10 octobre 2007

Mes années France (épisode 9 )

Les caisses du déménagement nous attendaient, elles venaient d’arriver et piaffaient d’impatience. Je me précipitais pour les ouvrir, pour libérer enfin le Maroc et ses odeurs.
Mon père calmement sortit un trousseau de clef et commença son œuvre. J’allais sentir un tout petit bout de mon pays, le sable de Midelt, et la terre nourricière qui n’attendait qu’une pluie pour étancher sa soif, et apporter le bonheur des belles récoltes. Je suis sûr que les parfums de rose de la distillerie proche du Paysannat ont accompagné les caisses.
« Tu ouvres, tu te dépêches, oui ! » pesta ma mère moins poétique, pressée juste à l’idée de retrouver son passé.
Notre joie fut de courte durée, très courte même. Il y avait bien des odeurs, mais pas de celles que nous espérions avec tendresse.
Odeur de mer, salée et piquante, à nous racler la gorge. Quel spectacle ! Les caisses avaient été soigneusement trempées quelques temps dans l’eau salée du port. Elles puaient aussi l’odeur nauséabonde du dégoût des dockers envers les « rapatriés ».
Plusieurs pieds noirs furent victimes de ce genre de plaisanteries des manutentionnaires des ports. Français ? Marocains ? Jamais on ne le sût. Et si votre caisse ne sentait pas la mer, c’est qu’à l’intérieur il n’y avait plus rien en état. Parfois même les cadenas furent sectionnés et les caisses visitées.
Quelques rares caisses vierges échappèrent aux profanateurs de notre passé, de nos souvenirs à jamais perdus. La haine tenace des dockers avait définitivement craché son venin sur de pauvres bougres de Français qui avaient commis le crime de vivre au Maroc.
Le monde s’écroulait à nos pieds. Mon père d’habitude si stoïque, se retourna, s’éloigna discrètement. Je suis sûr qu’il pleurait seul à l’écart, là-bas au pied du cyprès que nous venions de rendre à la vie. Ma mère continua de vociférer ! Elle explosait sa haine !
Ils allaient voir les salauds qui avaient fait ça !
Qu’ils se montrent s’ils sont des hommes ! Et elle, la fille du Maroc, leur montrerait comment elle allait solutionner son problème !
Ce fut le coup de grâce. Plus rien ne pouvait désormais lui donner envie de vivre cette vie. Elle vivra désormais cloisonnée entre le passé et un futur absent.
Elle s’enferma d’avantage dans ses souvenirs. Si les vestiges du Maroc emballés dans ces pauvres caisses n’étaient plus là pour témoigner, par la faute de fossoyeurs de rêves, il lui restait la mémoire ! Sa mémoire des temps heureux. Du temps où elle se croyait heureuse pour la vie ! Et ça personne ne pourra lui voler ! Ni même en imaginer une once de son intensité.
Des étrangers avaient mutilé, violé de nos mémoires les quelques malheureux objets que nous avions amoureusement sélectionnés.
« Mort aux français ! ».
Ma mère venait de condamner sans appel les dockers français.
« Les marocains n’auraient jamais osés faire cela eux ».
Elle continua à haïr les français. La liste des homicides de ma mère commençait à s’allonger dangereusement. Dans le même trou, dans la forêt de « Tedders », elle y jeta sans regrets, les douaniers, les dockers et pas mal de français. Il devait bien y avoir des innocents dans le tas. J’aurais dû vous préciser que c’était seulement mon père qui nous éleva avec ses principes de tolérance, ma mère en avait d’autres. La vengeance, et la rancune parmi d’autres, en étaient ses dignes représentants.
D’ailleurs, elle ne nous éduquât jamais, elle vivait à coté de nous. Je découvrais son système si spécial d’éducation depuis très longtemps, et cela au fur et à mesure que les journées et les années s’égrenaient par les paires de gifles journalières devenues son réflexe de vie que je recevais depuis ma tendre enfance. Plus par réflexe que par méchanceté, du moins j’essayais de m’en convaincre.
Mon père lui, comme à son habitude ne laissa rien paraître. Je me doutais qu’il commençait à appréhender les instants de vie sans joies qui l’attendaient.

17 commentaires:

lyliane six a dit…

Bon courage aussi à toi pour cette épreuve.Je relirai ton texte un peu plus tard, à tête reposée. A la semaine prochaine.

Anonyme a dit…

Je viens de passer chez Lyliane. Toutes mes pensées vous accompagnent. Quant à votre texte, il est très poignant, je crois que c'est un de vos textes qui m'a le plus touchée... Quand les souvenirs sont détruits, les souvenirs matériels, on a l'impression qu'une partie de notre vie est partie à jamais. Les souvenirs que l'on a dans la tête sont parfois tellement difficiles à remettre à l'ordre du jour. Je comprends la haine de votre mère, parfois vos mots sont durs par rapport à elle, j'essaie de comprendre sa souffrance car elle a dû souffrir et pour cacher sa souffrance, elle a fait le choix de montrer sa haine. Quant à votre père, il a dû effectivement se cacher pour pleurer, un homme, chef de famille, ne pleure pas devant sa tribu.

C'est poignant tout cela, vraiment et cela m'étreint le coeur. Merci pour ce partage. Je t'embrasse.

Anonyme a dit…

je passe du vous au tu... pas grave n'est-ce pas? ;-)

vincent a dit…

Salut patrick
je fais bien de revennir lire de temps en temps. Il y a des surprises (désagrable) mais on lit plus d'un coup. Pas besoin d'attendre les jours suivants pour liore la suite.
Mais c'est pas possible qu'il y ait tant de cons par le monde. Surtout dans des pays qui se disaient civilisés!!!!!.
Pauvres de vous!!! Vous avez du en en subir de pas drôles dans cette période.
A très bientôt. Et merci pour ces toujours très beaux textes.

S.Abdelmoumène a dit…

Bonjour patrick,

D'abord un récit très bien écrit, bravo. Ensuite, des détrousseurs de biens matériels, c'est commun mais quand on touche à la mémoire d'une famille c'est vraiment lâche et mesquin de la part de celui qui a fait ce forfait. Je comprends ta mère, un objet est incontinent remplaçable et remplacé. Mais ce qu'il représente ne l’est guère, car l'histoire qui l'habite, les souvenirs qui lui donnent vie et qui lui sont indissociables et intrinsèques constituent un trésor inestimable et unique....
J'ai comme l'impression que toi même tu as été impacté par cet état de chose pour l'avoir si bien retracé.
Bon courage pour la suite.

Pas a pas a dit…

bonjour lyliane
merci de ton passage et merci de revenir me lire
amities
patrick

Pas a pas a dit…

Bonjour delphinium
Je suis très touché par ton commentaire si juste
Mes parents ont souffert dans leur jeunesse
Tous les deux orphelins se sont construits seul
Tous les deux se retrouvent un jour au Maroc, et commence alors une vie qu’il avaient rêvée et qu’ils on réalisé, tu verras ce ne sont pas des colons, mais de simples gens qui ont aimer ce pays
Mais voila, s’ils se sont retrouver chacun s’est construit dans son coin a sa façon
Mon père en sage, têtu, et coriace
Ma mère en révoltée, capable de « mettre une trempe » à un homme
L’eau et le feu
Je raconterai sans doute un jour le début de leur histoire
Patrick

Pas a pas a dit…

Bonjour Vincent
Je suis très content de te compter parmi mes lecteurs
Deviendrait tu assidu a la vie de ce mouflé!
Reviens quand tu veux, chaque semaine ou une fois par mois
Amitiés
Patrick

Pas a pas a dit…

bonjour delphinium
je suis deja passé au "tu"
pas de probleme
patrick

Pas a pas a dit…

bonjour delphinium
je suis deja passé au "tu"
pas de probleme
patrick

Pas a pas a dit…

Bonjour Abdelmoumene

Tout d’abord merci pour ces compliments, je sentais en écrivant ce texte que quelque chose se passait, et je dois reconnaître que moi aussi je l’ai aimé
Les mots sont venus seul sans souffrance comme si cette écriture m’avait en même temps guérie
Quand a la valeur matériel des objets du déménagement, il n’en avait guerre, mais je l’écris dans le prochain épisode, c’est de ne plus les voir et les toucher que nous avons le plus regrettés
Amitiés
Patrick

Anonyme a dit…

Bonjour Patrick,

Même si le matériel reste du matériel, je comprends la rancoeur et la haine de ta maman envers ses hommes qui ont détruit les souvenirs de son passé marocain.
Les souvenirs du coeur et de mémoire, Dieu merci, aucun voleur ne les a subtilisés à tes parents.
Bien amicalement à toi Patrick et excellent voyage à Rome.

PS: Je t'informe qu'en passant sur la RN4 mercredi, j'ai surplombé au loin Meligny le Petit drapé d'un automne pourpre, or et jaune. A ma place de nombreux peintres se seraient volontiers inspirés de ces couleurs si chaudes de notre nature pour colorer leurs toiles.
Je te rassure Patrick, pour protéger ce trésor, je ne dévoilerai jamais la route pour y accéder:)

Anonyme a dit…

La bêtise humaine n'a pas de limites, elle est partout. C'est une réaction primaire qui n'est pas la même d'un individu à l'autre. Elle est générée la plupart du temps par le manque de connaissance de l'autre et de nos jours, pire encore il y a le refus de cette connaissance parce que chacun pense détenir la meilleure solution!
Face à cette bêtise il y a des réactions dufférentes soit comme ton père, soit comme ta mère mais il y en a d'autre encore. A chaque fois c'est toujours la même douleur exprimée différemment.
Je trouve que c'est magnifique que tu arrives à en parler avec des mots si simples et si justes!
Je suis loin d'en être à ce stade et peut-être que je quitterai ce monde sans jamais avoir raconter mes années de calvaire. Mais c'est autre chose!
Je te remercie pour tous tes messages sur mon modeste blog, je t'assure que j'apprécie.
Bon dimanche et un gros poutou de Toulouse!

Pas a pas a dit…

Bonjour Ihuna
Je retiens de ton commentaire que tus passé des années de calvaire, et qu’apparemment cela t’est difficile a raconter
Je ne suis pas donneur de leçon, ni un spécialiste, ni un psy- quelque chose
Mais je vais me permettre de te donner mon avis
Prends ta plume ou ton clavier un matin, écris au kilomètre tout ce qui te passe par la tête au sujet de « ton calvaire » écris librement juste pour toi
Prends ton temps
Un jour, sans doute aura tu envies de corriger, relire, revoir le texte
Améliore le peu à peu
Et puis teste le sur ton blog, l’anonymat ça aide
Le résultat ! Tu seras seule à en juger
C’est comme cela que j’ai commencé
A bientôt et courage
Patrick

Anonyme a dit…

Merci Patrick mais c'est encore bien trop "frais". Je ne serais pas objective, je préfère avoir du recul, un bon et vrai recul comme l'alpniste qui contemple sa vallée du haut de son sommet!
Je ne suis même pas encore au pied de la grimpette , c'est dire le chemin qui reste à faire.
Merci pour tout!
Un gros poutou!
Lhuna

Anonyme a dit…

Bonjour Patrick,
j'ai découvert ton blog via des blogs midelti et bien que je sois de la nouvelle génération et n'ayant connu midelt que dans ses plus mauvais jours, qui s'en finissent pas, j'aime voyager dans cette belle époque et imaginer midelt charmeuse et espiègle. Merci pour tes récits qui nourissent mon imaginare, j'ai versé plusieurs larmes au gré des événements douloureux que tu racontes (Toto en est pour moi le plus émouvant), j'attends la suite avec impatience.

Pas a pas a dit…

bonjour anonyme
je te remercie de tes compliments, et aussi tu plaisir que tu sembles prendre a lire ce blog,
je precise que cette aventure est reelle
moi aussi je retiens l'episode toto, et me marque encore comme ue dechirure
reviens et dis moi en un peu plus sut toi
ais je deviné que tu es Mideltis?
amities
patrick