C’est sûr, ma mère aurait accepté l’offre, même s’il avait fallu se convertir. Elle aimait passionnément le Maroc. Ce magnifique pays le lui rendait au centuple, plus que cela, pour elle ce pays était son seul et unique havre de paix. Dans le même temps, ses souvenirs de France n’étaient qu’orphelinat, famille d’adoption, froid, sabots en bois qui lui gelaient les pieds, « parfois même je pissais dedans pour un peu de chaleur furtive », aimait-elle me rappeler. Elle ne rêvait et ne pensait que « Maroc », maintenant elle y avait trouvé son bonheur. Je soupçonne même qu’elle détestait la France.
Toujours silencieux, mon père ruminait le piège si minutieusement préparé, c’est sans doute là l’erreur même de l’offre. Lui demander de renier la France ! Allons donc miséreux ! Moi du haut de mes presque 10 ans, je savais bien que ce serait foutu d’avance, fallait me le demander, et je vous l’aurais dis. Je le connais moi mon papa. Certes, il parle marocain, il ne pense qu’au bien des marocains, il vit pour le Maroc, et ce Paysannat c’est sa vie, il l’a vu grandir comme ce pays, petit à petit avec une infime tendresse, sans soubresaut.
Mais pas touche à sa France !
« Pays de naissance », m’avait-il dit un jour, « pays qu’on ne peut pas oublier, même si les souvenirs qui en remontent ne sont que tristesse, misère et orphelinat ».
Pas touche à sa France !
« Je regrette, mais c’est non ! Je suis français ! Je reste français, ce poste c’est en tant que français que je l’accepterai ! »
Certainement très déçu, le dirigeant lui répondit :
« Tu le sais Maurice, les français, vous devrez un jour ou l’autre partir. Je suis triste de cela, mais les marocains veulent une part de cette indépendance et de l’avenir de leur pays, et vous, les français et les étrangers, ne faites pas partie des plans ».
« Et bien alors, tu devras accepter ma démission, c’est non ! »
La suite de cette histoire est moins certaine, mon frère aîné Daniel affirme, et c’est fort possible compte tenu qu’à cette époque il avait environ 33 ans, que la suite de mon histoires est :
« Ecoute moi bien Maurice, tu prends ce poste pour seulement quelques années, et je suis sûr qu’avec tes relations au ministère et le travail déjà accompli, on va te proposer le poste de ministre de l’agriculture, je suis habilité à te le dire si je voyais que tu refusais »
Cela apparemment ne le fit malgré tout changer d’avis. Inutile de décrire dans quel état devait se trouver la déjà femme du ministre marocain de l’agriculture !
De ce jour, les relations particulièrement fusionnelles qui liaient mes parents se rompirent, pour devenir peu à peu de la haine, de l’indifférence. Ils se sont haïs autant qu’ils se sont aimés,
Ainsi, c’est avec des bouts de mots, des phrases non terminées, des suppositions que j’imagine la scène de la séparation et du déchirement. Mon père, seul avec ses convictions, mais j’en suis sûr avec une infinie tristesse.
Face à lui, la tribu des contre, plus nombreux certes, mais vaincus par la farouche résistance patriotique de « Monsieur Maurice ». Il ne badine pas avec l’honneur et les convictions, de cela j’en serai tour à tour, le spectateur parfois impuissant, et le dépositaire.
Je crois ne pas être très loin de la vérité de ce jour de janvier ou février 1964. Dix ans après ma naissance.
Toujours silencieux, mon père ruminait le piège si minutieusement préparé, c’est sans doute là l’erreur même de l’offre. Lui demander de renier la France ! Allons donc miséreux ! Moi du haut de mes presque 10 ans, je savais bien que ce serait foutu d’avance, fallait me le demander, et je vous l’aurais dis. Je le connais moi mon papa. Certes, il parle marocain, il ne pense qu’au bien des marocains, il vit pour le Maroc, et ce Paysannat c’est sa vie, il l’a vu grandir comme ce pays, petit à petit avec une infime tendresse, sans soubresaut.
Mais pas touche à sa France !
« Pays de naissance », m’avait-il dit un jour, « pays qu’on ne peut pas oublier, même si les souvenirs qui en remontent ne sont que tristesse, misère et orphelinat ».
Pas touche à sa France !
« Je regrette, mais c’est non ! Je suis français ! Je reste français, ce poste c’est en tant que français que je l’accepterai ! »
Certainement très déçu, le dirigeant lui répondit :
« Tu le sais Maurice, les français, vous devrez un jour ou l’autre partir. Je suis triste de cela, mais les marocains veulent une part de cette indépendance et de l’avenir de leur pays, et vous, les français et les étrangers, ne faites pas partie des plans ».
« Et bien alors, tu devras accepter ma démission, c’est non ! »
La suite de cette histoire est moins certaine, mon frère aîné Daniel affirme, et c’est fort possible compte tenu qu’à cette époque il avait environ 33 ans, que la suite de mon histoires est :
« Ecoute moi bien Maurice, tu prends ce poste pour seulement quelques années, et je suis sûr qu’avec tes relations au ministère et le travail déjà accompli, on va te proposer le poste de ministre de l’agriculture, je suis habilité à te le dire si je voyais que tu refusais »
Cela apparemment ne le fit malgré tout changer d’avis. Inutile de décrire dans quel état devait se trouver la déjà femme du ministre marocain de l’agriculture !
De ce jour, les relations particulièrement fusionnelles qui liaient mes parents se rompirent, pour devenir peu à peu de la haine, de l’indifférence. Ils se sont haïs autant qu’ils se sont aimés,
Ainsi, c’est avec des bouts de mots, des phrases non terminées, des suppositions que j’imagine la scène de la séparation et du déchirement. Mon père, seul avec ses convictions, mais j’en suis sûr avec une infinie tristesse.
Face à lui, la tribu des contre, plus nombreux certes, mais vaincus par la farouche résistance patriotique de « Monsieur Maurice ». Il ne badine pas avec l’honneur et les convictions, de cela j’en serai tour à tour, le spectateur parfois impuissant, et le dépositaire.
Je crois ne pas être très loin de la vérité de ce jour de janvier ou février 1964. Dix ans après ma naissance.
9 commentaires:
Bonjour Patrick et vous tous,
Les pages de ta vie continuent à retenir toute mon attention. C'est avec beaucoup d'émotions que je parts à chaque fois à l'intérieur de ta sphère, sphère de tes souvenirs. Tu m'offres beaucoup et on peut dire que cela me permet de fusionner avec toi. C'est formidable.
Je t'embrasse très fort et bonne journée à tous
Marie Christine
bonjour marie christine
encore et toujours merci de la delicatesse de ton message
Mais aussi toute le force qu'il me donne pour continuer
nous nous rendons souvent visite par blogs interposés et c'est tres bien
bonne journée
patrick
La nationalité, les racines, le pays d'où l'on vient. On n'oublie jamais tout à fait sa terre. Même si on y a vécu des choses tristes et que l'on aimerait oublier.
Je crois même entendre le "non" de votre père, un "non" fier, têtu, tenace, contre vents et marées. Malgré tout, c'est "non". Un homme fier votre père, un roc, rempli pourtant au fond de lui d'une grande tristesse. Quel déchirement cela a dû être.
Pays de naissance, pays que l'on ne peut oublier. Moi non plus, je ne peux oublier l'endroit d'où je viens. J'aspire toujours à revoir mes montagnes, et même que je n'habite pas loin d'elles, je ne me sens jamais très bien sans les voir de près. Etrange chose que d'avoir l'esprit et le coeur partagé entre deux endroits. Il faut le vivre pour le comprendre. On peut être déraciné de son pays lorsqu'on est à des milliers de kilomètres de lui. Et on peut être déraciné même si les kilomètres ne sont pas nombreux.
Etre déraciné, une souffrance de chaque instant, et je n'en comprends donc que mieux votre père.
Je vous embrasse
Bonjour delphinium
Ouah !! Quel commentaire une dissertation sure le pays de naissance et celui d’adoption, je garderai longtemps en mémoires vos mots.
Merci de votre passage si gentil et aussi de votre assiduité à mon blog
je pense oui que mon pere à du beaucoup souffrir,mais quand meme sa decison m'etonnera toujours
je crois moi que je serai resté au maroc
Patrick
Si j'avais fait une dissertation, je l'aurais faite beaucoup plus longue. :-)
Bonjour Patrick.
Le "non" catégorique de votre pere rappelle l'entetement des Ait Izdeg, les habitants autochtones de Midelt. Ils ne changent que très rarement d'avis. Quant à votre mere, elle avait selon vos ecrits et les temoignages oraux un noble coeur. Elle avait cette feminité bien de l'Atlas faite de charme, de tendresse et de bonté.Continuez à nous faire bercer par votre belle histoire .
bonjour delphinium
excuse moi je dois etre mal eveillé mais je ne comprends pas ton commentaire
a bientot
patrick
Mr MOUHIB
merci pour votre passage
oui sans doute mon pere pouvait il modestement etre comparé aux Ait Izdeg, mais en plus tetu.
Quand à ma mere ,je crois que son passage à Midelt fut discret,je n'ai aucune idee de l'image qu'elle a put laisser sauf aujourd'hui votre temoignage , merci pour cette precision.
ajoutons a son portriat une grande "independance"
merci de vos passage.
vos temoignages ,vous le Mideltis sont tres importants quelque part je les j'attends pour voir si je suis sur la bonne route et si mes souvenirs sont plausibles
merci
patrick
J'imagine que tu écris au fur et à mesure et que peut être les échanges que tu as avec les lecteurs te font changer ton message un peu
Là je note que tu as bien donné la date, c'est bien on imagine cet enfant entouré d'adultes
Les privilèges promis, je comprends que ta maman ait été tentée
J'ai vêcu en côte d'Ivoire enfant mais surtout un peu auMarçc et j'ai pu remarquer comme il est tentant d'y rester car là on se sent reconnu alors qu'en france on se fond dans la masse
Ton père apris une décision courageuse. Il s'y est tenu. Dans la vie il y a des moments où un seul doit prendre la décision, c'est aisi dans l'armée, quand le plus haut gradé se fait descendre, celui juste en dessous prendle commendemant
Ainsi les ordres viennent et ne sont pas discuttés
Sinon cela prend du temps et on ne fait rien...
Tu as remarqué que ce qu'on aime le plus devient un objet de refus douloureux ?
Pourquoi ne peut on revoir sans amertume un ancien amour alors qu'on revoit avec plaisir une simple relation ?
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