Ce qui ne changeait pas c’était le caractère exécrable de ma mère, qui de plus en plus s’enfermait dans un drôle de mutisme exacerbant et inutile. Elle n’en sortait que pour étaler ses nauséabondes critiques à mon père, qui lui n’avait plus qu’une seule idée en tête, s’en aller le matin de bonne heure pour aller travailler la petite ferme que nous avions achetée, là-haut en montagne à Layrole. Il n’en revenait qu’à la nuit, espérant que ma mère avait dans la journée vidée son seau de fiel jusqu'à la lie.
Sans doute le travail ne manquait-il pas la haut, je crois aussi que dans les pâturages de Layroles, il y était bien, il pouvait à son aise seul, s’évader de France, retourner, revenir sur ses pas, chercher la trace encore fraîche de son bonheur ; jadis à Timexaouine, Imintanaoute, Midelt,………. il était jeune…………et la vie y était belle…………..
Le travail avançait et la fatigue se faisait toute petite pour le laisser gambader dans la foret des singes, saucer l’huile chaude du moulin, chausser ses Pataugas et s’en aller à Arbalou N Serdane ou Boumia.
Le village de Layrole est situé à environ 700 mètres d’altitude, et à environ 5 km de Serres sur Arget, en direction du col des Marrous. La route goudronnée vous abandonne à l’intersection avec la route de Sahuc le village voisin. A partir de cet instant il fallait être prudent tant la route était en mauvais état surtout en hiver où le risque d’accident vous guette à chaque virage.
Mon père avait acheté cette propriété sans la voir, sur plan. Il n’a jamais imaginé qu’elle se situait en montagne. Les collines et les bosses s’étaient camouflées sur le plan cadastral que l’agent de la mairie lui avait envoyé au Maroc. Elles se découvriront par la suite.
Je crois aussi que ces terres malignes et abandonnées, pauvres et oubliées de tous, se sont faites toutes plates sur le plan cadastral pour attirer ce doux rêveur de français qui allait leur redonner leur liberté et leur splendeur d’antan. Comme les animaux d’un refuge devant l’adoptant potentiel, elles se sont faites belles, et suppliantes, le grand jeu de la séduction.
Quand je dis « achetées » ce n’est pas tout à fait exact, il avait plutôt reconstitué avec le temps un semblant de terres qu’il avait réunies à nouveau, et qui très modestement pouvaient s’attribuer le nom de propriété. Il commença son immense patchwork parcellaire en 1965. Petit morceau par petit morceau, années après années, rêves après rêves, avec patience et minutie.
Il ne cherchait qu’à acheter les terres agricoles, mais les propriétaires locaux, chanceux de trouver un acheteur si rare depuis l’exode rural, exigèrent tous, que les maisons soient solidaires des terres. C’est contraint qu’il acheta terres et maisons, parfois dans un état de délabrement avancé, se retrouvant ainsi à la fin de son œuvre de reconstruction propriétaire de 75 ha, de 17 maisons, et 124 numéros de parcelles.
Un immense puzzle grandeur nature.
Les maisons frileuses en granit local gris et triste se tenaient au chaud, serrées les unes aux autres, coude, à coude à flan de coteau, le dos adossé à la colline. Les toits de tuile souvent invisibles, ravagés et camouflés par la mousse, ne dépassaient guerre la hauteur du talus pour mieux se protéger du vent mordant des trop longs hivers carnassiers.
Elles se rejoignaient toutes en un point le lavoir, papotaient un peu sur le salle temps et le brouillard, se serraient la main en signe d’amitié et de solidarité. Puis de là sur deux longueurs toujours côte à côte, en forme de V, allaient conquérir la colline protectrice.
Seules deux maisons étaient isolées. Fâcherie familiale ? Etrangers refoulés ? Sorciers ?
Je me souviens qu’à cette époque, à la sortie de chez notaire, il me confiait dès que nous arrivions à la maison, les numéros des parcelles achetées. J’allais dans l’armoire sortir le plan cadastral de Layrole, je saisissais toujours le même crayon de couleur jaune et menait mon enquête.
JE TENTE DE LIRE, ECRIRE, ECOUTER DE LA MUSIQUE, ET TASTER DU BON VIN. MES AMIS SONT MES AMIS, ET PARFOIS JE RALE. ALORS J'ECRIS ENCORE ET ENCORE.
02 décembre 2007
28 novembre 2007
Mes années France (épisode 16 )
L’instituteur tenta vainement de me sauver de mon naufrage annoncé et attendu. Si je ne faisais aucun effort, ma sixième serait dramatique avait-il dit à mes parents
« Tu vois ce qu’on te dit, il faut travailler à l’école, c’est pour toi ! Ce n’est pas pour nous ! Nous on s’en fout, notre vie nous l’avons faite »
C’est bien cela que je leur reproche, ils s’en foutent complètement. Ils font juste semblant d’être des parents dignes, le temps d’accompagner l’instituteur sur ses remarques, et sitôt les abandonner dans la poubelle de leurs propres préoccupations.
Le maître par tous les pores de son corps, des forces qu’il pouvait engager, du temps qu’il disposait devenait omniprésent. Il ne me lâchait plus, pour mon bien, je n’en doute point.
« Patrick, photographiez le mot en entier, imaginez-le en entier et seulement recopiez-le sur votre cahier ».
Aujourd’hui encore j’utilise sa méthode quand j’y pense seulement. Je revis avec une nostalgie touchante ces instants. Je revois ce pauvre instituteur qui tente à lui seul de combler tout le déficit de ma tendre vie, à lui seul m’apporter amour et connaissance, attachement et travail bien fait. Lui seul m’avait dit un jour les seuls mots que jamais mes parents n’avaient encore prononcés :
« Allez Patrick, vous en êtes capable ».
Aujourd’hui, je continue à détruire les mots à chaque syllabe, je les déchiquette, et les explose en milliers de lettres. Quand soudain mon maître d’école me touche l’épaule, il est vieux, mais ses yeux pétillants de sagesse et d’amour, ont toujours l’espoir de me sauver. Je reprends mon souffle revient en arrière, je relis le mot en entier. Je photographie pour lui, pour lui seul, qu’il soit fier du type que je suis modestement devenu. C’est vrai quand même ce qu’il m’a dit il y a 40 ans. Un mot en entier devient ton ami, il ne te trahira jamais.
Il retire sa main de mon épaule, sourit, il pense toujours que ce gamin est spécial. Je l’entends me dire :
« Je t’ai connu cancre, mais dans tes yeux pétillait la curiosité et c’est cela qui te sauvera ».
Et le temps passa jusqu’en septembre, lentement ou pas je n’en sais rien, je n’avais même plus la nostalgie de Midelt, j’étais là en France il fallait bien s’y faire.
Je devenais même le chef de classe, sans avoir eu à combattre. Le représentant de la classe pour aller chercher un trophée du « lendit » genre de gymnastique de groupe. Tous les élèves de l’Ariège s’étaient cette année-là réunis à St Girons pour y produire une manifestation de masse. Sans doute notre classe avait-elle été parfaite, pour cela nous reçûmes une coupe.
Je n’avais pas la télévision en ce temps là, c’est au catéchisme de Foix que des élèves m’annoncèrent que j’étais passé sur FR3 avec la classe.
« Tu vois ce qu’on te dit, il faut travailler à l’école, c’est pour toi ! Ce n’est pas pour nous ! Nous on s’en fout, notre vie nous l’avons faite »
C’est bien cela que je leur reproche, ils s’en foutent complètement. Ils font juste semblant d’être des parents dignes, le temps d’accompagner l’instituteur sur ses remarques, et sitôt les abandonner dans la poubelle de leurs propres préoccupations.
Le maître par tous les pores de son corps, des forces qu’il pouvait engager, du temps qu’il disposait devenait omniprésent. Il ne me lâchait plus, pour mon bien, je n’en doute point.
« Patrick, photographiez le mot en entier, imaginez-le en entier et seulement recopiez-le sur votre cahier ».
Aujourd’hui encore j’utilise sa méthode quand j’y pense seulement. Je revis avec une nostalgie touchante ces instants. Je revois ce pauvre instituteur qui tente à lui seul de combler tout le déficit de ma tendre vie, à lui seul m’apporter amour et connaissance, attachement et travail bien fait. Lui seul m’avait dit un jour les seuls mots que jamais mes parents n’avaient encore prononcés :
« Allez Patrick, vous en êtes capable ».
Aujourd’hui, je continue à détruire les mots à chaque syllabe, je les déchiquette, et les explose en milliers de lettres. Quand soudain mon maître d’école me touche l’épaule, il est vieux, mais ses yeux pétillants de sagesse et d’amour, ont toujours l’espoir de me sauver. Je reprends mon souffle revient en arrière, je relis le mot en entier. Je photographie pour lui, pour lui seul, qu’il soit fier du type que je suis modestement devenu. C’est vrai quand même ce qu’il m’a dit il y a 40 ans. Un mot en entier devient ton ami, il ne te trahira jamais.
Il retire sa main de mon épaule, sourit, il pense toujours que ce gamin est spécial. Je l’entends me dire :
« Je t’ai connu cancre, mais dans tes yeux pétillait la curiosité et c’est cela qui te sauvera ».
Et le temps passa jusqu’en septembre, lentement ou pas je n’en sais rien, je n’avais même plus la nostalgie de Midelt, j’étais là en France il fallait bien s’y faire.
Je devenais même le chef de classe, sans avoir eu à combattre. Le représentant de la classe pour aller chercher un trophée du « lendit » genre de gymnastique de groupe. Tous les élèves de l’Ariège s’étaient cette année-là réunis à St Girons pour y produire une manifestation de masse. Sans doute notre classe avait-elle été parfaite, pour cela nous reçûmes une coupe.
Je n’avais pas la télévision en ce temps là, c’est au catéchisme de Foix que des élèves m’annoncèrent que j’étais passé sur FR3 avec la classe.
19 novembre 2007
Mes années France (épisode 15)
Lui était plutôt petit, mais de ces petits qui sont aussi larges et difficiles à faire tomber, un carré de vivacité, je connaissais bien ce genre de combattant hargneux. La gueule en renard, sans doute un malin, un combattant rusé où la force n’aura pas toujours le dessus. Nos regards se croisent. C’est bien lui, nous avons communiqué, c’est quand tu veux !
Nos regards se redonnent rendez vous, ce sera pour bientôt. Lui aussi me jaugeait, mais juste pour ruminer si j’étais de taille ou si j’allais comme les autres abdiquer sans combat, fort de sa réputation de « sale gosse ».
De cette jauge des combattants, des gladiateurs de l’arène, des boxeurs avant le combat, c’est à cet instant précis que vous gagnez votre combat. Si vous perdez l’assaut des yeux et de la haine, votre adversaire saura déjà qu’il va vous faire plier le genou.
Le combat aura bien lieu, je le voyais dans son regard moqueur et hautain, et moi de plus j’en avais trop envie. J’aimais trop ce jeu du plus fort, du dominant dominé. J’aime trop le regard envié des autres gamins quand vous brandissez les bras en l’air, pendant que votre victime crache encore le sable que vous lui avez rageusement enfoncé dans la bouche. Il devait en une seule fois avaler le sable, sa vanité, son orgueil, sa salive, et j’en passe. C’est beaucoup pour un vaincu !
Qui va provoquer ?
Attention le provocateur doit gagner ! A la clef de la victoire il y aura aussi la punition du maître. Le combat devra avoir lieu au grand jour dans l’arène de l’école, devant tout le monde, pour solenniser l’événement. Et qu’il n’y ait pas de protestation possible. Ce sera ainsi jusqu'à l’arrivée d’un autre prétendant.
Le vainqueur sera puni par le maître, c’est sûr, c’est en quelque sorte aussi son trophée. Être exposé devant tous au piquet pendant la recréation parce que vous vous êtes battu, et que vous avez vaincu. C’est là, la reconnaissance suprême de votre incontestable victoire. Personne ne devra nier votre titre. Cela est vrai au Maroc, en France et dans toutes les écoles, aujourd’hui encore.
Je décidais d’attendre le défi, il avait pour lui toute l’école, les faibles de sa cour, et les autres plus anciens que moi. Et surtout, ils étaient du pays.
Première journée de classe. Surprise ! Trois niveaux différents dans la classe. Je découvrais pour la première fois que les écoles campagnardes ne perduraient que parce que dans la même classe étaient mêlés des élèves de niveaux différents.
Chez nous, le CE 1, CM 1 et CM 2, les grands qui préparent la rentrée en sixième, pour l’année suivante.
Dans la classe de Madame trois autres niveaux aussi, ceux des « petits » disait-on.
Avec moi au CM1, cinq à six élèves pas plus. Jacques, celui que je devais combattre, Robert, Alain, Monique, Emilien, Richard composaient la classe, assis l’un derrière l’autre sur les bancs pour éviter de tricher, semble t’il.
A coté de nous, sur le même banc, les CM 2, également alignés, par la même logique sans doute.
Je me souviens très bien de l’élève du C.M 2 assis près de moi, il se prénommé Albert. Si je me le rappelle, c’est qu il y a deux très bonnes raisons à cela. La première, oh malheur ! Je découvris qu’il était le frère de Jacques et cela rendra ma tache difficile au nomment crucial du combat. En plus, il était bien plus fort rien qu’à le voir, rien à discuter la dessus.
Avait-il confié les clefs de la suprématie à son frère et le défendait-il quand cela s’avérait nécessaire ? Ou bien c’est lui le fort et je m’étais trompé dans mon enquête ?
L’instituteur semblait s’être attaché à me faire rattraper le temps perdu. Mais peut-on rattraper le temps. Peut-on en neuf mois apprendre au gamin ce qu’il aurait dû apprendre en trois, voire quatre ans !
Le gamin avait-il envie lui d’apprendre ? En avait-il les capacités ?
Aucun de ses parents ne se préoccupait de ses notes, ou de ses devoirs comme cela était déjà le cas au Maroc.
Nos regards se redonnent rendez vous, ce sera pour bientôt. Lui aussi me jaugeait, mais juste pour ruminer si j’étais de taille ou si j’allais comme les autres abdiquer sans combat, fort de sa réputation de « sale gosse ».
De cette jauge des combattants, des gladiateurs de l’arène, des boxeurs avant le combat, c’est à cet instant précis que vous gagnez votre combat. Si vous perdez l’assaut des yeux et de la haine, votre adversaire saura déjà qu’il va vous faire plier le genou.
Le combat aura bien lieu, je le voyais dans son regard moqueur et hautain, et moi de plus j’en avais trop envie. J’aimais trop ce jeu du plus fort, du dominant dominé. J’aime trop le regard envié des autres gamins quand vous brandissez les bras en l’air, pendant que votre victime crache encore le sable que vous lui avez rageusement enfoncé dans la bouche. Il devait en une seule fois avaler le sable, sa vanité, son orgueil, sa salive, et j’en passe. C’est beaucoup pour un vaincu !
Qui va provoquer ?
Attention le provocateur doit gagner ! A la clef de la victoire il y aura aussi la punition du maître. Le combat devra avoir lieu au grand jour dans l’arène de l’école, devant tout le monde, pour solenniser l’événement. Et qu’il n’y ait pas de protestation possible. Ce sera ainsi jusqu'à l’arrivée d’un autre prétendant.
Le vainqueur sera puni par le maître, c’est sûr, c’est en quelque sorte aussi son trophée. Être exposé devant tous au piquet pendant la recréation parce que vous vous êtes battu, et que vous avez vaincu. C’est là, la reconnaissance suprême de votre incontestable victoire. Personne ne devra nier votre titre. Cela est vrai au Maroc, en France et dans toutes les écoles, aujourd’hui encore.
Je décidais d’attendre le défi, il avait pour lui toute l’école, les faibles de sa cour, et les autres plus anciens que moi. Et surtout, ils étaient du pays.
Première journée de classe. Surprise ! Trois niveaux différents dans la classe. Je découvrais pour la première fois que les écoles campagnardes ne perduraient que parce que dans la même classe étaient mêlés des élèves de niveaux différents.
Chez nous, le CE 1, CM 1 et CM 2, les grands qui préparent la rentrée en sixième, pour l’année suivante.
Dans la classe de Madame trois autres niveaux aussi, ceux des « petits » disait-on.
Avec moi au CM1, cinq à six élèves pas plus. Jacques, celui que je devais combattre, Robert, Alain, Monique, Emilien, Richard composaient la classe, assis l’un derrière l’autre sur les bancs pour éviter de tricher, semble t’il.
A coté de nous, sur le même banc, les CM 2, également alignés, par la même logique sans doute.
Je me souviens très bien de l’élève du C.M 2 assis près de moi, il se prénommé Albert. Si je me le rappelle, c’est qu il y a deux très bonnes raisons à cela. La première, oh malheur ! Je découvris qu’il était le frère de Jacques et cela rendra ma tache difficile au nomment crucial du combat. En plus, il était bien plus fort rien qu’à le voir, rien à discuter la dessus.
Avait-il confié les clefs de la suprématie à son frère et le défendait-il quand cela s’avérait nécessaire ? Ou bien c’est lui le fort et je m’étais trompé dans mon enquête ?
L’instituteur semblait s’être attaché à me faire rattraper le temps perdu. Mais peut-on rattraper le temps. Peut-on en neuf mois apprendre au gamin ce qu’il aurait dû apprendre en trois, voire quatre ans !
Le gamin avait-il envie lui d’apprendre ? En avait-il les capacités ?
Aucun de ses parents ne se préoccupait de ses notes, ou de ses devoirs comme cela était déjà le cas au Maroc.
11 novembre 2007
Mes années France ( épisode 14 )
..Nous soufrions aussi de cette invective du pied noir esclavagiste, qui nourrissait ses employés avec un bol de riz, comme me le dira un jour la laitière, lorsque timidement je lui demandais de me faire crédit jusqu'à demain. J’avais seulement oublié la monnaie. Nous les pieds noirs devions payer de suite, sinon « pas de lait ».
Dur alors un jour d’expliquer ce qu’a vécu un pied noir, être totalement compris, et tenter de se faire accepter un jour. Et si vous n’aviez pas d’argent comme ils semblaient l’admettre peu à peu de mes parents, ils ne manquaient d’âmes sereines pour raconter :
« C’est qu’ils sont malin ces pieds noirs, l’argent ils l’ont et font semblant d’être pauvres ».
Eux mêmes, dans ces contrées reculées le pratiquaient avec leur propre deniers. On cache ses sous, et on mène une vie de faux pauvre. Réminiscence des temps anciens où les coupeurs de gorges hantaient cette vallée profonde. On ne sait jamais ! S’ils revenaient ! Mais ils sont revenus ! Mandrin est de retour. Ils se nomment maintenant banques, assurances, crédit, et huissiers.
« Je les ai vu moi ! Ils mangent avec les doigts un plat au milieu d’une table basse, ils sont assis autour et se lèchent les doigts ! Même pas français que je vous dis ! »
C’était là leur vision simpliste d’un repas dominical autour d’un couscous ou d’un tagine, accompagné d’un modeste Sidi Brahim ou Gris de Boulaouane. Nous avions tous j’en suis sûr, le besoin de retrouver dans ces gestes, ce repas, ce vin, les parfums, et les délicieuses effluves, que les caisses du déménagement nous avaient privées pour l’éternité. Jamais nous ne l’avions mangé autrement, autrefois, alors pourquoi changer maintenant, même si nous sommes aujourd’hui en France. Je devrai dire en Ariège !grosse nuance !
Etre d’ici, c’est être né dans la commune du village pas plus loin. Si vous êtes d’à peine quelques kilomètres de là, de Balmajou, de Lairole, du cols des Marrous, de Darnac ou Brassac ou d’ailleurs, méfiance, vous n’êtes pas d’ici.
Imaginez mon handicap, moi le pied noir d’Afrique, mais bon, il fallait de toute façon en passer par là, si nous voulions avoir une chance infime d’être acceptés.
Dans cette cour de l’école communale, comme tout nouvel animal dans une basse cour doit se présenter aux coqs, aux dindons, aux canards, je me laissais dévisager, en espérant ne pas prendre une première rouste juste pour la lutte d’influence. Et faire connaissance !
Le jaugeage réglementaire terminé, je ne me souviens pas avoir subi en ce premier jour une quelconque raillerie, moquerie ou tentative d’intimidation. J’en fus si heureux que le soir j’en parlais à mes parents.
Il ne faisait pas de doute que le plus fort de cette école, lui a dû lui me toiser, la taille, les muscles, et ce je ne sais quoi qui fait qu’au premier regard il saura s’il va garder son titre ou s’il devra me provoquer et honteusement le confier au dernier venu, si je devais sortir vainqueur du combat. J’admets très volontiers que je recherchais cette confrontation, comme à Mibladen ou ailleurs dans toutes les cours de recréation du monde, ou tout simplement dans la vie.
Je savais par expérience que le plus fort de la classe serait respecté, et j’avais vite compris que c’était pour moi le fabuleux raccourci de mon intégration. Certes quelque peu militaire mais oh ! combien efficace et rapide. De plus, je ne doutais pas que je sortirai vainqueur de la confrontation.
Je jouais mon intégration sur un coup !
Coup de chance qu’il ne soit pas trop fort !
Coup de tête ou coup de pied comme j’avais appris à les donner.
Lui ne devait pas connaître la technique de combat des cours de recréation du Maroc. Il sera surpris, j’en fais mon affaire.
A lui de choisir, le combat sur le tas de sable qui sert à sauter en hauteur ou la retraite, sans combat. La tête baissée, il se retournera et s’en ira sans mot dire, à votre premier acte d’homme fort.
Je le cherchais aussi moi du regard et le trouvais facilement, il ne se cachait point. Il est aisé à reconnaître le plus fort d’une classe.
Il a toujours une cour autour de lui. Une cour qui le « chimpanze ». Il rit, ils en font de même, il croise les bras et ils l’imitent, de peur de ne plus être de la bande, rejetés, méprisés, maltraités, et en final devenir le soufre douleur préféré du chef.
Dur alors un jour d’expliquer ce qu’a vécu un pied noir, être totalement compris, et tenter de se faire accepter un jour. Et si vous n’aviez pas d’argent comme ils semblaient l’admettre peu à peu de mes parents, ils ne manquaient d’âmes sereines pour raconter :
« C’est qu’ils sont malin ces pieds noirs, l’argent ils l’ont et font semblant d’être pauvres ».
Eux mêmes, dans ces contrées reculées le pratiquaient avec leur propre deniers. On cache ses sous, et on mène une vie de faux pauvre. Réminiscence des temps anciens où les coupeurs de gorges hantaient cette vallée profonde. On ne sait jamais ! S’ils revenaient ! Mais ils sont revenus ! Mandrin est de retour. Ils se nomment maintenant banques, assurances, crédit, et huissiers.
« Je les ai vu moi ! Ils mangent avec les doigts un plat au milieu d’une table basse, ils sont assis autour et se lèchent les doigts ! Même pas français que je vous dis ! »
C’était là leur vision simpliste d’un repas dominical autour d’un couscous ou d’un tagine, accompagné d’un modeste Sidi Brahim ou Gris de Boulaouane. Nous avions tous j’en suis sûr, le besoin de retrouver dans ces gestes, ce repas, ce vin, les parfums, et les délicieuses effluves, que les caisses du déménagement nous avaient privées pour l’éternité. Jamais nous ne l’avions mangé autrement, autrefois, alors pourquoi changer maintenant, même si nous sommes aujourd’hui en France. Je devrai dire en Ariège !grosse nuance !
Etre d’ici, c’est être né dans la commune du village pas plus loin. Si vous êtes d’à peine quelques kilomètres de là, de Balmajou, de Lairole, du cols des Marrous, de Darnac ou Brassac ou d’ailleurs, méfiance, vous n’êtes pas d’ici.
Imaginez mon handicap, moi le pied noir d’Afrique, mais bon, il fallait de toute façon en passer par là, si nous voulions avoir une chance infime d’être acceptés.
Dans cette cour de l’école communale, comme tout nouvel animal dans une basse cour doit se présenter aux coqs, aux dindons, aux canards, je me laissais dévisager, en espérant ne pas prendre une première rouste juste pour la lutte d’influence. Et faire connaissance !
Le jaugeage réglementaire terminé, je ne me souviens pas avoir subi en ce premier jour une quelconque raillerie, moquerie ou tentative d’intimidation. J’en fus si heureux que le soir j’en parlais à mes parents.
Il ne faisait pas de doute que le plus fort de cette école, lui a dû lui me toiser, la taille, les muscles, et ce je ne sais quoi qui fait qu’au premier regard il saura s’il va garder son titre ou s’il devra me provoquer et honteusement le confier au dernier venu, si je devais sortir vainqueur du combat. J’admets très volontiers que je recherchais cette confrontation, comme à Mibladen ou ailleurs dans toutes les cours de recréation du monde, ou tout simplement dans la vie.
Je savais par expérience que le plus fort de la classe serait respecté, et j’avais vite compris que c’était pour moi le fabuleux raccourci de mon intégration. Certes quelque peu militaire mais oh ! combien efficace et rapide. De plus, je ne doutais pas que je sortirai vainqueur de la confrontation.
Je jouais mon intégration sur un coup !
Coup de chance qu’il ne soit pas trop fort !
Coup de tête ou coup de pied comme j’avais appris à les donner.
Lui ne devait pas connaître la technique de combat des cours de recréation du Maroc. Il sera surpris, j’en fais mon affaire.
A lui de choisir, le combat sur le tas de sable qui sert à sauter en hauteur ou la retraite, sans combat. La tête baissée, il se retournera et s’en ira sans mot dire, à votre premier acte d’homme fort.
Je le cherchais aussi moi du regard et le trouvais facilement, il ne se cachait point. Il est aisé à reconnaître le plus fort d’une classe.
Il a toujours une cour autour de lui. Une cour qui le « chimpanze ». Il rit, ils en font de même, il croise les bras et ils l’imitent, de peur de ne plus être de la bande, rejetés, méprisés, maltraités, et en final devenir le soufre douleur préféré du chef.
05 novembre 2007
Mes années France ( épisode 13 )
Ce jour là :
« Patrick venez chercher votre baffe »
Assis dans son fauteuil dominant la classe du haut de son estrade, et de son orgueil, il puait la connaissance de celui qui croit savoir. Il venait de cracher sa phrase préférée. Celle qui le faisait rire et jouir aussi.
Humiliation suprême que de devoir se lever, escorter les bourgeois de Calais avec sa tête sur un coussin. Tendre sa joue pleureuse et craintive, humblement. Des tremblements de haine dans les poings serrés à s’en faire saigner les doigts et le coeur. La gifle part, son rire sadique accompagne ma douleur, elle m’explose la joue droite et la gauche. Je regarde le prof dans les yeux, arme mon revolver, et comme ma mère face aux douaniers l’abat d’une balle en plein front. Lui aussi sera enterré dans la forêt de Tederrs ou d’Oulmes ! Je retourne à ma place. J’ai fais pipi dans le pantalon. Je dissimule tant que possible mon avilissante réaction à la peur.
Les mains vengeresses devant moi, je cache cette tache disgracieuse. La scène est toujours présente là quelque part.
Je venais d’inaugurer l’école de Jules Ferry et l’affection brutale de l’un de ses représentants. Je ne suis pas rancunier mais j’ai de la mémoire, mon temps et le sien viendront !
Le premier jour dans cette école primaire, je devais être la bête de foire, la créature curieuse, non pas l’écolier qui vient d’une autre commune ou tout au plus d’un autre canton éloigné, non j’étais l’étranger, celui qui vient d’ailleurs, qui ne mérite qu’un regard méprisant. Les écoliers de Serres sur Arget découvraient là devant eux à quoi pouvait bien ressembler un pied noir. Une espèce bien rare dans cette contrée. Cette race que tous les ragots malveillants avaient colporté jusque dans la montagne.
Nous étions les seuls pieds noirs des environs, plus précisément j’étais le seul puisque né en territoire marocain, et je comptais bien sur cette atypisme pour me faire remarquer, maintenant qu’ils connaissaient mon lourd secret de Pied noir rapatrié. Je devais m’imposer à eux qui n’étaient après tout que des Ariégeois, et moi le chasseur de l’Atlas.
Je me doute que toisé de haut en bas les gamins s’attarderaient sur mes pieds pour vérifier s’ils étaient réellement noirs. La question qui les démange, viendra bien assez rapidement. J’avais minutieusement préparé la réponse, il ne fallait pas caler et répondre :
« C’est parce que au Maroc seuls les européens portent des chaussures et comme elles sont noires, nous sommes les pieds noirs. »
Oui, bof ! On m’avait dit de dire cela, je le disais, mais franchement, je n’étais pas persuadé du tout de cette imaginaire théorie. Moi d’abord au Maroc je n’avais pas de chaussures aux pieds. Et quand il fallait en mettre c’était plutôt des claquettes. Pour mes parents c’était simple, Pataugas tout le temps, Pataugas pour la chasse, Pataugas pour tous les jours, et Pataugas spéciales pour le dimanche.
Un Ariégeois français et un pied noir français c’est pareil ! Normalement ! Point du tout, dans leur tête j’étais l’étranger, l’esclavagiste, le riche, et pas d’ici. De la bas de ce pays, et pas d’ici, pas de Serres sur Arget. Nous n’étions en France que pour usurper les terres et les maisons des vrais français ! C’est ce qu’ils entendaient dans leurs chaumières le soir à la veillée ou devant la télé noir et blanc, comme leurs âmes !
« Et en plus ont leur prête de l’argent à des taux que nous les paysans d’ici on a même pas le droit »
« Ils se sont foutu du pognon plein les poches et en plus le crédit agricole les enrichit en France »
Rengaines inlassables et fatigantes, qui nous accompagnait depuis notre arrivée. Toutes pas forcement ciblé sur mon père. Mais bien entendu, tous les pieds noirs se ressemblaient, comme tous les chinois, tous les arabes et tous les noirs de la planète. Celui là comme les autres.
Il ne fallait surtout pas répondre, ni se justifier. Nous soufrions tous de cela en silence, la chaire meurtrie, il fallait accepter, et s’intégrer par l’exemple, s’intégrer par l’exemple, s’intégrer par l’exemple,.s’intégrer……..
« Patrick venez chercher votre baffe »
Assis dans son fauteuil dominant la classe du haut de son estrade, et de son orgueil, il puait la connaissance de celui qui croit savoir. Il venait de cracher sa phrase préférée. Celle qui le faisait rire et jouir aussi.
Humiliation suprême que de devoir se lever, escorter les bourgeois de Calais avec sa tête sur un coussin. Tendre sa joue pleureuse et craintive, humblement. Des tremblements de haine dans les poings serrés à s’en faire saigner les doigts et le coeur. La gifle part, son rire sadique accompagne ma douleur, elle m’explose la joue droite et la gauche. Je regarde le prof dans les yeux, arme mon revolver, et comme ma mère face aux douaniers l’abat d’une balle en plein front. Lui aussi sera enterré dans la forêt de Tederrs ou d’Oulmes ! Je retourne à ma place. J’ai fais pipi dans le pantalon. Je dissimule tant que possible mon avilissante réaction à la peur.
Les mains vengeresses devant moi, je cache cette tache disgracieuse. La scène est toujours présente là quelque part.
Je venais d’inaugurer l’école de Jules Ferry et l’affection brutale de l’un de ses représentants. Je ne suis pas rancunier mais j’ai de la mémoire, mon temps et le sien viendront !
Le premier jour dans cette école primaire, je devais être la bête de foire, la créature curieuse, non pas l’écolier qui vient d’une autre commune ou tout au plus d’un autre canton éloigné, non j’étais l’étranger, celui qui vient d’ailleurs, qui ne mérite qu’un regard méprisant. Les écoliers de Serres sur Arget découvraient là devant eux à quoi pouvait bien ressembler un pied noir. Une espèce bien rare dans cette contrée. Cette race que tous les ragots malveillants avaient colporté jusque dans la montagne.
Nous étions les seuls pieds noirs des environs, plus précisément j’étais le seul puisque né en territoire marocain, et je comptais bien sur cette atypisme pour me faire remarquer, maintenant qu’ils connaissaient mon lourd secret de Pied noir rapatrié. Je devais m’imposer à eux qui n’étaient après tout que des Ariégeois, et moi le chasseur de l’Atlas.
Je me doute que toisé de haut en bas les gamins s’attarderaient sur mes pieds pour vérifier s’ils étaient réellement noirs. La question qui les démange, viendra bien assez rapidement. J’avais minutieusement préparé la réponse, il ne fallait pas caler et répondre :
« C’est parce que au Maroc seuls les européens portent des chaussures et comme elles sont noires, nous sommes les pieds noirs. »
Oui, bof ! On m’avait dit de dire cela, je le disais, mais franchement, je n’étais pas persuadé du tout de cette imaginaire théorie. Moi d’abord au Maroc je n’avais pas de chaussures aux pieds. Et quand il fallait en mettre c’était plutôt des claquettes. Pour mes parents c’était simple, Pataugas tout le temps, Pataugas pour la chasse, Pataugas pour tous les jours, et Pataugas spéciales pour le dimanche.
Un Ariégeois français et un pied noir français c’est pareil ! Normalement ! Point du tout, dans leur tête j’étais l’étranger, l’esclavagiste, le riche, et pas d’ici. De la bas de ce pays, et pas d’ici, pas de Serres sur Arget. Nous n’étions en France que pour usurper les terres et les maisons des vrais français ! C’est ce qu’ils entendaient dans leurs chaumières le soir à la veillée ou devant la télé noir et blanc, comme leurs âmes !
« Et en plus ont leur prête de l’argent à des taux que nous les paysans d’ici on a même pas le droit »
« Ils se sont foutu du pognon plein les poches et en plus le crédit agricole les enrichit en France »
Rengaines inlassables et fatigantes, qui nous accompagnait depuis notre arrivée. Toutes pas forcement ciblé sur mon père. Mais bien entendu, tous les pieds noirs se ressemblaient, comme tous les chinois, tous les arabes et tous les noirs de la planète. Celui là comme les autres.
Il ne fallait surtout pas répondre, ni se justifier. Nous soufrions tous de cela en silence, la chaire meurtrie, il fallait accepter, et s’intégrer par l’exemple, s’intégrer par l’exemple, s’intégrer par l’exemple,.s’intégrer……..
30 octobre 2007
Mes années France (épisode 12 )
Mes bulletins scolaires ternes et sans vie se ressemblaient d’un trimestre sur l’autre. Ils me poursuivaient inexorablement d’année en année, avec toujours les mêmes remarques :
« Élève très intelligent, vif, peut beaucoup mieux faire, mais le veut-il ? »
« Peut mieux faire s’il s’en donne la peine »
« Curieux, s’intéresse à la classe, participe, parfois chahuteur mais pourquoi ne transforme-t-il pas cela en résultat scolaire ? »
Ces aimables remarques provenaient toujours des enseignants qui peinaient à me voir au ralenti dans leur classe. Moisir sur le quai du savoir, sans espoir de voyage, avec disaient-il un potentiel énorme. Que faut-il faire pour l’exploiter ? La punition ? La contrainte ? La motivation ? Rien n’y faisait. Toutes les tentatives venaient fatalement s’échouer à mes pieds, au bord de ma vie dans l’écume de ma rage. J’attendais le déclic culturel, et chaque jour le retard s’accumulait. Pénélope fut patiente elle, pourquoi pas moi ! Je me laissais volontairement mourir à petit feu de la connaissance. Et de l’éducation nationale.
L’école n’avait pas encore su se faire une place dans ma vie. Ce temps viendrait un jour sûrement. Aujourd’hui, je sais quand ce jour a fini par surgir dans ma vie, presque par traîtrise, mais avec un infime bonheur. Ce sera pour plus tard.
Et puis, il y avait aussi les autres, les profs. Ceux qui n’y comprenaient rien disait-on. Ceux qui jugent, décident et tranchent définitivement votre scolarité. Leurs premières impressions étaient toujours la bonne. Vous êtes jugé cancre, vous démarrez cancre, vous resterez cancre, et vous terminez votre scolarité cancre en classes de transition.
« C’est un fainéant, on n’en tirera rien » ! Commentaires intelligents de conseil de classe !
Ils ne vous accordent aucune circonstance atténuante. Jusqu’à ce que votre chemin s’écarte enfin du leur ! Vous aurez alors peut être un jour une deuxième chance, en rencontrant le prof de votre vie.
Moi aussi, si je veux, je peux leur dire une phrase intelligente « le professeur est le courrier de l’essentiel » et paf ! Le monsieur qui a dit ça a un nom allemand, mais je ne le dirai pas !
Les bulletins scolaires de ces professeurs là, me faisaient mal, plus mal que les encouragements des autres enseignants. Ils vous vomissent de la classe. Peu à peu, du premier rang, vous glissez vers le fond, le chauffage, la dernière ligne de démarcation avant les railleries des autres élèves, et échapper à leurs regards meurtriers, et moqueurs.
Le rejet était total, point de réminiscence possible. De professeur en professeur, ma flétrissure me suivait honteusement, et je dégringolais dans les bas fonds de la classe. La honte chevillée au corps vous escorte comme une tare incurable !
Je devais aussi lutter contre cela, ne jamais reculer. Certes je ne visais pas la 1ère place, devant avec les « fayots, » c’est comme cela que nous les moins bons nous nous défendions des autres, en essayant de rallier ainsi une partie de la classe à ma fatale cause. Forme de terrorisme intellectuel, je sais !
Pour ces professeurs là, je n’étais que cancre, fainéant, perturbateur, limite cas social.
Pour l’un d’eux, prof de science en 5ème, son temps viendra aussi, plus tard. Sa paire de claque humiliante, me hante encore.
Comment ne me suis-je pas révolté ? Comment ai-je accepté cet affront ?
« Élève très intelligent, vif, peut beaucoup mieux faire, mais le veut-il ? »
« Peut mieux faire s’il s’en donne la peine »
« Curieux, s’intéresse à la classe, participe, parfois chahuteur mais pourquoi ne transforme-t-il pas cela en résultat scolaire ? »
Ces aimables remarques provenaient toujours des enseignants qui peinaient à me voir au ralenti dans leur classe. Moisir sur le quai du savoir, sans espoir de voyage, avec disaient-il un potentiel énorme. Que faut-il faire pour l’exploiter ? La punition ? La contrainte ? La motivation ? Rien n’y faisait. Toutes les tentatives venaient fatalement s’échouer à mes pieds, au bord de ma vie dans l’écume de ma rage. J’attendais le déclic culturel, et chaque jour le retard s’accumulait. Pénélope fut patiente elle, pourquoi pas moi ! Je me laissais volontairement mourir à petit feu de la connaissance. Et de l’éducation nationale.
L’école n’avait pas encore su se faire une place dans ma vie. Ce temps viendrait un jour sûrement. Aujourd’hui, je sais quand ce jour a fini par surgir dans ma vie, presque par traîtrise, mais avec un infime bonheur. Ce sera pour plus tard.
Et puis, il y avait aussi les autres, les profs. Ceux qui n’y comprenaient rien disait-on. Ceux qui jugent, décident et tranchent définitivement votre scolarité. Leurs premières impressions étaient toujours la bonne. Vous êtes jugé cancre, vous démarrez cancre, vous resterez cancre, et vous terminez votre scolarité cancre en classes de transition.
« C’est un fainéant, on n’en tirera rien » ! Commentaires intelligents de conseil de classe !
Ils ne vous accordent aucune circonstance atténuante. Jusqu’à ce que votre chemin s’écarte enfin du leur ! Vous aurez alors peut être un jour une deuxième chance, en rencontrant le prof de votre vie.
Moi aussi, si je veux, je peux leur dire une phrase intelligente « le professeur est le courrier de l’essentiel » et paf ! Le monsieur qui a dit ça a un nom allemand, mais je ne le dirai pas !
Les bulletins scolaires de ces professeurs là, me faisaient mal, plus mal que les encouragements des autres enseignants. Ils vous vomissent de la classe. Peu à peu, du premier rang, vous glissez vers le fond, le chauffage, la dernière ligne de démarcation avant les railleries des autres élèves, et échapper à leurs regards meurtriers, et moqueurs.
Le rejet était total, point de réminiscence possible. De professeur en professeur, ma flétrissure me suivait honteusement, et je dégringolais dans les bas fonds de la classe. La honte chevillée au corps vous escorte comme une tare incurable !
Je devais aussi lutter contre cela, ne jamais reculer. Certes je ne visais pas la 1ère place, devant avec les « fayots, » c’est comme cela que nous les moins bons nous nous défendions des autres, en essayant de rallier ainsi une partie de la classe à ma fatale cause. Forme de terrorisme intellectuel, je sais !
Pour ces professeurs là, je n’étais que cancre, fainéant, perturbateur, limite cas social.
Pour l’un d’eux, prof de science en 5ème, son temps viendra aussi, plus tard. Sa paire de claque humiliante, me hante encore.
Comment ne me suis-je pas révolté ? Comment ai-je accepté cet affront ?
23 octobre 2007
Mes années France ( épisode 11 )
En orthographe, je mangeais mon pain noir, la misère la plus totale, une misère à la Cosette.
Mais bon Dieu ! Pourquoi cette langue est-elle si difficile ? Et si compliquée ? Une forme de complexe de supériorité à la française ? Ah ! Cela vient du grec et du latin, c’est bien ce que je dis, ça ne pourrait pas venir de chez nous !
Pourquoi les sons et les écrits ne se ressemblent-ils pas ? Pourquoi ne pas écrire tout simplement phonétiquement comme l’arabe qui n’est qu’une suite de rythme phonétique, ou même l’espagnol, qui d’ailleurs accueillera en son sein bienfaiteur ma première dictée sans faute, avant même le français. Jamais je n’arriverai à écrire sans avoir la hantise de me demander « où se réfugient donc ces maudites fautes » ? Je les traque ! J’espionne les lignes ! Remue le plus profond des souvenirs de ma mémoire ! Rien que pour débusquer ces maudites fautes, et les pièges tendus à mon ignorance !
Il m’arrivait souvent de regarder le mot coupable en imaginant
« Ce mot là, juste devant moi sur cette feuille, noir, sans vie, avec ce mot qui me nargue en plus! Est-il plus joli avec deux consonnes ou avec une seule ? Je m’éloigne, bascule la tête à droite, à gauche et je choisis. Une seule consonne ! C’est plus esthétique !
Voila mon Larousse, la beauté du mot, son équilibre des lettres mais point trop, j’aime le simple.
Et bien sûr pourquoi faire simple ! Je me trompais souvent.
Ma méthode peu conventionnelle, je m’en accuse, n’était pas infaillible, et ne respectait pas les canons de l’académie française. Ces honnêtes vieillards qui ne sont là que pour embrouiller la langue française, et s’assurer ainsi la perpétuité de leur siège et de leur savoir du savoir. Imaginez un étranger, qui entend : « Verre, vert, vers !!!! ». Comment l’écrit il ?
La langue française n’est pas faite pour nous ignares du peuple. Elle est exclusivement réservée à une élite qui n’existe que grâce à elle.
Jamais cette flétrissure et cette peur stressante des fautes d’orthographe ne quitteront mon esprit.
Mais bon Dieu ! Pourquoi cette langue est-elle si difficile ? Et si compliquée ? Une forme de complexe de supériorité à la française ? Ah ! Cela vient du grec et du latin, c’est bien ce que je dis, ça ne pourrait pas venir de chez nous !
Pourquoi les sons et les écrits ne se ressemblent-ils pas ? Pourquoi ne pas écrire tout simplement phonétiquement comme l’arabe qui n’est qu’une suite de rythme phonétique, ou même l’espagnol, qui d’ailleurs accueillera en son sein bienfaiteur ma première dictée sans faute, avant même le français. Jamais je n’arriverai à écrire sans avoir la hantise de me demander « où se réfugient donc ces maudites fautes » ? Je les traque ! J’espionne les lignes ! Remue le plus profond des souvenirs de ma mémoire ! Rien que pour débusquer ces maudites fautes, et les pièges tendus à mon ignorance !
Il m’arrivait souvent de regarder le mot coupable en imaginant
« Ce mot là, juste devant moi sur cette feuille, noir, sans vie, avec ce mot qui me nargue en plus! Est-il plus joli avec deux consonnes ou avec une seule ? Je m’éloigne, bascule la tête à droite, à gauche et je choisis. Une seule consonne ! C’est plus esthétique !
Voila mon Larousse, la beauté du mot, son équilibre des lettres mais point trop, j’aime le simple.
Et bien sûr pourquoi faire simple ! Je me trompais souvent.
Ma méthode peu conventionnelle, je m’en accuse, n’était pas infaillible, et ne respectait pas les canons de l’académie française. Ces honnêtes vieillards qui ne sont là que pour embrouiller la langue française, et s’assurer ainsi la perpétuité de leur siège et de leur savoir du savoir. Imaginez un étranger, qui entend : « Verre, vert, vers !!!! ». Comment l’écrit il ?
La langue française n’est pas faite pour nous ignares du peuple. Elle est exclusivement réservée à une élite qui n’existe que grâce à elle.
Jamais cette flétrissure et cette peur stressante des fautes d’orthographe ne quitteront mon esprit.
17 octobre 2007
Mes années France (épisode 10)
Il venait d’avoir 59 ans et une nouvelle vie s’ouvrait devant lui. Je dirais plutôt se refermait subitement sur lui. Tous les rêves qu’il avait pu échafauder depuis son Maroc tant aimé, partaient inexorablement en fumée.
Nous avions tous besoin du contenu de ces caisses. Non pas le matériel, ou les objets qu’elles contenaient, mais bien la part de notre vie qu’elles renfermaient. Nous aurions pu de temps à autres, les consulter, les solliciter, les toucher, les aimer, les caresser d’un regard complice. Juste pour se dire que le courage vient avec l’espérance, et que de l’espoir nous en avions bien besoin, vitalement besoin.
La vie qui attendait mon père lui explosa subitement en pleine figure, et sa déflagration se fera sentir jusqu'à son dernier souffle. Ce qui l’attendait en France, serait bien différent de ce qui l’attendait quelques 40 ans plus tôt sur le port de Casablanca. Le Maroc à son horizon, rien que pour lui. Une valise vide, les yeux pleins d’espoirs.
Il nous dira toujours qu’il ne regretta jamais sa décision, toujours apostrophé par les « Tais-toi Maurice, tu ne sais pas ce que tu dis ! » de ma mère, qui ne manquait aucune occasion de tourner dans la plaie ouverte de mon père, son couteau finement aiguisé au fil de sa haine, et des années en France.
Avaient-ils désormais un avenir ensemble ? Etaient-ils seulement souhaitable de partager leur vide, ou devais-je dans l’urgence, grandir très vite ? Pour me fabriquer tout seul ! Avaient-ils le temps et l’amour de s’occuper de ce mouflet de 11 ans ?
Mon père seul était dupe, et voulait bien se convaincre qu’il avait eu raison. Nous ses fils nous ne le jugions plus, comme autrefois. Il avait décidé, point.
Nous respections………..par respect ! Tout simplement !
1er jour de classe communale en ce mois de printemps 1965. Deux grandes classes se partageaient une cour immense. Un tilleul trônait au beau milieu de ses majestueuses branches. Dans quelques mois il embaumera la cour. Je devenais le nouvel élève du « Groupe scolaire Lakanal ». Comme ma maison, j’étais fier ! Déjà !
Monsieur l’instituteur et sa femme étaient les maîtres incontestés de ce domaine de l’apprentissage des lettres, calcul, histoire….. Et aussi gymnastique, et de tous ce que les gosses avaient besoin d’apprendre. C’est pareil qu’au Maroc sauf qu’ici il n’y a pas les marocains. Faudra vite vérifier si Driss et sa baguette sont dans le coin.
« Bonjour les enfants, je vous présente votre nouveau copain, il se nomme Patrick et viens du ………….Aie ! Voila la honte qui me submerge, il va le dire et je serai la risée de ce peuple au regard moqueur, …….. « Du Maroc, comme moi. Je vous demande de bien l’accueillir chez nous ». Lui aussi était de là-bas, je serai à jamais protégé, personne ne manquera de respecter les paroles ce gentil instituteur.
Compte tenu de mon âge, presque 11 ans, j’aurais dû être au minimum en 6ème au collège à Foix. Mais le retard accumulé dés le début, les changements incessants d’école, et aussi j’avoue, de ma bien mauvaise volonté, avaient eu le dessus sur ma scolarité, et sur ma culture générale. Nul en mathématique, pire ! Rien à en tirer. En histoire ? Je n’en sais rien, je ne me souviens même pas si j’avais appris qu’au Maroc mon ancêtre était gaulois. Cela aurait bien fait rire Rachid l’arabe, Samy le juif ou Katchikas le grec, et moi le « Roumi »chrétien, fils de Marrakech. Tous frères et fils de gaulois français ! Croisés avec l’envahisseur Arabe de Poitiers ! Pourquoi pas !
Nous avions tous besoin du contenu de ces caisses. Non pas le matériel, ou les objets qu’elles contenaient, mais bien la part de notre vie qu’elles renfermaient. Nous aurions pu de temps à autres, les consulter, les solliciter, les toucher, les aimer, les caresser d’un regard complice. Juste pour se dire que le courage vient avec l’espérance, et que de l’espoir nous en avions bien besoin, vitalement besoin.
La vie qui attendait mon père lui explosa subitement en pleine figure, et sa déflagration se fera sentir jusqu'à son dernier souffle. Ce qui l’attendait en France, serait bien différent de ce qui l’attendait quelques 40 ans plus tôt sur le port de Casablanca. Le Maroc à son horizon, rien que pour lui. Une valise vide, les yeux pleins d’espoirs.
Il nous dira toujours qu’il ne regretta jamais sa décision, toujours apostrophé par les « Tais-toi Maurice, tu ne sais pas ce que tu dis ! » de ma mère, qui ne manquait aucune occasion de tourner dans la plaie ouverte de mon père, son couteau finement aiguisé au fil de sa haine, et des années en France.
Avaient-ils désormais un avenir ensemble ? Etaient-ils seulement souhaitable de partager leur vide, ou devais-je dans l’urgence, grandir très vite ? Pour me fabriquer tout seul ! Avaient-ils le temps et l’amour de s’occuper de ce mouflet de 11 ans ?
Mon père seul était dupe, et voulait bien se convaincre qu’il avait eu raison. Nous ses fils nous ne le jugions plus, comme autrefois. Il avait décidé, point.
Nous respections………..par respect ! Tout simplement !
1er jour de classe communale en ce mois de printemps 1965. Deux grandes classes se partageaient une cour immense. Un tilleul trônait au beau milieu de ses majestueuses branches. Dans quelques mois il embaumera la cour. Je devenais le nouvel élève du « Groupe scolaire Lakanal ». Comme ma maison, j’étais fier ! Déjà !
Monsieur l’instituteur et sa femme étaient les maîtres incontestés de ce domaine de l’apprentissage des lettres, calcul, histoire….. Et aussi gymnastique, et de tous ce que les gosses avaient besoin d’apprendre. C’est pareil qu’au Maroc sauf qu’ici il n’y a pas les marocains. Faudra vite vérifier si Driss et sa baguette sont dans le coin.
« Bonjour les enfants, je vous présente votre nouveau copain, il se nomme Patrick et viens du ………….Aie ! Voila la honte qui me submerge, il va le dire et je serai la risée de ce peuple au regard moqueur, …….. « Du Maroc, comme moi. Je vous demande de bien l’accueillir chez nous ». Lui aussi était de là-bas, je serai à jamais protégé, personne ne manquera de respecter les paroles ce gentil instituteur.
Compte tenu de mon âge, presque 11 ans, j’aurais dû être au minimum en 6ème au collège à Foix. Mais le retard accumulé dés le début, les changements incessants d’école, et aussi j’avoue, de ma bien mauvaise volonté, avaient eu le dessus sur ma scolarité, et sur ma culture générale. Nul en mathématique, pire ! Rien à en tirer. En histoire ? Je n’en sais rien, je ne me souviens même pas si j’avais appris qu’au Maroc mon ancêtre était gaulois. Cela aurait bien fait rire Rachid l’arabe, Samy le juif ou Katchikas le grec, et moi le « Roumi »chrétien, fils de Marrakech. Tous frères et fils de gaulois français ! Croisés avec l’envahisseur Arabe de Poitiers ! Pourquoi pas !
10 octobre 2007
Mes années France (épisode 9 )
Les caisses du déménagement nous attendaient, elles venaient d’arriver et piaffaient d’impatience. Je me précipitais pour les ouvrir, pour libérer enfin le Maroc et ses odeurs.
Mon père calmement sortit un trousseau de clef et commença son œuvre. J’allais sentir un tout petit bout de mon pays, le sable de Midelt, et la terre nourricière qui n’attendait qu’une pluie pour étancher sa soif, et apporter le bonheur des belles récoltes. Je suis sûr que les parfums de rose de la distillerie proche du Paysannat ont accompagné les caisses.
« Tu ouvres, tu te dépêches, oui ! » pesta ma mère moins poétique, pressée juste à l’idée de retrouver son passé.
Notre joie fut de courte durée, très courte même. Il y avait bien des odeurs, mais pas de celles que nous espérions avec tendresse.
Odeur de mer, salée et piquante, à nous racler la gorge. Quel spectacle ! Les caisses avaient été soigneusement trempées quelques temps dans l’eau salée du port. Elles puaient aussi l’odeur nauséabonde du dégoût des dockers envers les « rapatriés ».
Plusieurs pieds noirs furent victimes de ce genre de plaisanteries des manutentionnaires des ports. Français ? Marocains ? Jamais on ne le sût. Et si votre caisse ne sentait pas la mer, c’est qu’à l’intérieur il n’y avait plus rien en état. Parfois même les cadenas furent sectionnés et les caisses visitées.
Quelques rares caisses vierges échappèrent aux profanateurs de notre passé, de nos souvenirs à jamais perdus. La haine tenace des dockers avait définitivement craché son venin sur de pauvres bougres de Français qui avaient commis le crime de vivre au Maroc.
Le monde s’écroulait à nos pieds. Mon père d’habitude si stoïque, se retourna, s’éloigna discrètement. Je suis sûr qu’il pleurait seul à l’écart, là-bas au pied du cyprès que nous venions de rendre à la vie. Ma mère continua de vociférer ! Elle explosait sa haine !
Ils allaient voir les salauds qui avaient fait ça !
Qu’ils se montrent s’ils sont des hommes ! Et elle, la fille du Maroc, leur montrerait comment elle allait solutionner son problème !
Ce fut le coup de grâce. Plus rien ne pouvait désormais lui donner envie de vivre cette vie. Elle vivra désormais cloisonnée entre le passé et un futur absent.
Elle s’enferma d’avantage dans ses souvenirs. Si les vestiges du Maroc emballés dans ces pauvres caisses n’étaient plus là pour témoigner, par la faute de fossoyeurs de rêves, il lui restait la mémoire ! Sa mémoire des temps heureux. Du temps où elle se croyait heureuse pour la vie ! Et ça personne ne pourra lui voler ! Ni même en imaginer une once de son intensité.
Des étrangers avaient mutilé, violé de nos mémoires les quelques malheureux objets que nous avions amoureusement sélectionnés.
« Mort aux français ! ».
Ma mère venait de condamner sans appel les dockers français.
« Les marocains n’auraient jamais osés faire cela eux ».
Elle continua à haïr les français. La liste des homicides de ma mère commençait à s’allonger dangereusement. Dans le même trou, dans la forêt de « Tedders », elle y jeta sans regrets, les douaniers, les dockers et pas mal de français. Il devait bien y avoir des innocents dans le tas. J’aurais dû vous préciser que c’était seulement mon père qui nous éleva avec ses principes de tolérance, ma mère en avait d’autres. La vengeance, et la rancune parmi d’autres, en étaient ses dignes représentants.
D’ailleurs, elle ne nous éduquât jamais, elle vivait à coté de nous. Je découvrais son système si spécial d’éducation depuis très longtemps, et cela au fur et à mesure que les journées et les années s’égrenaient par les paires de gifles journalières devenues son réflexe de vie que je recevais depuis ma tendre enfance. Plus par réflexe que par méchanceté, du moins j’essayais de m’en convaincre.
Mon père lui, comme à son habitude ne laissa rien paraître. Je me doutais qu’il commençait à appréhender les instants de vie sans joies qui l’attendaient.
Mon père calmement sortit un trousseau de clef et commença son œuvre. J’allais sentir un tout petit bout de mon pays, le sable de Midelt, et la terre nourricière qui n’attendait qu’une pluie pour étancher sa soif, et apporter le bonheur des belles récoltes. Je suis sûr que les parfums de rose de la distillerie proche du Paysannat ont accompagné les caisses.
« Tu ouvres, tu te dépêches, oui ! » pesta ma mère moins poétique, pressée juste à l’idée de retrouver son passé.
Notre joie fut de courte durée, très courte même. Il y avait bien des odeurs, mais pas de celles que nous espérions avec tendresse.
Odeur de mer, salée et piquante, à nous racler la gorge. Quel spectacle ! Les caisses avaient été soigneusement trempées quelques temps dans l’eau salée du port. Elles puaient aussi l’odeur nauséabonde du dégoût des dockers envers les « rapatriés ».
Plusieurs pieds noirs furent victimes de ce genre de plaisanteries des manutentionnaires des ports. Français ? Marocains ? Jamais on ne le sût. Et si votre caisse ne sentait pas la mer, c’est qu’à l’intérieur il n’y avait plus rien en état. Parfois même les cadenas furent sectionnés et les caisses visitées.
Quelques rares caisses vierges échappèrent aux profanateurs de notre passé, de nos souvenirs à jamais perdus. La haine tenace des dockers avait définitivement craché son venin sur de pauvres bougres de Français qui avaient commis le crime de vivre au Maroc.
Le monde s’écroulait à nos pieds. Mon père d’habitude si stoïque, se retourna, s’éloigna discrètement. Je suis sûr qu’il pleurait seul à l’écart, là-bas au pied du cyprès que nous venions de rendre à la vie. Ma mère continua de vociférer ! Elle explosait sa haine !
Ils allaient voir les salauds qui avaient fait ça !
Qu’ils se montrent s’ils sont des hommes ! Et elle, la fille du Maroc, leur montrerait comment elle allait solutionner son problème !
Ce fut le coup de grâce. Plus rien ne pouvait désormais lui donner envie de vivre cette vie. Elle vivra désormais cloisonnée entre le passé et un futur absent.
Elle s’enferma d’avantage dans ses souvenirs. Si les vestiges du Maroc emballés dans ces pauvres caisses n’étaient plus là pour témoigner, par la faute de fossoyeurs de rêves, il lui restait la mémoire ! Sa mémoire des temps heureux. Du temps où elle se croyait heureuse pour la vie ! Et ça personne ne pourra lui voler ! Ni même en imaginer une once de son intensité.
Des étrangers avaient mutilé, violé de nos mémoires les quelques malheureux objets que nous avions amoureusement sélectionnés.
« Mort aux français ! ».
Ma mère venait de condamner sans appel les dockers français.
« Les marocains n’auraient jamais osés faire cela eux ».
Elle continua à haïr les français. La liste des homicides de ma mère commençait à s’allonger dangereusement. Dans le même trou, dans la forêt de « Tedders », elle y jeta sans regrets, les douaniers, les dockers et pas mal de français. Il devait bien y avoir des innocents dans le tas. J’aurais dû vous préciser que c’était seulement mon père qui nous éleva avec ses principes de tolérance, ma mère en avait d’autres. La vengeance, et la rancune parmi d’autres, en étaient ses dignes représentants.
D’ailleurs, elle ne nous éduquât jamais, elle vivait à coté de nous. Je découvrais son système si spécial d’éducation depuis très longtemps, et cela au fur et à mesure que les journées et les années s’égrenaient par les paires de gifles journalières devenues son réflexe de vie que je recevais depuis ma tendre enfance. Plus par réflexe que par méchanceté, du moins j’essayais de m’en convaincre.
Mon père lui, comme à son habitude ne laissa rien paraître. Je me doutais qu’il commençait à appréhender les instants de vie sans joies qui l’attendaient.
03 octobre 2007
Mes années france (episode 8)

La surprise de notre nouvelle habitation, celle qui devait faire de nous des français et des Ariégeois dociles et intégrés fut totale. Les reproches de ma mère ne manquèrent pas, et me sonnent encore dans les tempes. Nous séjournerons bien plus longtemps que prévu dans ce gîte humide de La Mouline, avant de transformer ce tas de ronces inhospitalier et sans âme, en une maison habitable qui sentirait bon la France.
La fratrie était réunie. Mon père avait battu rappel de tous ses fils. Claude, qui était rentré du Maroc avant nous pour ses études en terminale, passait sa deuxième partie du bac à Foix. Examen qu’il aura haut la main. Daniel, l’aîné, lui s’était installé du coté de Valence dans la Drôme. Il avait quitté le Maroc en 1957 après les émeutes douloureuses et sanglantes de Oujda. Les trois frères si rarement réunis, avaient pour mission de nettoyer la cour et de lui redonner son lustre d’antan. Nous étions tous heureux d’être enfin réunis et de vivre ces quelques jours si rares ensemble.
Scies, bêches, râteaux, faux, tapes amicales, et jurons, se bousculèrent pendant une semaine complète. Les passants curieux, un tantinet narquois, ne manquaient pas d’aller et retour rituels, pour mesurer avec nous l’avancement des travaux. Je ne me souviens pas que l’un d’entre eux ait tenté une phrase amicale, ne serait-ce que pour nous dire, « il fait chaud aujourd’hui, vous ne pensez pas. ». Connaissant mon père et sa jovialité légendaire, il aurait déballé notre pedigree à cette seule tentative de contact, et de chaleur humaine dont il avait tant besoin. Il se satisferait pour l’instant de vire avec sa famille, les outils à la main pour se fabriquer un futur.Viendra ensuite le temps des amabilités.
Enfin une allumette libératrice craqua, s’enflamma, et envoya dans sa fumée tout le malheureux passé de notre demeure enfin libérée. Après les ronces, il faudra s’atteler à démonter quelques bâtiments, encombrants, forts laids et en piteux états.
Je crus déceler chez elle un signe amical de reconnaissance. Elle respirait à nouveau grâce à ces drôles d’étrangers venus de si loin pour lui rendre sa splendeur et sa position d’antan. Les gens de la rue ne se moqueraient plus d’elle. C’est qu’elle avait gardée toute sa fierté dame ! Elle allait maintenant, j’en suis sûr, dés qu’elle le pourrait nous abriter du mieux que ses vieux os le permettraient, du vent, de la pluie, de la chaleur, de ses murs bien épais, mais aussi du bruit, et surtout des commérages qui ne manqueraient pas.
Car des vieux os, elle en avait. Nous découvrions une pierre sculptée juste au dessus de l’entrée, il y était inscrit 1739 ! Cette dame était née avant la révolution française. Je l’observais avec tendresse et me disais qu’elle avait dû en voir et vécu des événements dans ce petit village. Nous apprenions que notre maison avait toujours été la maison des maîtres du village, avant de terminer son agonie sous les ronces, pour on ne sait plus quelle raison. Elle avait aussi connu Lakanal, le député de la convention né ici tout proche à la Coupière, dont la statue trône à la mairie. Je devais absolument rechercher ce qui avait pu se passer cette année 1739, une bonne encyclopédie m’y aiderait.
D’abord, je cherchais Lakanal.
LAKANAL : Né à Serres sur Arget (c’est faux sa maison est à la Coupière, même si ce n’est pas loin) le 14 juillet 1762, mort en février 1845. Et en plus un 14 juillet. Cela ne s’invente pas au siècle de Louis XVI et de la prise de la Bastille.
Il fut député de l’Ariège et siégea au Montagnard, il vota la mort du roi Louis XVI.
Et bien ! Notre maison, ce n’est pas la maison de tout le monde ! Elle doit en connaître des secrets ! Il y a un trésor caché quelque part ! Parait-il ! Des passants s’arrêtaient enfin pour discuter un peu par curiosité plus que par l’envie. Ils nous disaient :
« Hum ! En cherchant bien vous trouverez bien quelque chose, cette maison a toujours était celle des riches du village ».
Ils appuyaient bien sur le « riche », histoire de nous faire comprendre que la coutume reprenait ses droits, et qu’ils avaient bien compris que nous étions riches et qu’ils n’étaient pas dupes de la façon dont nous nous étions enrichis là-bas aux colonies.
La fratrie était réunie. Mon père avait battu rappel de tous ses fils. Claude, qui était rentré du Maroc avant nous pour ses études en terminale, passait sa deuxième partie du bac à Foix. Examen qu’il aura haut la main. Daniel, l’aîné, lui s’était installé du coté de Valence dans la Drôme. Il avait quitté le Maroc en 1957 après les émeutes douloureuses et sanglantes de Oujda. Les trois frères si rarement réunis, avaient pour mission de nettoyer la cour et de lui redonner son lustre d’antan. Nous étions tous heureux d’être enfin réunis et de vivre ces quelques jours si rares ensemble.
Scies, bêches, râteaux, faux, tapes amicales, et jurons, se bousculèrent pendant une semaine complète. Les passants curieux, un tantinet narquois, ne manquaient pas d’aller et retour rituels, pour mesurer avec nous l’avancement des travaux. Je ne me souviens pas que l’un d’entre eux ait tenté une phrase amicale, ne serait-ce que pour nous dire, « il fait chaud aujourd’hui, vous ne pensez pas. ». Connaissant mon père et sa jovialité légendaire, il aurait déballé notre pedigree à cette seule tentative de contact, et de chaleur humaine dont il avait tant besoin. Il se satisferait pour l’instant de vire avec sa famille, les outils à la main pour se fabriquer un futur.Viendra ensuite le temps des amabilités.
Enfin une allumette libératrice craqua, s’enflamma, et envoya dans sa fumée tout le malheureux passé de notre demeure enfin libérée. Après les ronces, il faudra s’atteler à démonter quelques bâtiments, encombrants, forts laids et en piteux états.
Je crus déceler chez elle un signe amical de reconnaissance. Elle respirait à nouveau grâce à ces drôles d’étrangers venus de si loin pour lui rendre sa splendeur et sa position d’antan. Les gens de la rue ne se moqueraient plus d’elle. C’est qu’elle avait gardée toute sa fierté dame ! Elle allait maintenant, j’en suis sûr, dés qu’elle le pourrait nous abriter du mieux que ses vieux os le permettraient, du vent, de la pluie, de la chaleur, de ses murs bien épais, mais aussi du bruit, et surtout des commérages qui ne manqueraient pas.
Car des vieux os, elle en avait. Nous découvrions une pierre sculptée juste au dessus de l’entrée, il y était inscrit 1739 ! Cette dame était née avant la révolution française. Je l’observais avec tendresse et me disais qu’elle avait dû en voir et vécu des événements dans ce petit village. Nous apprenions que notre maison avait toujours été la maison des maîtres du village, avant de terminer son agonie sous les ronces, pour on ne sait plus quelle raison. Elle avait aussi connu Lakanal, le député de la convention né ici tout proche à la Coupière, dont la statue trône à la mairie. Je devais absolument rechercher ce qui avait pu se passer cette année 1739, une bonne encyclopédie m’y aiderait.
D’abord, je cherchais Lakanal.
LAKANAL : Né à Serres sur Arget (c’est faux sa maison est à la Coupière, même si ce n’est pas loin) le 14 juillet 1762, mort en février 1845. Et en plus un 14 juillet. Cela ne s’invente pas au siècle de Louis XVI et de la prise de la Bastille.
Il fut député de l’Ariège et siégea au Montagnard, il vota la mort du roi Louis XVI.
Et bien ! Notre maison, ce n’est pas la maison de tout le monde ! Elle doit en connaître des secrets ! Il y a un trésor caché quelque part ! Parait-il ! Des passants s’arrêtaient enfin pour discuter un peu par curiosité plus que par l’envie. Ils nous disaient :
« Hum ! En cherchant bien vous trouverez bien quelque chose, cette maison a toujours était celle des riches du village ».
Ils appuyaient bien sur le « riche », histoire de nous faire comprendre que la coutume reprenait ses droits, et qu’ils avaient bien compris que nous étions riches et qu’ils n’étaient pas dupes de la façon dont nous nous étions enrichis là-bas aux colonies.
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