29 juin 2008

Mes années colleg (episode 15 )


Ainsi se déroulaient mes journées, entre panique de l’école et corvées à la maison.
Pour mon jeune âge, j’avais une force et une corpulence qui avait incité mon père à me demander de l’aider encore plus à la ferme. Un désir qui dans sa bouche équivalait à un ordre, de ceux que vous ne pouviez refuser.
J’abandonnais avec plaisir et sans rancune à ma mère, même avec un plaisir caché et jouissif, le ramassage des œufs, le nettoyage des lapins ou le sarclage du jardin. Elle n’appréciait ce legs, que de très mauvais cœur. Je me jetais sur le tracteur. Le plaisir de garder les moutons était devenu maintenant du passé.
Une promotion certes, mais passé le temps euphorique du changement, je n’allais pas tarder à le regretter, tant le travail était devenu pénible, et tant j’aurais aimé partager la vie normale, et semble t’il insouciante de mes copains du village.
Mon horizon de corvées venait subitement prendre de la hauteur, et de l’espace. Et surtout allait occuper mes dimanches et vacances pendant les 4 ou 5 années qui allaient suivre.
Dans ces conditions il ne pouvait en être autrement que ce qui m’attendait à la fin de l’année scolaire.
– Hierard moyenne générale sur l’année 9,13. Redoublement.
Je me souviens encore quelque 40 ans plus tard de ma moyenne au dixièmement prêt, tant ce chiffre me fit honte. Il est là, gravé dans le cœur, et dans la tête au fer rouge de ma flétrissure. Honte de redoubler et de risquer d’aller rejoindre les cancres là bas en bas de la classe, là où s’entassaient les oubliés et les cancres. Je redoutais aussi inconsciemment ce que l’on médisait des redoublants de ma classe.
J’allais moi aussi l’année prochaine subir les même quolibets des profs, et moqueries de mes concitoyens écoliers. De cela il n’en était pas question personne ne s’est encore moqué de « Patrick le chasseur de l’Atlas ».
J’aurais aimé que l’on me dise au moins que j’avais fais des grands efforts et que pour moi 9,13 ce n’était pas trop mal. Au moins j’avais échappé au ridicule. Je ne serai pas aiguillé vers les classes de « transitions ». Les classes de la honte, elles étaient la risée de tous. Moi aussi monstrueusement, je participais à cette primitive et invective hallali sur ces pauvres gosses. Nous savions tous que ceux là n’iraient plus bien longtemps à l’école. Certains profs même se moquaient ouvertement de ces pauvres gosses, certains nous disaient même que ces élèves n’allaient en classe que pour toucher les allocations. Rire et racisme mélangés nous acquiescions. Ils étaient les rebus, les tuberculeux en quarantaine de l’éducation nationale, les porteurs de la Burka du savoir. Ce n’était pas une classe de transition, mais une ligne directe à grande vitesse vers l’exclusion. Ou au mieux « Ils seront pour certains flics ou fonctionnaires et mangeront des poulets aux hormones » chantait Ferrat.
Les profs, les premiers avaient établi une inconsciente sélection dans les classes. Ils ne s’occupaient que des meilleurs. Les autres instinctivement se sentant repoussés du partage du savoir, se repliaient en ordre, un à un honteusement au fond de la classe. Un pacte tacite alors régissait ce fond de classe, l’ignorance mutuelle.Bien entendu mes parents se sentirent eux aussi obligés de participer à ma mise à mort scolaire. J’étais un « fainéant et un bon à rien ». Sobriquet qui ne quittera plus jamais leurs lèvres quand il s’agira de décrire le dernier rejeton de la famille. Parfois le mot chance et orgueil accompagnera leur vocabulaire

21 juin 2008

Mes années college (épisode 14)


J’étais franchement pommé dans ce CEG, autant qu’à Mekhnès, il y a maintenant 5 ans. Mes cauchemars ne sont pas encore dissipés, ils ne sont pas si loin que ça !
J’avais douze ou treize ans et le moins que l’on puisse dire c’est que je n’étais pas en avance à l’école, je dirai même que je patinais sérieusement en classe. À mon frère le « Math’ Élem’ » il avait fallu une dispense d’âge pour entrer en 6ème. Il avait 9 ans!
J’avais moi par contre rarement la moyenne générale, sauf dans quelques matières secondaires qui me permettait de flatter mon timide ego. Rien n’avait changé, comme toujours la gym, le dessin, la musique me sauvaient in extremis. Grâce à elles je parvenais à me tenir la tête hors de l’eau pour ne pas me diriger tout droit sans corde de secours, sur la voie sans issue de la bande des cancres. Là-bas au fond de la classe, proche de l’abîme et du radiateur ils m’attendaient. Proche d’une rivière sans retour, vivotait la tribu des laissés pour solde de tout compte de l’éducation nationale.
Pourtant dans cette désolation, une matière commençait à me titiller les doigts et l’esprit.
Le français.

J’aimais le français et les compositions. Il fallait utiliser judicieusement des mots. Les aligner les uns après les autres, mais pas n’importe comment ? Attention ! Il faut choisir des mots équilibrés, bien les placer, là où ils se mettront en valeur, et égaieront les autres. Là où ils accorderont les sons et l’harmonie à votre idée, à votre esprit, et à votre plume. Là où la phrase terminée vous pourrez la relire avec fierté.
Mais cette fichue orthographe…, elle me gâche mon plaisir !
Mauvais élève sans doute, mais cancre non. Je me doutais que si je sombrais au fond de l’ignorance, au fond de la classe, personne ne viendrait me tendre la main, pas même mes parents.
Je crois bien que je faisais tous les efforts possibles pour mériter mieux que ce triste sort. Mais le retard de ma scolarité me pesait chaque jour un peu plus. Pour une fois, je m’efforçais d’être bon à l’école. Je sentais bien que cela devenait la seule issue possible. J’enviais discrètement et anonymement ces premiers de la classe que je décriai, juste par jalousie de leur savoir. Être parmi ceux que les professeurs citent toujours comme la seule et vraie référence du savoir. Nous les moins bons étions rarement à l’honneur, si ce n’était que comme l’exemple à ne pas suivre nous étions les exutoires et la raillerie des élèves.

13 juin 2008

Mes années collége (épisode 13)


Alors je me réfugiais chez Alain. Lui non plus n’avait pas la télé, il m’attendait tous les dimanches. Rituellement. J’aimais sa mère, et ses cafés au lait de quatre heures avec des grands morceaux de pain dedans. J’admirai aussi son père qui partait dés le dimanche soir à son travail à l’usine de talc de Luzenac, la plus grande carrière de talc du monde. Il n’en revenait que le vendredi d’après. Lui aussi, de tout son corps, de ses mains pétrissait rageusement une vie meilleure pour ses deux garçons.
Silencieusement, consciencieusement, nous déballions nos soldats.
Hétéroclite armée que nous avions là, lui et moi. Point de course à l’armement, les revenus de nos parents ne le permettaient pas. Nos armées n’en avaient pas les moyens. Armées de pauvres. Nous composions notre armada, d’amour, de bric et de broc, de soldats de plomb et de plastique, de Cow-boy et d’indiens, de chevaliers et de policiers. Même Zorro combattait, dans l’armée composite du dimanche après midi. Selon les sous des parents, nous avions droit de temps à autre à un nouveau soldat qui venait renforcer joyeusement notre maigre armada. Pour les chars d’assaut deux carrés de bois, l’un plus grand que l’autre cloué l’un sur l’autre, un clou pour le canon et le tour était joué. Nous avions décidé de nous limiter à quelques chars, trois ou quatre, je ne sais plus. Un ou deux avions rafistolés de colle et de décalcomanie, achevaient les armées en présence. Et puis notre imagination faisait le reste ……
– T’es touché……..
– Ton char flambe………
– Ton soldat et mort………
– Ton avion est en panne…………….
Personne ne contestait, nous acceptions l’évidence. Il gagnait, je gagnais, peu importe. Lui et moi, drogués pour quelques heures, avions oublié le film que nous aurions tant aimé voir.
La guéguerre des soldats de plomb est terminée, je dois m’en aller. J’accepte avec joie l’amour et le café au lait que sa maman me propose. Il fait presque nuit, je n’aime pas l’hiver. Il fait toujours froid et noir dans mon âme vagabonde qui cherche désespérément quelque chose, je ne sais pas encore quoi. C’est triste non !
Je ne voulais ni ne pouvais rentrer à la maison, papa travaillait encore, sûrement. Et maman, maman………….. !
Je n’avais pas de maman le dimanche après midi, quand il faisait noir et que j’avais peur du lendemain.
J’errais.
Et toujours la même trouille au ventre qui me prenait tous les dimanches soirs à l’heure où les paysans trayaient leurs vaches. J’angoissais du lundi. Je n’avais que très rarement terminé mes devoirs. J’aurai juste le temps demain dans le car de copier sur Alain, Émilien ou Robert si comme moi, ils ne cherchaient pas eux aussi un complice.
Tous mes dimanches soirs maudits s’achevaient douloureusement, la peur au ventre. L’obsession du lendemain vissée au corps.
Je hais toujours le dimanche soir encore aujourd’hui. Ce ne sont plus les professeurs qui me terrorisent, mais à croire que mon corps et mon esprit se sont intoxiqués à la panique du dimanche, et qu’ils réclament encore leur dose hebdomadaire de détresse. Mes dimanches à Serres sur Arget m’ont drogué à vie, à mort.

08 juin 2008

C'est Fait !!!


C’est fait !!!!!!!!!!
Après 43 ans d’absence, je suis retourné sur les pas de mon père et sur les miens, avec un seul regret celui d’avoir attendu aussi longtemps.
En 15 jours, en autonomie complète, nous avons parcouru 3000 km, rencontré le Maroc que l’on dit profond, celui des villes et des champs. Dieu que ce pays est attachant, ses paysages et ses habitants aussi.
Pour ceux qui suivent mon histoire sur ce blog, sachez que je n’ai rien loupé. En premier, la maison où je suis né. Je devrais dire les ruines de la maison, mais ce n’est pas grave, elle a vécu sa vie.
L’usine où mon père travaillait, elle est toujours là, bien entendu en ruine, mais son souvenir est gravé, je l’ai reconstruite tout seul de la hauteur de mes 5 ans.
Plus loin, c’est Immsouane, et ses barques bleues. J’allais pêcher le maquereau sur le port, le matin très tôt. Les pécheurs sont toujours là, ils vendent encore à la criée. La petite place est à présent fermée par des bâtiments neufs, c’est moins beau. J’ai de loin aperçu l’énorme rocher où nous pêchions la nuit, il se nomme toujours « la Cathédrale ».
En roulant bien plus au nord, j’ai fouillé le passé de mon père, son coin de chute au Maroc après sa guerre soit disant de pacification, celle qu’il n’a jamais acceptée. J’ai trouvé sa maison en pisé, je devrais dire sa bicoque, celle où il m’a dit y avoir été si heureux avec maman.
Le choc, le vieux gardien de la maison forestière a connu mon papa, il m’emmène à sa maison, il me raconte toutes ses histoires de chasse, il m’invite à boire le thé, à manger, et à goûter à mon passé en me proposant du lait et du « sellou ».
Quel retour !!
Et puis la route vers Midelt, mes merveilleux souvenirs de jeunesse, et mes plus grandes larmes en mars 1965.
Le paysannat est certes en ruine, ma maison est fermée à clef, je n’ai pu y pénétrer, ce sera l’excuse pour y retourner prochainement. Mais sur le sol j’en dessine le moindre recoin au gardien qui acquiesce à chacun de mes mots. Il me dit que j’ai une extraordinaire mémoire, je lui réponds que le bonheur n’a pas d’âge.
A Midelt, le nom de mon père traverse le temps et deviendra un jour la légende « du français qui a introduit la pomme à Midelt ».
Le premier à avoir écouté mon père me raconte :
« Un jour ton père est venu, tu étais tout petit à coté de lui. Il nous a réuni et nous a expliqué que la pomme c’était l’avenir de notre région les Ait Ayache. Il a partagé une pomme pour nous la faire goûter, il a ajouté que grâce à elle nous serons riches, que nous pourrons acheter une voiture comme la sienne, il nous montre sa 2CV, et que nous pourrons emmener nos enfants à l’école, comme le sien, et c’est toi qu’il a désigné. »
Aucun mot n’est parvenu à sortir de ma gorge, tous bloqués au fond de mon estomac noué.
Il ajoute :
« Aujourd’hui, nous sommes riches, nous avons des 4x4, et nos enfants vont tous à l’école. Ton père a fait beaucoup de bien pour nous. »
(Je raconterai tout cela plus tard en détail dans un autre blog).
Ma route m’a menée jusqu'à Errachidia, Ouarzazate et le retour sur Marrakech.
Le Maroc a énormément évolué, il se modernise, son peuple - Marocains et Berbères - est resté un peuple attachant, amical, social, aimable, toujours prêt à rendre service.
Je n’aime pas donner des leçons, je vais me permettre juste un petit conseil. Si vous allez au Maroc, laissez à la frontière vos réactions et préjugés d’européen, prenez ce peuple comme il vient, et surtout faites-vous humble.
A bientôt sur mon autre blog, sur celui-ci la vie continue, mais avant tout un grand merci a Salah, Mohamed et leurs charmantes épouses pour le fabuleux accueil que nous avons eu droit A bientôt en France, je vous attends tous
Amitiés
PS pour suivre au jour le jour mon voyage allez sur mon autre blog: