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Il fallait égoïstement résoudre mon problème en urgence, sinon demain je me cacherai dans un café, celui des maquignons, et je n’irai pas à l’école. La honte, une journée ça va, mais deux ! Mon orgueil ne le supporterait pas. Il ferme le couteau, il se lève péniblement, je l’accoste mielleux :
« Papa, il me faut des affaires pour l’école de demain »
« Demande à ta mère, je suis fatigué »
Je me retourne, elle avait disparue dans sa chambre, retraite très stratégique.
« Maman n’est pas là et j’ai besoin de tout cela pour demain », je lui tendais timidement et apeuré la feuille, connaissant par avance sa réaction.
« Tout ça pour demain, où veux-tu que je trouve toutes ces choses, il faut attendre d’aller à Foix samedi. »
« Pas possible papa, les cours commencent demain matin et je n’ai rien. »
A-t-il lu la panique dans mes yeux et ma voix, il tenta alors de me rassurer.
« On va arranger cela, vient ! »
Il m’entraîna vers son armoire personnelle toujours fermée à double tour, des secrets et sa vie y étaient enfermés. Une armoire, son sanctuaire que jamais je n’avais osé violer.
« Voilà deux cahiers, un stylo, un crayon à papier, une règle,… il énuméra ainsi quelques fournitures qu’il retirait une à une de sa caverne secrète. Mais tout était d’occasion, rien de neuf, il arracha même quelques feuilles à un cahier pour qu’il soit neuf pour de faux.
« Voilà, avec ça tu vas pouvoir commencer et samedi on ira acheter ce qu’il manque, promis. »
Je n’osais lui dire qu’il me présentait là les fournitures de ma prochaine honte.
« Il manque le cartable papa pour demain. »
« Un cartable, un cartable voyons ce qui pourrait faire l’affaire. »
Ce qui pourrait faire l’affaire ? Je pourrai te le souffler, c’est un cartable neuf, plein d’amour avec des affaires neuves dedans, et qui sent bon le cuir et tes grands bras qui me serrent très forts. Point !
« Voilà, j’ai trouvé…C’est la sacoche de Midelt, elle ne te dit rien ! Tu te souviens quand tu m’accompagnais à Boumia, ksar souk, Arbalou, Rich, c’est elle que je prenais. »
Du geste tendre de mon père, je ne retenais que l’amour de ses yeux étincelants et les souvenirs qui venaient d’exploser lorsqu’il me tendit sa serviette. Passé cet instant, que je voulais rapidement rejeter, en décalage total avec les événements présents, je pressentis aussitôt la honte du lendemain matin de me promener avec cette vieille serviette d’un autre temps ! Jadis. Où nous étions tous heureux.
Bien sûr que je la reconnaissais ! Moi aussi, j’aimais la prendre, mais avant quand je n’étais que rêveur, et gamin, quand je jouais à imiter papa, le chef.
Elle était là, devant moi, et dégageait toujours son parfum délicat de chameau. Malgré le temps et l’usure du cuir, l’odeur forte du vaisseau du désert persistait toujours. La poussière française se mêlait à présent à celle du Sahara rapatriée, elle aussi, de l’Alpha, des courses des gazelles et des outardes méfiantes devant la jeep.
Meurtrie elle aussi par le temps, elle esquissait une retraite subie et anticipée au fond du placard. Etait-elle heureuse aujourd’hui de servir le fils de Maurice ? Sera-t-il aussi gentil que le père ? Là-bas, lui et moi, nous étions inséparables. Il parait même qu’avec moi dans les mains il ressemblait à un chef, il en donnait de l’allure.
« Va pour le cartable et les affaires, mais samedi, promis hein papa, on va à Foix ?
Le lendemain matin dans le car, on me demanda ce qu’était ce truc qui sentait mauvais.
« Mon cartable, répondis-je fièrement »
« Et bien il est en peau de bique ton cartable, tu as chié dedans ou quoi ? »
Le car en entier se marrait, même le chauffeur qui tentait maladroitement de s’essuyer les yeux rougis sans perdre la route de vue.
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