Un matin aussi angoissant que les autres, comme les hirondelles, il a reçu le signal du départ que lui seul a su décrypter.
« Nous partirons à la fin de la semaine, lundi au plus tard ».
Alors ce sera lundi pensais-je si fort, qu’il ajouta :
« Lundi, si vous voulez ».
Ce triste répit ne nous fit pas plus plaisir que cela, sans doute quelques jours de souffrance en plus à attendre l’exode forcé.
Mais ne valait-il pas mieux souffrir chez nous à Midelt que là-bas dans ce village ? Comment se nomme t’il déjà ?
J’aurais tant aimé une heure, une minute, une seconde, retourner au paysannat et Lalla Mimouna pour leur dire au revoir une dernière fois et leur promettre que je reviendrai. Je ne sais quand mais je reviendrai embrasser cette terre ingrate si peu fertile mais si attachante. J’aurais encore une fois souffert la déchirante séparation, mais l’attente à la fois si loin de mes seules vraies racines et si près m’était insupportable.
Je lui en voulais, lui mon héros, de ne pas me l’avoir proposé.
Nous étions les rares derniers français à quitter Midelt, du moins je le crois, personne ne vint nous dire au revoir en dehors de Mr Bunsik et de Porcela le pharmacien.
La douleur du départ ne suffit pas, je vécu un autre affreux dilemme
« Toto, Rika et Look, c’est trop ». Patrick, il faut choisir, deux chiens et pas trois dans le coffre »
« Rika vient c’est la seule bergère allemande, choisis entre Toto et Look celui que tu préfères ».
Mais celui que je préfère moi c’est les deux ! Pourquoi à moi la douleur déchirante du choix. C’est comme les fois où il me demandait « tu préfères ta mère ou ton père ». Je savais moi que je préférai mon père et que j’avais une peur bleue de ma mère. Lâchement, jamais ne n’ai choisi. Au moins, étaient-ils fiers que ma réponse fût toujours :
« Les deux, Papa ».
Je savais pertinemment que je mentais, mais ma méfiance de chasseur me soufflait ce mensonge à l’oreille. Je mettais à mal l’éducation chargée de respect que mon père m’inculquait tous les jours, et notamment, « le mensonge ce n’est pas beau ».
Et bien oui, le mensonge c’est beau. La preuve mon mensonge vous fait plaisir !
Je devins glacial. Mon corps se pétrifiait juste à l’idée de devoir choisir, et d’envoyer dans le passé le chien que j’allais abandonner.
Je tentais sans espoir et sans conviction de ne pas choisir, mais raisonnablement, intimement, je convenais que trois chiens ne contenaient pas dans la malle.
Mr Bunsik, s’approcha de moi.
« Je choisis pour toi, Toto est trop vieux, le voyage sera trop long pour lui, laisse le vivre et mourir tranquillement ici, dans son pays.
Cette pensée de savoir Toto mourir chez lui et de ne pas connaître l’exode, aussi paradoxal que cela puisse paraître m’affranchit pour quelques temps de la douleur.
« Tu sais que je l’aime, je m’en occuperai très bien, tu as ma promesse » me répéta t’il d’une voie rassurante et apaisante pour me convaincre définitivement.
Je me suis empressé de le croire. Son discours m’arrangeait et me libérait lâchement du choix, qu’inconsciemment j’avais déjà fait.
« Monsieur Bunsik dit que Toto est trop vieux, j’ai pas le choix on emmène Look ».
J’ai encore son dernier regard en mémoire, le regard d’un épagneul fidèle à mourir, vous connaissez ?
Le regard d’un épagneul qui n’a jamais compté sa peine pour nous ramener devant nos fusils perdreaux et lièvres.
Le regard absent d’un ami fidèle qui sait que vous allez lâchement l’abandonner et qui en plus fait semblant de ne pas comprendre votre méfait.
Ainsi j’abandonnais Toto, devant la porte d’entrée, trop vieux pour se déplacer. Je suis sûr qu’il avait compris, j’aurais tant aimé qu’il me dise qu’il me pardonnait et que je n’avais pas le choix, que c’était mieux pour lui »
Au moins un kilo de sucre devant son nez gourmand tentait de racheter ma trahison. Une dernière caresse pour me rassurer. Juda !
Les deux autres chiens, sans un mot m’épiaient, déjà couchés dans le coffre, évitaient la scène et mon regard, le cœur en transe, en espérant que je ne change pas d’avis.
Une cale pour l’air,
Un tendeur pour fermer le coffre.
Un tour de clef.
La voiture endormie par les premières chaleurs, sursaute et démarre.
Deux bras par la fenêtre timides s’agitent machinalement, les ultimes au revoir au présent, sans futur proche.
Je me retourne Toto s’et levé et court derrière la voiture.
Je m’enfonce dans mon siège et pleure. J’avais abandonné Toto comme il y a quelques années, j’avais moi-même été abandonné à Meknes, perdu dans la nuit, et dans mes draps. Pensionnaire de ce lycée trop grand pour moi.
Adieu jardin des dieux.
J’ai peur de demain.
J’allais découvrir un nouveau mot pour ma collection, que je jetais au fond de ma poche comme une poignée de cacahuète (sic Majid Blal) le mot, « rapatriés », et en apprendre la douloureuse signification.
« Nous partirons à la fin de la semaine, lundi au plus tard ».
Alors ce sera lundi pensais-je si fort, qu’il ajouta :
« Lundi, si vous voulez ».
Ce triste répit ne nous fit pas plus plaisir que cela, sans doute quelques jours de souffrance en plus à attendre l’exode forcé.
Mais ne valait-il pas mieux souffrir chez nous à Midelt que là-bas dans ce village ? Comment se nomme t’il déjà ?
J’aurais tant aimé une heure, une minute, une seconde, retourner au paysannat et Lalla Mimouna pour leur dire au revoir une dernière fois et leur promettre que je reviendrai. Je ne sais quand mais je reviendrai embrasser cette terre ingrate si peu fertile mais si attachante. J’aurais encore une fois souffert la déchirante séparation, mais l’attente à la fois si loin de mes seules vraies racines et si près m’était insupportable.
Je lui en voulais, lui mon héros, de ne pas me l’avoir proposé.
Nous étions les rares derniers français à quitter Midelt, du moins je le crois, personne ne vint nous dire au revoir en dehors de Mr Bunsik et de Porcela le pharmacien.
La douleur du départ ne suffit pas, je vécu un autre affreux dilemme
« Toto, Rika et Look, c’est trop ». Patrick, il faut choisir, deux chiens et pas trois dans le coffre »
« Rika vient c’est la seule bergère allemande, choisis entre Toto et Look celui que tu préfères ».
Mais celui que je préfère moi c’est les deux ! Pourquoi à moi la douleur déchirante du choix. C’est comme les fois où il me demandait « tu préfères ta mère ou ton père ». Je savais moi que je préférai mon père et que j’avais une peur bleue de ma mère. Lâchement, jamais ne n’ai choisi. Au moins, étaient-ils fiers que ma réponse fût toujours :
« Les deux, Papa ».
Je savais pertinemment que je mentais, mais ma méfiance de chasseur me soufflait ce mensonge à l’oreille. Je mettais à mal l’éducation chargée de respect que mon père m’inculquait tous les jours, et notamment, « le mensonge ce n’est pas beau ».
Et bien oui, le mensonge c’est beau. La preuve mon mensonge vous fait plaisir !
Je devins glacial. Mon corps se pétrifiait juste à l’idée de devoir choisir, et d’envoyer dans le passé le chien que j’allais abandonner.
Je tentais sans espoir et sans conviction de ne pas choisir, mais raisonnablement, intimement, je convenais que trois chiens ne contenaient pas dans la malle.
Mr Bunsik, s’approcha de moi.
« Je choisis pour toi, Toto est trop vieux, le voyage sera trop long pour lui, laisse le vivre et mourir tranquillement ici, dans son pays.
Cette pensée de savoir Toto mourir chez lui et de ne pas connaître l’exode, aussi paradoxal que cela puisse paraître m’affranchit pour quelques temps de la douleur.
« Tu sais que je l’aime, je m’en occuperai très bien, tu as ma promesse » me répéta t’il d’une voie rassurante et apaisante pour me convaincre définitivement.
Je me suis empressé de le croire. Son discours m’arrangeait et me libérait lâchement du choix, qu’inconsciemment j’avais déjà fait.
« Monsieur Bunsik dit que Toto est trop vieux, j’ai pas le choix on emmène Look ».
J’ai encore son dernier regard en mémoire, le regard d’un épagneul fidèle à mourir, vous connaissez ?
Le regard d’un épagneul qui n’a jamais compté sa peine pour nous ramener devant nos fusils perdreaux et lièvres.
Le regard absent d’un ami fidèle qui sait que vous allez lâchement l’abandonner et qui en plus fait semblant de ne pas comprendre votre méfait.
Ainsi j’abandonnais Toto, devant la porte d’entrée, trop vieux pour se déplacer. Je suis sûr qu’il avait compris, j’aurais tant aimé qu’il me dise qu’il me pardonnait et que je n’avais pas le choix, que c’était mieux pour lui »
Au moins un kilo de sucre devant son nez gourmand tentait de racheter ma trahison. Une dernière caresse pour me rassurer. Juda !
Les deux autres chiens, sans un mot m’épiaient, déjà couchés dans le coffre, évitaient la scène et mon regard, le cœur en transe, en espérant que je ne change pas d’avis.
Une cale pour l’air,
Un tendeur pour fermer le coffre.
Un tour de clef.
La voiture endormie par les premières chaleurs, sursaute et démarre.
Deux bras par la fenêtre timides s’agitent machinalement, les ultimes au revoir au présent, sans futur proche.
Je me retourne Toto s’et levé et court derrière la voiture.
Je m’enfonce dans mon siège et pleure. J’avais abandonné Toto comme il y a quelques années, j’avais moi-même été abandonné à Meknes, perdu dans la nuit, et dans mes draps. Pensionnaire de ce lycée trop grand pour moi.
Adieu jardin des dieux.
J’ai peur de demain.
J’allais découvrir un nouveau mot pour ma collection, que je jetais au fond de ma poche comme une poignée de cacahuète (sic Majid Blal) le mot, « rapatriés », et en apprendre la douloureuse signification.
20 commentaires:
Tu devrais y retourner comme ça avec ta petite famille...et même si tout a changé ou presque...tu risques de retrouver des traces, des détails...peut-être des personnes (c'est sûr)et des souvenirs c'est certain...
Mais j'écris une avancée dans le temps...le jeune garçon d'alors en a plein le coeur et il ne peut que comprendre sa douleur... et sans réellement savoir pourquoi...il devine...
Bonjour ltds
C’est décidé l’année prochaine en mai où juin j’irai escalader Lalla Mimouna et revoit Midelt
Je peux maintenant. le passé si complique est devenu un passé simple et j’attends impatiemment cet instant
Oui sans problème les yeux fermes je retrouverai Toto, le Paysannat et je sais quelques personne qui ont vécu cette histoire
Merci de ton passage et a bientôt
Patrick
bonjour Patrick,
Vous avez raison de dire que "la région de Midelt est ingrate, peu fertile mais si attachante".
Les fonctionnaires affectés à Midelt disent la même chose à leur façon:" on pleure quand on arrive à Midelt, on pleure également quand on la quitte".
La scène de séparation avec le chien est très touchante.
Amitiés.
bonjour Dr Mouhib
je connaissais cette "maxime sur Midelt et l'avais completement oubliée
je l'utiliserai avec votre permission
Oui encore aujourd'hui je revois toto ,mon chien ,mon compagnon,que je pretais à mon pere pour la chasse ,ensuite il redevenais mon ami
merci de votre passage
amities
patrick
Bonjour Patrick.
Je reviens partager les cacahuettes comme d'habitudes. C,est le départ et certainement le petit garçon a suivi l,ombre de la voiture qui se meut dans le relief accidenté de la route.
En ce qui concerne le mensonge et les parents en général, je crois qu'ils ne prechent pas par l'exemple.
" Si Alfred Hitchckok m'appelle réponds que je ne suis pas la" est le cas type des parents qui poussent les enfants à mentir pour eux. Sinon les enfants sont plus rusés et plus réfléchis que ce qu'en pensent les parents. Les enfants créent le mensonge Blanc, le mensonge qui ne peut que faire plaisir aux autres comme un compliment.
Bravo encore.
majid
Bonjour Majd Blal
C’est le dernier épisode sur le Maroc et Midelt
Merci de vos encouragements
Je voudrai tant aussi réussir a écrire sur la période française
A bientôt et merci de vos visites
Amitiés
Patrick
Ne surtout pas oublier quand on est adultes ce qu'on a ressenti quand on était enfant..les déchirements, les incompréhensions, les mensonges forcés (oui, forcés dans ce cas là).. ça nous aide à comprendre ce que nous sommes devenus, ce qui a fait notre histoire et comprendre surtout nos enfants et le chemin que nous voudrions leur indiquer.
Faire une sorte de "pèlerinage" là bas peut être bénéfique, et permettre de boucler la boucle. Et j'espère que tu nous raconteras!
Pourquoi ne pas écrire la suite? c'est tellement bien écrit jusque là, qu'il n'y a pas de raison pour qu'on ne se passionne pas pour la suite!!! j'avoue que ça fait du bien de lire les ressentis d'enfance de quelqu'un d'autre... ça aide même à reconnaître et accepter ses propres ressentis, les positifs, comme les négatifs...
Bon week end.
il est certain que nous ne comprenons pas toujours le sens que nous réserve la vie !! Mais le point positif c'est que tu peux nous le raconter :) D'accord ça ne console pas mais ça permet d'avoir fait connaissance par ce périple conter pas à pas sur le net.
Bien @twa
Bonjour cerisette
Et cette maison ?
Merci de ton commentaire,
J’essaye d’écrire une suite, enfin la suite française de mon histoire, mais je ne trouve pas d’inspiration tant cette vie m’a parue insipide
Ecole, paires claques, travail, je ne me souviens que de chose banale, sans doute ma vie française était elle banale aussi
Enfin sans doute en y réfléchissant fortement un jour me viendra le petit bout de ficelle qu’il suffira de tirer
Merci
Patrick
Bonjour fr@n6
En quelques mots juste tu exprimes facilement des sentiments ressentis, les miens et sans doutes tout ceux qui ont été déracinés et qui banalement recherchent un territoire ou se raccrocher
Merci de ces quelques mots
Patrick
Je lis tes récits avec toujours autant de délectation par rapport à la retranscription des sentiments. Superbe, vite la suite !...
Bonjour chez toi !
Claude
Ton père qui sait décripter comme les hirondelles et lire dans vos pensées, quel pouvoir !
en plus je pense qu'il était fin psychologuen s'il n'avait donné comme limite extrème lundi, vous n'auriez pas paradoxalement été heureux de partir à cette date ultime, ayant grignoté du temps jusqu'au bout...
Tu as eu de la chance de ramener deux chiens, notre Nadia est restée en Cote d'Ivoire...
Tu as eu la chance de ne pas avoir à choisir et de te trouver conforté par Mr Bunsik. Il avait raison, ton Toti a eu la chance de ne pas quitter ses racines, lui, il est resté avec quelqu'un qui l'aimait assez pour le comprendre...
Pardon pour les fautes de frappe ! Le principal est que tu me comprennes !
bonjour claude
toujours tres agreable de lire tes commentaires
merci de ton passage
la suite ? oui sans doute! ma vie en france vaut elle d'etre racontée?
,je vais m'essayer et attendre impatiemement vos commentaires
je compte sur votre impartialite, car je suis certain de la diference de style entre les deux aventures, la vie a raconter est bien plus morose
les mots vont manquer
je compte sur toi
merci
patrick
bonjour cergie
(pas de pb avec les fautes de frappes ,je suis moi meme un tres mauvais dactylo)
je ne saurai jamais pourquoi mon pere a decidé de quitter le maroc
il y a la version officielle que j'ai deja racontezr
l'autre versoion je ne la connais pas
sans doute n'en y avait il pas
pour toto ,je m'empresse de te croire
merci de ton passage
patrick
des fois on retourne à un endroit rien que pour se remémorer des souvenirs, et ça en vaut la peine!
Je ne suis pas sûre que l'on retrouve l'endroit qu'on avait en souvenir.
Je suis même sure que non et je te l'ai peut être raconté
Je le ferai peut être un jour sur mon blog : raconter pourquoi (je l'ai fait déjà, mais en réponse à des commentaires l'an dernier)
Il faut revenir, oui. Mais se dire que l'endroit qu'on a aimé, comme un enfant a grandi et qu'il a vêcu une vie dans laquelle on ne l'a pas accompagné et qu'il faudrait avoir la patience de le réapprivoiser...
Patrick, j'ai été défiée par HPY ce matin et je te défie à mon tour : en dix points dire ce que tu aimes en toi.
Tu fais comme tu peux et réponds à ce défi si tu t'en sens le désir
Va voir mon message STP en attendant...
Bonjour psynaj
Je l’espère car bientôt en mai 2008, j’irai a Midelt 52 ans après ce que je viens de vous raconter
Sans doute les montagnes seront plus petites
Les rivières des ruisseaux
Le paysannat une simple ferme
Et alors ?
Merci de ton passage
Patrick
Bonjour cergie
Oui raconte nous ton retour aux racines
Pour le défi je vais essayer, je le ferai sur mon autre site
http://pasapas.blogs.marieclaire.fr/
Des souvenirs d'enfance racontés avec une savoureuse sensibilité.
J'ai versé une larme en imaginant Toto courir derrière la voiture . La souffrance qu'il a du éprouver en se sentant abandonné!!...une histoire d'amour qui se termine très mal...
Josie
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