17 juin 2007

Retournerai-je à Midelt(épisode 17)

A Nancy, le pays de ma tata et de mon tonton, ma seule famille, j’étais très fier d’avoir appris un mot savant, et de le retenir pour le resservir à chaque occasion qui m’était offerte. Après « Mathélem », le mot c’est « Stanislas Leszczynski ». J’ai entendu un jour de visite, tonton prononcer ce mot si fort et si mystérieux. Bizarre ce hasard fait de rencontres fortuites. Stanislas Leszczynski était polonais et fidèle à Napoléon, lui l’apatride au grand destin qui deviendra une grande famille française. Je me sentais bien plus fort et bien plus intelligent maintenant, certes pas encore un « Mathélem » mais ça viendrait.
Il y a des mots comme celui-ci qui jalonnent ma vie, pareil au Petit Poucet, ils ont émaillés mon chemin de vie, de temps à autre, au gré du temps et des événements. Ils me servent de repaire, de berger même.
Le suivant, je crois que c’est « Giuseppe Tomasi di Lampedusa » l’auteur d’un seul roman, le « Guépard ». Il fut même publié un an après sa mort. Avec ce mot, je sentais bien que je gagnais un grade de plus vers le « Mathélem », il est beau ce nom, il est long, je n’oublie rien au passage, et je trouve qu’il chante !
Puis, débarqua dans ma vie vers les dix ans, d’autres mots. Et bien ! Me direz-vous tu as pris tout ton temps ! Oui, certes, j’ai pris mon temps, sans doute avais-je abandonné l’idée d’être Mathélem, ou bien les événements de la vie se chargèrent, et m’obligèrent de m’occuper plus de mon sort, que des mots intelligents que je m’étais promis d’apprendre.
Mais c’est aussi que pour devenir un mot parmi les mots, le nectar des mots, pour qu’inconsciemment je le sélectionne, il doit en traverser des épreuves.
Les autres mots ne servent qu’à s’aligner dans une modeste phrase, à compléter celui qui viendra derrière et devenir l’esclave de celui qui est devant. Un mot seul n’est rien, mais les mots du « chasseur de l’atlas » sont uniques.
J’aurais aimer être un jongleur de mots. A mes mots s’attachent, amoureusement une vie, une étape, un pan entier de ma conscience solitaire. Soustraire ce mot, c’est m’amputer un bout de vie, et j’ai besoin de tous les bouts, pour devenir grand.
Le suivant, disais-je, c’est « Ayuntamiento ». Lui, j’étais fier de le posséder dans ma collection, comme un timbre rare, l’objet de toutes vos requêtes. Son histoire est magique, j’avais en 6ème un professeur d’espagnol, non ! En fait, un répétiteur plutôt. Je disais donc qu’un matin comme ça, un matin banal, en plein cours, il nous dit :
« Savez-vous quel est le mot le plus long de la langue espagnole ? En plus il détient aussi un autre record ? Qui le sait ? »
Le mystère.
Voila ce qui me fait avancer, mon carburant, mon envie de vivre. Il me le fallait ce mot, je le voulais ! Il devait entrer dans ma collection.
La réponse du prof tardait trop, j’attendais impatiemment.
Le temps ne s’épuisait pas assez rapidement, le prof attendait là, fier de sa trouvaille qui apparemment captivait la salle. Il savait qu’il nous enchantait tous, que nous voulions partager son mystère !
Le temps durait beaucoup plus longtemps que le temps normal !
Le temps qui me fait souffrir, quand va-t-il s’en aller ce temps ! Et arriver juste à temps !
À l’instant même où le professeur nous annonce :
« Ayuntamiento : la mairie en espagnol. Ce n’est pas seulement le mot le plus long, mais aussi, il contient toutes les voyelles de l’alphabet ! »
Et le voila le fier, il énonce :
Le A
Le Y
Le U
Le I
Le E
Et enfin le O! Quel mot ! Quelle histoire !
Ainsi, il entra dans mon univers fermé et confidentiel des mots prédestinés.
Comme tous les gosses, je retenais aussi « anticonstitutionnellement », le mot le plus long de la langue française ». Mais bof ! Lui, il semblait insipide, sans intérêt, pas brillant, nul à prononcer, et tout le monde le connaissait, je n’ai épaté personne avec celui là. C’est pas comme « Giuseppe Tomasi di Lampedusa », ça c’est du mot, de celui qui vous classe. En plus « anticonstitutionnellement » son orthographe m’épuisait toujours en l’écrivant. Je panique encore devant lui, effarouché juste à l’idée de l’écrire, comme au premier jour de notre brève rencontre. Il me fait toujours peur ! Combien de T ? Combien de N ? Combien de L et où doit-on les mettre ? Je l’ai gardé certes, mais pour l’échanger un jour, au besoin l’oublier. Ce n’est pas avec lui que j’aurais fait « Mathélem » !

11 commentaires:

Dr Mouhib Mohamed a dit…

bonjour,
je crois que dans toutes les langues les enfants trouvent du plaisir à répéter les mots savants.
Le sens des mots importe peu,c'est le jeu des syllabes qui les intéresse. Et du jeu des noyaux d'abricots au jeu des syllabes et des homonymes il ya tout un monde.
Bravo de l'avoir franchi.
Bien à vous.

Pas a pas a dit…

bonjour Mr Mouhib
tout y est dans votre commentaire,c'est exactement cela qui m'"animait a la recgherche du mot rare ,celui qui impressionne ,mais aussi et surtout qui chante a son enoncé
merci de votre passage
patrick

Anonyme a dit…

Il est quand même des mots qui ne servent à rien…à rien d’autres qu’à être dans un guiness ou à faire des morts de l’écriture… Les portes de Stanislas ça me parle et je sais y répondre. J’avais ton âge aux premiers mots de Nancy…et j’en ai rêvé sans rien comprendre. Alors comment en parler à présent sans citer de noms propres ? Je ne sais pas pour l’instant mais ça ne m’inquiète plus. Je te lis, tu me lis et d’autres aussi, j’avance avec mes mots et les tiens sont si certains qu’ils me font du bien…pas à pas se fait notre chemin…et tu as si raison…
A bientôt Patrick,
Aslé

Majid Blal a dit…

Bonjour
J,ai beaucoup aimé ce chapitre et sa résonance. Ce sont ces rencontres avec les concepts abstraits des MOTS qui font que plus tard on a le sens du mot, qu'on mesure le poid des mots et qu'on en met dans ses poches comme on y glisse des cacahuettes.
Mon premier roman" Une femme pour pays" commence ainsi:
Moi qui affectionne les mots. moi que les mots affectent. Moi qui ai peur des mots. Moi qui en mets de côté pour sécuriser les mauvais jours, je n,en trouve pas un traître...
Les mots m'ont lâché. Ne me reste que le regard hagard, vitreux...sans vie.
Le silence prend possession de moi. Silence. Un son torturé qui ne trouve pas son bruit. Un élan brisé qui ne s,entend plus s'émietter. un mot orphelin qui ne reconnaît plus son chemin. je suis en colère, suis je brisé?"
Bravo Patrick c'est bien songé.

Anonyme a dit…

La danse et le chant des mots, j'aime lire parfois les textes à voix haute pour mieux entendre les mots résonner dans ma tête.
J'aime entendre parler italien car cela me rappelle des vacances. L'anglais, je trouve que c'est pas mal, surtout le mot "cheese". L'allemand, c'est guttural, que dire alors du suisse allemand... souvent incompréhensible... Ou alors le haut-valaisan, on a l'impression en l'entendant que les cailloux dévalent la pente.
Il y a des prénoms que j'affectionne, d'autres un peu moins. Mon grand-papa s'appelait "Pierre". On l'appelait "Pierrot", ce qui lui donnait un air encore plus espiègle. L'être humain a bien de la chance de savoir dire des mots pour parler avec les autres. Les mots nous relient aux autres. Parfois les silences sont lourds de mots non dits.

Cergie a dit…

C'est très drole ce que tu racontes et bien heureusement que je n'ai pas su ça avant, moi qui ait fait un bac C à l'époque où on était très peu de filles à le faire, cela m'aurait découragée !!!
C'est la première fois que je rencontre ce mot magique, il est vrai que je n'ai jamais fait d'espagnol !
Tu as eu des rencontres exceptionnelles dans ta vie
Ce prof avait l'air d'être quelqu'un d'exceptionnel puis que tu as été tant marqué par cet épisode !

Pas a pas a dit…

bonjour
cergie,delphinium,ltds,majid blal et Mr mouhib
A vous tous merci de vous commentaires si encourageants
Sachez que j’ai longtemps réfléchis avant de me décider. Mon entourage ne m’encourageant pas a le faire
Et puis bien que le sujet ne soit pas bien traité j’avais envie d’aborder le sens des mots et tenter d’exprimer ce que gamin je ressentais au plus profond de moi sans jamais avoir eu les mots justes pour l’exprimer
Ce n’est là que ma première tentative
J’ai beaucoup aimé tous vos commentaires, l’allusion à la poignée de cacahuètes m’a fait sourire mr majid blal, mais c’est tellement vrai
J’ai reconnu ltds quand Stanislas nous rassemble
Cergie, oui ce prof sans douter a fait germer en moi une graine qui mettra très longtemps à germer, la graine du magicien des mots que j’aurai aimer d’être comme chacun de vous
D’ailleurs je vous engage à lire mutuellement vos blogs et sans faire un choix, allez aussi sur le blog de ltds, écriture surnaturelle, je ne vous en dis pas plus
Delphinium oui parfois le silence est plus dur à entendre que les mots ,j’aurai aimer y penser et l’écrire dans mon blog ,je crois que c’est aussi comme cela que je me suis défendu si longtemps
Merci a tous
A bientôt
Grâce a vous l’enfant grandit, il a eu peur du futur les mots l’ont sauvé
Patrick

Anonyme a dit…

Jolie réponse patrick, très touchante. Je vous souhaite un bel été!

Anonyme a dit…

Bonsoir Patrick,
Les mots, les paroles souvenirs de notre enfance, pour ma part ils sont en dialecte de la région de Venise.
A chaque escapade en Vénitie, entendre parler les anciens me transporte vers mon enfance, uu doux plaisir !...
Bravo pour ton texte
Claude

Cergie a dit…

C'est drôle que tu parles de "Cergie" comme un magicien des mots
C'est la première fois que j'entends ce très grand compliment et je ne pense pas être sûre de le mériter
Parfois oui, je suis portée par un message, mais j'écris presque tous les jours, alors c'est dur d'être à la hauteur
Le blog n'est pas axé sur le texte chez moi, mêm si je fais attention
Tu n'as pas à être complexé de ton écriture, elle est riche, très vivante et attachante.

Pas a pas a dit…

bonjour cergie
dans ton blog tu sais tres bien marier image et texte et c'est cela que j'aime
continue
patrick