16 décembre 2007

Mes années france ( épisode 19 )

Layrole devenait chaque jour un peu plus le refuge et le confident des rêves perdus de mon père et de ses nombreuses désillusions falsifiées.
Je crois moi que mon père avait Layrole pour « mère ». Il aimait trop cette terre pour ne pas y retrouver la relation charnelle, et la consolation de sa mère qu’il n’a pour ainsi dire pas connue, de l’apaisement qu’il cherchait sans trop d’espoir, et qu’il ne trouvait pas dans son environnement proche.
N’y a-t-il pas aussi pour pleurer seul là-haut luttant contre ce sort qui s’acharnait tant sur lui, sur sa maladie qui empirait, sur cette femme qui le détestait et qui pourrait au moins l’aider par quelques mots ou gestes affectifs. Et ce gosse qui s’enferme peu à peu dans un mutisme paralysant, stressant. Que va-t-il devenir ? Il ne devine même plus ce qu’il pense, il semble ne plus avoir de sentiment pour personne, seuls les animaux et la nature semble l'émouvoir.
Ses rêves vagabonds terminés ? Il fixait les magnifiques Pyrénées là-bas au loin. Elles lui rappelaient le moyen Atlas, Midelt l’hiver sous la neige, et El Ayachi sa montagne. Un sourire chemine lentement sur son visage buriné et fatigué. Il devait ensuite se lever, saisir péniblement son bâton, jeter sur ses frêles épaules courbées, la trousse de secours pour les moutons, et partir garder ses animaux. Il les surveillait d’un œil attentif, pendant qu’il défrichait, nettoyait ou construisait des parcs. Il rêvait d’un lendemain enchanteur auquel il continuait de croire désespérément, il n’avait pas d’autres rêves pour continuer à vivre. S’il ne rêve plus, il s’en ira…………….
Mais pour quoi ces rêves de futur ? Et pour qui surtout ? Pour lui seul à présent, pour ne pas mourir trop tôt ? Il pointera son nez à l’aube du XXIème siècle, nous jurait-il un jour.
Nous vivions toujours aux gîtes ruraux de La Mouline qu’il faudra restituer bientôt, et aller vivre ailleurs, l’été approche, et le prix des locations estivales est bien trop élevé pour nous. En attendant que la maison de Serres veuille bien timidement s’ébrouer des ronces que mon père, mon frère et moi tentions de faire disparaître, avant d’entamer la réparation de l’intérieur de son antre.
Peu à peu la craintive nous apparaissait. Bien des décennies cachées à l’ombre de ces plantes voraces l’avaient rendu plutôt méfiante et craintive vis-à-vis des étrangers, et qui plus est, des pieds noirs rapatriés. Mais ceux là semblent bien sympas, ils nettoient et lui rendent sa vie. Elle s’apprivoisera facilement tant elle a envie de montrer à ses voisines espiègles et moqueuses depuis si longtemps, sa beauté et sa splendeur d’antan, elle la maîtresse de ce bourg. Elle exhibera sa plaque 1739, les autres devront s’incliner, elles lui doivent le respect
Notre pauvre voiture servait de tracteur. Elle mourra même un matin de ce traitement singulier. Bien triste fin que celle d’un véhicule qui avait su si bien nous rapatrier en France sans broncher, ni rechigner à la tâche. Triste mort que celle de cette Taunus. Elle expurgera sa peine comme toutes les voitures de paysan à l’abri des regards moqueurs dans un champ bien loin, rongée par la rouille vengeresse, et camouflée du déshonneur par les ronces qui ne manqueront pas de se venger. Elle sera remplacée sans une larme, par l’inusable 4l Renault.
Ainsi va cette année 1965. Le couscous, tajine, méchoui, merguez, Enrico Macias et Marthe Villalonga ont pacifiés la France au nom des pieds noirs. Nous sommes devenus des curiosités culinaires très mode, des chanteurs nostalgiques, et des mères excessives. Le français rigole bien, mange bien, l’intégration fait son chemin lentement dans les esprits grâce à eux.
Johnny épouse Sylvie, France Gall n’est qu’une poupée de cire, pour Herve Villard Capri c’est fini, enfin, Jean Ferrat pleure le Potemkine
Le déménagement vers notre nouvelle maison à Serres ne se fera pas encore. Le temps manquait et la maison n’était pas encore totalement habitable.
L’argent aussi nous manquait cruellement, j’entendais parler de se « serrer la ceinture »…... d’économiser…… de faire attention……… Que des mots qui me mettent mal à l’aise ! Dont je ne comprends pas forcement bien les conséquences.

12 commentaires:

Majid Blal a dit…

Bonjour Patrick.
Très touchant et bien écrit. On constate au fur et à mesure la maturité et la serenité dans l'écriture.

Tu nous décris bien les ilôts de solitude où chaque membre de cette famille se cantonne dans sa propre réclusion. les jeunes avec beaucoup plus d,espoir que les adultes.

Ton père essaye de raccommoder un coeur en lambeau en arpentant ses lopins. L'être humain est fragile et parfois un événement vient chambouler tout. Chambarder. de la confiance en soi jusqu'à la perte de l'epérance car parfosis quand les repères deviennent insaisissables, on n,arrive plus à se connecter à sa propre identité en mutation.
Bravo encore
Majid

Pas a pas a dit…

Bonjour Majid blal
Merci d'être toujours aussi présent a mes rendez vous et de commenter mes modestes écris avec la qualité que je vous connais.
Et celui ci me touche tout particulièrement
Merci beaucoup
Amitiés
Patrick

lyliane six a dit…

Je pense que nous avons tous plus ou moins entendu que l'on devait "se serrer la ceinture" dans notre enfance, mais que nous étions heureux d'avoir enfin la poupée de la vitrine devant laquelle je passais tous les soirs en rentrant de l'école.Je n'en ai eu qu'une, mais celle là a au moins servi!.

S.Abdelmoumène a dit…

Bonjour Patrick,

Période bien émouvante pour le papa, la nature et la vie en montagne semblent l'avoir totalement médusé, au point de se détacher peu à peu de son périmètre immédiat pour revivre, ne serait que l'espace d'un moment, les douceureux souvenirs de Midelt et la région.

Récit très bien formulé.
A la prochaine patrick.

Cergie a dit…

Bonsoir Patrick, j'aime énormément la fin de ton récit qui ressitue dans le contexte connu de tous : Johny, le Potemkine etc
Je trouve ce chapitre très bien écrit et je suis prête à parier que tu l'as écrit d'une traite. Ton père avait de l'ambition, il avait du courage, et il en faut pour voir au delà de sa propre existence, travailler pour l'avenir, ce 21ème siècle qui ne sera peut être pas pour lui...

Delphinium a dit…

Cet épisode me touche beaucoup...il me renvoie l'image de mon père. Un honnête homme que je prends tous les jours comme exemple, proche des gens, défendant des valeurs universelles, mais restant toujours très secret sur lui-même. La nature est pour lui aussi un refuge, regarder ses montagnes tous les matins équivaut à renouveler l'énergie qui parfois lui fait défaut dans les combats qu'il mène tous les jours. Ton texte est toujours rempli d'émotion, tu sais restituer les îlots de souffrance et de joie de chaque membre de la famille. J'aime venir ici car l'émotion est toujours au rendez-vous, l'émotion, la vraie, celle de tous les jours, celle qui fait les hommes et les femmes de cette terre. Merci pour tous ces mots et pour tous les commentaires que gentiment tu déposes chez moi. Je t'envoie tout plein de bises en ce mardi soir.

Pas a pas a dit…

bonjour lyliane
oui les cadeaux avaient de la valeur par leur raretée
je suis heureux de t'avoir modestement fais revivre l'instant magnifique de ta poupée
amities
patrick

Pas a pas a dit…

bonjour S.Abdelmoumene
c'est tout a fait cela
du "chacun pour soit"
nous avons vecu a 3 chacun de son coté a marmoner notre passé et notre futur sans rien partager
c'est triste d'y penser aujourd'hui
je le regrette
amities
patrick

Pas a pas a dit…

bonjour cergie
sublime commentaire en quelques lignes
oui je l'ai ecris d'une traite, je ne sais forcer l'ecriture quand je ne suis pas "en dedans"
Tu auras l'explication de ce "en dedans bientot" dans un episode futur de ce blog
amities et encore merci
patrick

Pas a pas a dit…

Bonjour delphinium
Que rajouter ?
je suis rouge de confusion et je me puis comparer tes commentaires aux miens
Les miens sont toujours courts, j'aime beaucoup aller sur ton blog comme celui de ceux qui me laissent un commentaire sur celui ci, mais à chaque fois je me dis
"Tu n’as pas été bon, je ne voudrai pas les vexer »
Merci de tes passages, j'espère pouvoir te compter toujours parmi nous
Amitiés
patrick

lyliane six a dit…

Bonnes fêtes et bonne année à toi et à tous les tiens, ce week end je pars jusqu'à l'année prochaine.

Anonyme a dit…

Tu as écrit un texte très touchant comme d'habitude. Ce qui est émouvant ce sont ces sentiments forts de la communion de la nature avec l'humain et vice versa. L'époque dont tu parles était sans doute "rude" mais tellement plus honnête où les valeurs avaient une autre dimension. Il ne sert à rien de se lamenter les choses ne vont pas s'arranger. Bisous Patrick.