver et piaffaient d’impatience. Je me précipitais pour les ouvrir, pour libérer enfin le Maroc et ses odeurs.
Mon père calmement sortit un trousseau de clef et commença son œuvre. J’allais sentir un tout petit bout de mon pays, le sable de Midelt, et la terre nourricière qui n’attendait qu’une pluie pour étancher sa soif, et apporter le bonheur des belles récoltes. Je suis sûr que les parfums de rose de la distillerie proche du Paysannat ont accompagné les caisses.
« Tu ouvres, tu te dépêches, oui ! » pesta ma mère moins poétique, pressée juste à l’idée de retrouver son passé.
Notre joie fut de courte durée, très courte même. Il y avait bien des odeurs, mais pas de celles que nous espérions avec tendresse.
Odeur de mer, salée et piquante, à nous racler la gorge. Quel spectacle ! Les caisses avaient été soigneusement trempées quelques temps dans l’eau salée du port. Elles puaient aussi l’odeur nauséabonde du dégoût des dockers envers les « rapatriés ».
Plusieurs pieds noirs furent victimes de ce genre de plaisanteries des manutentionnaires des ports. Français ? Marocains ? Jamais on ne le sût. Et si votre caisse ne sentait pas la mer, c’est qu’à l’intérieur il n’y avait plus rien en état. Parfois même les cadenas furent sectionnés et les caisses visitées.
Quelques rares caisses vierges échappèrent aux profanateurs de notre passé, de nos souvenirs à jamais perdus. La haine tenace des dockers avait définitivement craché son venin sur de pauvres bougres de Français qui avaient commis le crime de vivre au Maroc.
Le monde s’écroulait à nos pieds. Mon père d’habitude si stoïque, se retourna, s’éloigna discrètement. Je suis sûr qu’il pleurait seul à l’écart, là-bas au pied du cyprès que nous venions de rendre à la vie. Ma mère continua de vociférer ! Elle explosait sa haine !
Ils allaient voir les salauds qui avaient fait ça !
Qu’ils se montrent s’ils sont des hommes ! Et elle, la fille du Maroc, leur montrerait comment elle allait solutionner son problème !
Ce fut le coup de grâce. Plus rien ne pouvait désormais lui donner envie de vivre cette vie. Elle vivra désormais cloisonnée entre le passé et un futur absent.
Elle s’enferma d’avantage dans ses souvenirs. Si les vestiges du Maroc emballés dans ces pauvres caisses n’étaient plus là pour témoigner, par la faute de fossoyeurs de rêves, il lui restait la mémoire ! Sa mémoire des temps heureux. Du temps où elle se croyait heureuse pour la vie ! Et ça personne ne pourra lui voler ! Ni même en imaginer une once de son intensité.
Des étrangers avaient mutilé, violé de nos mémoires les quelques malheureux objets que nous avions amoureusement sélectionnés.
« Mort aux français ! ».
Ma mère venait de condamner sans appel les dockers français.
« Les marocains n’auraient jamais osés faire cela eux ».
Elle continua à haïr les français. La liste des homicides de ma mère commençait à s’allonger dangereusement. Dans le même trou, dans la forêt de « Tedders », elle y jeta sans regrets, les douaniers, les dockers et pas mal de français. Il devait bien y avoir des innocents dans le tas. J’aurais dû vous préciser que c’était seulement mon père qui nous éleva avec ses principes de tolérance, ma mère en avait d’autres. La vengeance, et la rancune parmi d’autres, en étaient ses dignes représentants.
D’ailleurs, elle ne nous éduquât jamais, elle vivait à coté de nous. Je découvrais son système si spécial d’éducation depuis très longtemps, et cela au fur et à mesure que les journées et les années s’égrenaient par les paires de gifles journalières devenues son réflexe de vie que je recevais depuis ma tendre enfance. Plus par réflexe que par méchanceté, du moins j’essayais de m’en convaincre.
Mon père lui, comme à son habitude ne laissa rien paraître. Je me doutais qu’il commençait à appréhender les instants de vie sans joies qui l’attendaient.

03 octobre 2007

Mes années france (episode 8)


La surprise de notre nouvelle habitation, celle qui devait faire de nous des français et des Ariégeois dociles et intégrés fut totale. Les reproches de ma mère ne manquèrent pas, et me sonnent encore dans les tempes. Nous séjournerons bien plus longtemps que prévu dans ce gîte humide de La Mouline, avant de transformer ce tas de ronces inhospitalier et sans âme, en une maison habitable qui sentirait bon la France.
La fratrie était réunie. Mon père avait battu rappel de tous ses fils. Claude, qui était rentré du Maroc avant nous pour ses études en terminale, passait sa deuxième partie du bac à Foix. Examen qu’il aura haut la main. Daniel, l’aîné, lui s’était installé du coté de Valence dans la Drôme. Il avait quitté le Maroc en 1957 après les émeutes douloureuses et sanglantes de Oujda. Les trois frères si rarement réunis, avaient pour mission de nettoyer la cour et de lui redonner son lustre d’antan. Nous étions tous heureux d’être enfin réunis et de vivre ces quelques jours si rares ensemble.
Scies, bêches, râteaux, faux, tapes amicales, et jurons, se bousculèrent pendant une semaine complète. Les passants curieux, un tantinet narquois, ne manquaient pas d’aller et retour rituels, pour mesurer avec nous l’avancement des travaux. Je ne me souviens pas que l’un d’entre eux ait tenté une phrase amicale, ne serait-ce que pour nous dire, « il fait chaud aujourd’hui, vous ne pensez pas. ». Connaissant mon père et sa jovialité légendaire, il aurait déballé notre pedigree à cette seule tentative de contact, et de chaleur humaine dont il avait tant besoin. Il se satisferait pour l’instant de vire avec sa famille, les outils à la main pour se fabriquer un futur.Viendra ensuite le temps des amabilités.
Enfin une allumette libératrice craqua, s’enflamma, et envoya dans sa fumée tout le malheureux passé de notre demeure enfin libérée. Après les ronces, il faudra s’atteler à démonter quelques bâtiments, encombrants, forts laids et en piteux états.
Je crus déceler chez elle un signe amical de reconnaissance. Elle respirait à nouveau grâce à ces drôles d’étrangers venus de si loin pour lui rendre sa splendeur et sa position d’antan. Les gens de la rue ne se moqueraient plus d’elle. C’est qu’elle avait gardée toute sa fierté dame ! Elle allait maintenant, j’en suis sûr, dés qu’elle le pourrait nous abriter du mieux que ses vieux os le permettraient, du vent, de la pluie, de la chaleur, de ses murs bien épais, mais aussi du bruit, et surtout des commérages qui ne manqueraient pas.
Car des vieux os, elle en avait. Nous découvrions une pierre sculptée juste au dessus de l’entrée, il y était inscrit 1739 ! Cette dame était née avant la révolution française. Je l’observais avec tendresse et me disais qu’elle avait dû en voir et vécu des événements dans ce petit village. Nous apprenions que notre maison avait toujours été la maison des maîtres du village, avant de terminer son agonie sous les ronces, pour on ne sait plus quelle raison. Elle avait aussi connu Lakanal, le député de la convention né ici tout proche à la Coupière, dont la statue trône à la mairie. Je devais absolument rechercher ce qui avait pu se passer cette année 1739, une bonne encyclopédie m’y aiderait.
D’abord, je cherchais Lakanal.
LAKANAL : Né à Serres sur Arget (c’est faux sa maison est à la Coupière, même si ce n’est pas loin) le 14 juillet 1762, mort en février 1845. Et en plus un 14 juillet. Cela ne s’invente pas au siècle de Louis XVI et de la prise de la Bastille.
Il fut député de l’Ariège et siégea au Montagnard, il vota la mort du roi Louis XVI.
Et bien ! Notre maison, ce n’est pas la maison de tout le monde ! Elle doit en connaître des secrets ! Il y a un trésor caché quelque part ! Parait-il ! Des passants s’arrêtaient enfin pour discuter un peu par curiosité plus que par l’envie. Ils nous disaient :
« Hum ! En cherchant bien vous trouverez bien quelque chose, cette maison a toujours était celle des riches du village ».
Ils appuyaient bien sur le « riche », histoire de nous faire comprendre que la coutume reprenait ses droits, et qu’ils avaient bien compris que nous étions riches et qu’ils n’étaient pas dupes de la façon dont nous nous étions enrichis là-bas aux colonies.