12 mai 2008

Mes années colleges (épisode 11)


Nous n’avions pas la télévision, ce n’était pas pour nous. Pas assez d’argent. Pas assez riche.
Pour la regarder cette P… .. de télé je devais ruser pour me faire inviter, et voler ainsi les quelques instants de bonheur que semblait parsemer autour d’elle ce nouveau jouet magique. Ceux qui la possédaient vivaient dans un autre monde. Dès que la dame en blanc et noir s’illuminait, je n’existais plus. Tous les gosses idolâtraient désormais un autre chef de bande. Je perdais sur eux mon pouvoir, et mon influence de chef accepté. Quoi que je propose le dimanche, à l’heure de Du Guesclin, Thierry la Fronde ou du film de Cow-boy, rien ne pouvait plus désormais les faire changer d’avis. Ce maudit écran me délestait de mon maigre pouvoir.
Fin lamentable d’un règne absolu. La télé avait réussi sans bruit avec ses images un fabuleux coup d’état, elle me dépossédait de tous mes titres fièrement conquis.
Ces sales gosses heureux possesseurs du jouet, avaient tout vu et tout entendu. Ils devenaient ceux qui savaient avant les autres. Et moi j’étais ignorant. Je redevenais cancre de ne pas avoir la télé. Je n’avais pas la télé, alors je ne pouvais me mêler à la discussion. Je me souviens bien de ce rejet, je les écoutais sans pouvoir participer à la conversation. Alors pour ne pas paraître idiot, pour éviter a nouveau le bannissement j’inventais des cabanes à construire, des arcs et des flèches à tailler, mais rien n’y faisait. Je reculais d’un pas, je m’excluais du cercle des érudits. Putain ! que ce fut dur à vivre cette exclusion !
Je repense soudain à un grand écrivain marocain que je découvre seulement aujourd’hui, Mohamed Choukri. Lors d’une discussion politique à la terrasse d’un bar je crois, il fit une remarque à l’homme politique en campagne électorale. La seule réponse qu’il reçu du candidat fut cinglante : « Tu ne peux te mêler à la discussion, tu ne sais ni lire ni écrire. » Cette phrase de la honte déclencha chez lui la frénésie d’apprendre, il devint instituteur et écrivain.
Inlassablement, surtout le dimanche après-midi, je cherchais niaisement la compagnie de Richard ou Joaquin, les chanceux qui possédaient une télé. J’espérais parmi eux le dimanche, partager le western de l’après midi. Mais rusés l’un et l’autre, affranchis à présent de la puissance de frappe que leur prodiguait la nouvelle arme, m’obligeaient alors à négocier et accepter souvent leurs jeux idiots.
Un jour en cachette je suis monté sur un pylône téléphonique pour voler des images de la télé de Richard. Il habitait au premier étage, je pouvais ainsi de l’autre coté de la rue suivre au moins les images. Il s’en aperçut et se décala juste assez pour me cacher l’écran. Je redescendis la rage au cœur et la honte au poing. Ce n’est pas la rouste qu’il reçut quelques jours plus tard qui me consola. J’avais eu envie de lui crier « Souviens toi de la télé ! ».
Mais la vérité d’aujourd’hui c’est que je mendiais pour regarder la télé, je quémandais un instant de bonheur furtif. Malgré cela, très rarement, j’étais invité à regarder le « cow-boys » du dimanche.
Je me revoyais au cinéma de Midelt, le Rex où les AYAKATSIKAS, les propriétaires, m’invitaient gratuitement pour voir tous les films de Cow-boy que je voulais. Pendant ce temps, mon père les défiait au billard.
Je pleurai souvent parce que les indiens mourraient tous et toujours. Moi j’aimais les indiens, j’étais toujours pour eux, contre les méchants cow-boys. Il y avait aussi des indiens Pieds Noirs, c’est ceux que j’aimais le plus. Sans doute étaient-ils comme moi une race en déperdition, en disparition, des exilés sur leur propre patrie.

9 commentaires:

vincent a dit…

salut Pat!!!!
comment comment!!! je suis le premiers?
Très belle page souvenirs. Je me souviens de cette période.
Mes parents ne voulaient pas de la télé tant que nous étions ma soeur et moi scolarisés. Comme toi j'avais deux copains qui l'avaient. Le principal était le fils du café-tabac du village. Et les jeudis après midi (hivernales surtout) nous regardions dans les vapeurs de pinard et les brumes de gris roulés, les vieux épisodes de Rintintin et Rusty,les Hyvannoë, l' Aigle Noir Winitou, les Thiérry la Fronde et autres glob-trotters (que nous rejouions les jours suivants dans la campagne entourant le village).
Lorsque nous ressortions de ces séances de télé-vinasse, nous avions les yeux rougis par la nicotine et la fixité du regard.
Regard qui mettait une éternité à
reprendre la vision normale des choses. Au moins jusqu'au retour à la maison.
Ce n'est qu'en mai68 (après les évènements que mon dab se décidait d'acheter l'étrange lucarne. Mais qu'est ce qu'on avait manqué!!!!!!
Les pavés on ne les avait "vu voler" qu'à la radio. Avec le talent de narrateur des reporters.
C'était le bon temps.............

Pas a pas a dit…

Bonjour Vincent
Magnifique témoignage,
Moi aussi plus tard je suis allé voir la télé au café, et tu décris merveilleusement bien l'ambiance, à croire que tu la regardais à coté de moi,
Je reprendrai bien ta description avec ton accord
Encore une fois merci, tu viens à nouveau de me faire voyager
Amitiés
Patrick

Anonyme a dit…

Bonjour Patrick,

Je t'éspère plein de bonnes randos moto ...

Claude
http://geleroyale.over-blog.com

vincent a dit…

Bonjour Patrick
Le café rural, c'était chez la LULU. On avait que le droit de regarder. Les émotions fortes, fallait se les garder dans la poche. Ou pas trop fort, pour ne pas gêner les hommes, des vachers, qui tapaient le carton sur les longues tables de ferme de la salle en poussant des "milladiou" sonores, de dépit.
Je sais pas si tu étais à côté de moi. Possible si tu as habité le cantal un jour. Mais je pense que l'occitanie avait une atmosphère commune dans toute sa profondeur.
Bien sûr que je t'autorise à emprunter mon témoignage. J'en serai même honoré.
Je peux même ajouter que lorsqu'on sortait du dit café notre vision du dehors était d'une teinte jaunâtre résistant à la froidure et aux embruns de l'hiver.
J'avais oublié de parler des jeux avec le capitaine la tortue et son complice Bernard Haller. Je ne me souviens plus du nom de la présentatrice. Peut être Jacqueline Caura.
Tu te rends compte de cette épopée?
Des gens gens devenus célèbres par la suite:
La petite zabou Breitman qui jouait le rôle d'une gamine dans Thierry la fronde. Et que l'on verra plus tard avec Dorothée puis dans des films de Truffaut puis derrière une caméra...
Ivanhoé, Roger MOORE, en noir et blanc que nous verrons bien plus tard dans "le saint" et enfin dans James BOND.
Y avait aussi un jeune rondouillard qui racontait des histoires avec sa bonne bouille d'ahuri. J'ai nommé
Michel Galabru.
J'arrête, on va dire que je suis un vieux con.
Vas y. Ecris, si tu veux des renseignements, je suis là
A plus!!
Et encore merci pour ton blog qui me parle tant.

Pas a pas a dit…

Bonjour Vincent
Je pense que je viens de réveillé en toi un petit gamin qui sans doute a bien aimé cette vie là
Magnifique témoignage tant il me touche, et tant il est proche de ce que j’ai vécu
Je vais écrire quelque chose la dessus, je m’inspirerai de tes souvenirs, je pense aussi que tu as beaucoup de talent, ne veut tu pas essayer toi aussi de raconter
Je t’encourage a cela
merci encore et n'hesite pas a nous en raconter d'autres
Patrick

Pas a pas a dit…

bonjour claude
merci de ton passage
la moto au garage, mais bientot vrommmmmmmmmmmmmm
amicalement
patrick

Anonyme a dit…

Bonjour Patrick,
tu vas me détester parce que chez moi on a eu la télé dès le début, dès qu'on a pu la recevoir dans le Nord Toulousain.
J'invitais toujours beaucoup de monde, mes frères et soeurs aussi, ce qui fait que la maison était toujours remplie d'enfants et mon père toujours gentil nous installait des bancs pour qu'on puisse être à l'aise et pendant qu'on faisait le plein d'images, ma mère avec ma grand-mère nous préparaient des crêpes ou des beignets.
Ce sont des souvenirs merveilleux.
Désolée!!!
bonne soirée.
Avec toute mon amitié.

julie a dit…

un coucou éclair sur le blog, juste histoire de dire que mes souvenirs télé se résument surtout à un bouton à tourner pour avoir la chaine en clair... ce sont mes premiers souvenirs, après il y a eu l'ile aux enfants....
Pas trop le temps d'écrire ces temps-ci, moi je roule !!!! et je bronze et je papillonne !!!
biz à toi !

Cergie a dit…

Dis donc, je m'absente trois semaines à peine et tu as drôlement écrit !
Des tas de petites choses, les réflexions qui t'ont forgé
Tiens cet illettré devenu écrivain... Je pense à Jorge Semprun qui un jour a eu du mal à se faire comprendre dans une boulangerie du quartier latin, lui tout nouvellement arrivé en France et qui s'est juré de parler cette langue sans accent. Tant et si bien qu'il a été lauréat du concours général de philosophie et que lorsqu'il a écrit son premier livre il l'a fait en français, repondant ainsi à son interrogation, à savoir quelle était sa langue "maternelle"

Rien de tel pour progresser que d'avoir l'envie, la hargne.