18 mars 2007

Retournerai-je à Midelt (episode 8)


Parfois, une partie acharnée de « noyau » venait égailler mes recréations. Ce jeu fort simple consistait à jeter un noyau d’abricot vers un mur et d’approcher le pied du mur du plus prêt possible. La difficulté consistait seulement de la distance du mur choisi pour le jet.
Dès qu’il ne s’agissait plus de bosser je devenais le meilleur, à tel point que plus personne ne s’aventurait à jouer contre moi.
Alors je perdais volontairement de temps à autre. Des jours « sans » comme on dit, des périodes où je perdais juste un peu, pas longtemps, pas beaucoup, il fallait amorcer, juste le temps que cela se sache dans le collège.
Ma ruse fonctionnait à chaque fois même si presque tout le monde connaissant mon stratagème. Il existe toujours quelque part des joueurs naïfs ou intrépides, c’est pareil. Ils veulent défier le Caïd des noyaux, lui infliger une bonne raclée, et devenir à leur tour le garçon le plus envié du collège. On ne connaissait pas le meilleur élève de ce collège, mais tous connaissait le numéro un du lancer du noyau, ça je vous le promet.
Cela fonctionnait plutôt bien, mon stock de noyau ne cessait de grossir. J’avais dû m’arranger les règles pour attirer des joueurs, celui qui me battait gagnait deux fois plus de noyaux que le jeu ne le permettait, je lançais des défis à 3, 4, 5 fois la mise.
Bien avant Paul Newman, j’avais inventé l’arnaque, certes la petite arnaque aux malheureux noyaux d’abricot. Le « poker lanceur de noyaux » en quelque sorte.
Gloire à celui qui battrait un jour Patrick, le plus fin tireur de noyaux de l’atlas. Sans doute les prétendants guettaient-ils ces instants d’épuisement imaginaire, de vacillantes faiblesses maîtrisées pour provoquer le tireur d’élite, mais voilà, Kit Karson gagnait tous ses duels
Ces rares moments à se les ressasser aujourd’hui, ont dû être mes seuls instants de joie et provoquaient chez moi une d’anesthésie générale de mon mal de vivre, de mon mal de Midelt. La douleur était alors reportée à plus tard……….bien plus tard……Il fallait à tout prix, et c’était vital, ralentir la nuit, repousser le repas, se brosser très longuement les dents.
Mais la nuit vicieuse et sournoise approchait à pas feutrés, incommensurablement, inexorablement.
« Extinction des feux ». J’ai perdu. La nuit nous gagne. Pas de négociation possible.
Chaque soir, je perdais mon inlassable combat. En quelques minutes nous étions tous sous les draps, la couverture sous le nez. Peu à peu le silence nous gagnait. Quelques chuchotements courageux perçaient le silence macabre, derniers toussotements de détresse avant les larmes cachées, des gorges sèches raclaient leurs derniers cris de détresse, et puis le silence tant redouté rodait dans le dortoir.
Le silence vainqueur guettait alors le moindre bruit pour prévenir le pion,quelque soit le pion, ils étaient tous sévères, la norme minimum pour cet emploi.
Caché sous ma couverture, j’imaginais Toto, la Mimouna, les scorpions, les perdreaux, les hyènes, Bijou mon mouton. Je regrettais presque Driss. Enseveli sous ces souvenirs, en essayant de m’évader de ces couvertures trop rêches et qui ne sentent même pas la maison, je m’endormais………….jusqu’au lendemain et la contre offensive que je ne manquerai pas de lancer contre la nuit.
J’accumulais un trésor de noyaux très enviable et convoité. Plus malin que Barberousse je partageais mon butin entre plusieurs cachettes. Une partie du trésor chez mes correspondants, une autre partie confié à mes deux amis, et une maigre part dans mon placard. Celui qui m’a un jour volé mes noyaux dans mon armoire n’a fait que reprendre ce que j’avais moi aussi emprunté dirons-nous, à un autre un joueur, sûrement un méchant et un tricheur, ce n’était que justice. Je vivais à crédit de ce larcin, les intérêts de ces gains rejoignaient mes cachettes secrètes.

12 commentaires:

Anonyme a dit…

Le roi du noyau, ce petit garçon qui essayait de s'échapper de sa souffrance en inventant des jeux, en s'inventant un statut au milieu de ce collège tant haï.
L'être humain est capable de bien des choses afin de fuir la réalité du quotidien, même les petits garçons deviennent des fins stratèges à ce jeu-là, eux qui rêvent de l'odeur des draps de la maison et de Bijou, le petit mouton lorsque la nuit tombe sur le monde et que les noyaux dorment dans leur cachette.
La nuit arrive, comme chaque jour, et c'est pendant la nuit que les angoisses remontent, et quand on est petit garçon, roi du noyau, on doit pleurer caché le plus profondément sous les couvertures dans le lit pour que les autres ne nous entendent pas.

La nuit, encore maintenant, je n'ai pas réussi à l'apprivoiser, l'obscurité, j'essaie en vain de m'y faire mais non, rien à faire, et moi... je ne suis pas la reine des noyaux...

Anonyme a dit…

Et aujourd'hui , quand tu manges un abricot, tu fais quoi du noyau ?!...(sourires)
Comme d'hab. on attend la suite avec impatience !
Bonne semaine à toi
Claude

Pas a pas a dit…

Bonjour delphinium
Le petit garçon au noyau en fait ne cherche qu’à exister dans un premier temps.
Il sait qu’il est le meilleur, donc il existe aux yeux des copains « donc il est »
Et puis aussi, être le meilleur aux noyaux, il le dit lui-même l’aide à ce que la journée dure plus longtemps que la nuit
Cette nuit qui le hante, et qu’il n’a maîtrisée qu’au bout de 5 ans. 5 ans ou il ne pouvait dormir sans faire de cauchemar sans une petite lumière dans la chambre

Pas a pas a dit…

Bonjour Claude
Il m’arrive de garder un noyau d’abricot longtemps dans la bouche et en même temps penser au temps ou j’étais un fin ‘tireur »
Un noyau pour des années de souvenir
A bientôt

Anonyme a dit…

ode à Aude et aux noyaux bien cachés et dûrement gagnés!

Bonne soirée Voyageur!

Pas a pas a dit…

bonjour el greco
je peux dire que les noyaux furent mes sauveurs
c'est mon seul et vrai souvenir de cette periode
merci de ton passage
patrick

lynn a dit…

Bonsoir,

Il est très attachant ce personnage, cet enfant. On imagine un peu le regard qu'il peut avoir au moment où il gagne ses parties, cette étincelle au fond des yeux quand il lance un défi aux autres...Et puis, on imagine cette peine qui doit l'étouffer et qu'il lui rappelle l’internat, cet espace qu'on lui a imposé.

On imagine aussi aisément ce silence lourd pesant dans la nuit, ce silence interrompu de temps à autre par des sanglots...
Il y a des silences " vainqueurs ". (Permets moi Patrick de t'emprunter l'expression). Il y a des silences qui « grincent » .

Très beau passage.
Excellente soirée
Lynn

Pas a pas a dit…

bonjour lynn
toujours ausi juste dans tes commentaires
j'ai appris, depuis ce temps à vivre avec le silence, peu à peu a ne plus montrer d'emotions, jusqu'a penser que l'emotion est une faiblesse
j'ai eu peur de la nuit encore plusieures années apres le pensionnat
et puis un jour une femme, et mes deux enfants on chassés la place au silence et a ma peur

Anonyme a dit…

Bonjour Patrick et vous tous,

Ton histoire continue et me procure beaucoup d'émotions. Il est vrai que souvent nous endossons une carapace, mais je pense que c'est un tord. Faire surgir les émotions nous offre une de nos facettes cachées.

En ce qui concerne le choix d'un ministère, oups ! Je ne sais lequel choisir; (sourire). Je vais réflechir...

Je t'embrasse très fort et je souhaite une bonne journée à tous,
Marie Christine

Pas a pas a dit…

Bonjour marie Christine
Ah! La carapace, quelle belle protection contre la société, mais qui ne dure pas, et c'est tant mieux
Pour le ministère, comme tu veux, l'intérieur, l’environnement, il y aurait des choses à dire, j’attends ta réponse avec impatience

A bientôt chère ministre

Marie-Aude a dit…

Je n'ai jamais été en pension, mais je réalise mon bonheur en te lisant.
Ton blog est un grand plaisir à lire régulièrement, par sa qualité d'écriture, et par ce qu'il raconte :)

Pas a pas a dit…

bonjour marie aude
tu vis au maroc et tu comprends l'envoutement de ce pays, il m'inspire
merci de ton passage
patrick