05 juin 2007

Retournerai-je à Midelt (episode 16)


La France point pour moi !
Ils ne voudront pas de moi dans ce pays, ni de mon lance pierre, ni de mon short, ni de mes pièges à moineaux, les hyènes, ma carabine, mes voitures fabriquées avec du fil de fer et des bidons d’huile…………..
Et puis là bas il n’y a pas de Berbères et c’est ça que je veux faire quand je serai grand ! Je l’avais promis à mon père !
En France y a que des français, ça ne va pas aller ça !
J’y suis bien allé, une fois ou deux, je ne sais plus trop bien.
Un été de je ne sais de quelle année nous sommes allés à Nancy pour voir tata Fernande et tonton Georges. Et aussi vers Foix, à Lux, dans l’Ariège, où nous avions loué une maison pour les vacances.
Nancy, je m’en souviens un peu. Je savais que papa était originaire de la Lorraine, de Commercy plus précisément, et avait vécu à Méligny le Petit.
« Le village se souviendra toujours de notre famille » me disait-il souvent, l’air pensif, je voyais aussi dans ses yeux malicieux un filet d’orgueil.
« D’abord la plus belle tombe, c’est celle de tes ancêtres qui remontent si je ne me trompe pas vers 1750, et tu verras si tu y vas un jour il y a même une inscription au sujet des vignerons qui y sont enterrés »
Il semblait bien fier lui aussi de ces ancêtres d’il y a plusieurs siècles. Lui, l’orphelin qui me parlait plus souvent de la famille maternelle qui l’a élevé et d’un vague grand-père qui l’a prit sous sa protection à la mort tragique de ses parents.
« Et ce n’est pas fini, à Méligny, il y a des horloges francontoises signées à notre nom, au moins 2 !» ajouta-t-il pour justifier s’il en était besoin que nos ancêtres étaient bien des terriens de ce village, et pas n’importe qui.
L’histoire de ces horloges francontoises serait-elle prémonitoire à la destinée de la famille.
La légende veut qu’un d’entre eux ait fait la guerre d’Algérie de 1870 à l’époque de la conquête par Napoléon III.
A sa démobilisation, il avait le choix entre prendre épouse sur place, plus un fusil, plus des terres et s’installer comme colon, soit renter au pays avec sa prime.
C’est ce qu’il fit. Il aurait appris le métier d’horloger en s’arrêtant en Franche Comté lors de son long retour à pied de Marseille à Méligny.
Je ne sais si cette histoire ou légende est vraie, mais moi elle me plait bien et j’y crois.
Déjà, un ancêtre avait eu l’envie de connaître cette Afrique du nord comme pour tracer la route à mon père.
Adulte, j’ai voulu connaître cette famille du 18ème siècle, la fierté de mon père. Bien plus tard je me souvenais toujours de ce jour ou il m’avait venté ses ancêtres qui étaient aussi les miens.
Je me suis rendu à Méligny. Dans le cimetière je vis cette majestueuse tombe bien entretenue. En effet l’arbre généalogique de la famille y remonte à 1736.
Comment peut on être fier devant une tombe, d’un bout de pierre, ce fut pourtant le cas. Fier de ces ascendants que je ne connaissais pas, mais j’étais sûr que comme mon père ils avaient été justes bons. Attitude idiote je le sais.
Plus tard aussi je fis une recherche sur le net et je découvris en tapant mon nom :
« Aux "H........, vignerons qui reposent à l'ombre de cette croix dans un entrelacs de pierres et de vignes sculptées, une curiosité à Méligny le Petit. »
Ensuite ajoutait il, « va dans l’église et tu y verras une extraordinaire surprise, les vitraux portent la signature « offert par la famille Hierard ».
Moi le déraciné, le fils du désert, j’avais des parents qui ici ont participé à la vie du village. Il y on laissé un témoignage majestueux de leur passage en ce monde pour la prospérité leur nom.
A l’église, je vis bien les vitraux. Je me retournais instinctivement pour y voir mon père, il était là j’en suis sur à coté de moi comme il y a 30 ans à Midelt. Je suis sûr qu’il était fier que son rejeton révolté soit, lui aussi proche de ses ancêtres.
Lors d’un voyage en France un jour tata m’a amené dans un grand magasin, un très grand magasin que mes yeux d’enfants ne pouvaient voir d’un bout à l’autre, des jouets que des jouets…….. Elle me dit « choisis ».
« C’est sûr, je prends tout le magasin » !
Ma mère comprit vite que l’offre était bien trop vaste, et généreuse de la part de ma tante, et qu’il fallait très vite circonscrire le feu.
« Tu choisis de là à là ! » me répliqua-t-elle dans le même temps ses deux longs bras m’indiquaient les limites de mes recherches.
« Et pas cher ! » pour bien ponctuer son ordre.
J’approchais les mains de mon premier choix, lentement, avec prudence. Je n’avais jamais vu autant de jouets de ma vie. Surtout, jamais je n’avais eu à choisir quelque chose pour moi, quelque chose qui me ferait plaisir à moi tout seul.
Mes doigts tremblants s’approchaient lentement pour sentir le jouet, au moment de le saisir délicatement, presque religieusement, brusquement, par crainte, ou par réflexe, mes mains reculèrent, juste avant que le bruit single ! J’entendis :
« Tu touches avec les yeux ! »
« ………….. »
Vous qui me lisez ce jour, vous comprenez bien le sens de ces terribles mots, mais moi à 7 ou 8 ans, toucher avec les yeux, ça vous laisse perplexe et abasourdi.
« Je peux ou pas me choisir un jouet ? »
« Tu veux bien ne pas répondre si non rien »
J’aurai dû en temps normal, là à cet instant précis, ramasser une baffe avant même d’avoir fini ma phrase, et me retrouver en dehors du magasin. Mais il y avait tata, elle ne dira rien j’en suis sûr, trop maligne pour ça, mais je savais en mon fort intérieur que je paierai cette acte de rébellion ouvert. Je vis bien dans ses yeux une vengeance tardive, « Elle ne va pas me mettre une claque quand même ? J’ai encore rien fait. »
« Vas-y petit, prends ce qui te plait » ouf sauvé
Ma tante vole à mon secours et ma mère bat en retraite. Hum ! Pas pour longtemps, je n’ai pas intérêt à rigoler ou même esquisser un sourire de remerciement à ma tante, la vengeance ne saurait tarder par la suite.
Presque hypnotisé, j’ai choisi un camion bleu, semi remorque de la marque « Dinky toys ». Je vous épate en me rappelant même la marque de ce magnifique jouet hein !!
Et bien il, faut croire que les grands moments de joie d’un enfant ne s’effacent jamais de sa mémoire. Un petit geste, un peu d’amour suffit à rendre un enfant heureux, surement plus qu’une baffe quotidienne et l’amour toujours à distance trop longue pour mes petits bras.
Et puis un jour, disparition du camion de tata. J’ai perdu un ami, un confident, le souvenir d’un instant inoubliable, comme une photo de famille. Le seul souvenir de ma Tata.
Perdu ?
Jeté ?
Vengeance tardive ?

22 commentaires:

Anonyme a dit…

Une écriture toujours aussi agréable à lire , pleine d'émotion et de tendresse.
Un regard d'enfant qui nous promène de "Midelt" à "Méligny le Petit" sans nous lasser...A travers les premières lignes, on sent l'immense importance du père et son regard sur la vie qui ont surement marqué la vie du petit garçon et puis: "douche froide" l'entrée en scène de la mère. Une maman incapable de donner à son fils la seule chose dont il ait besoin: SON AMOUR
Terrible manque pour un enfant.
Encore une fois Patrick merci pour ces petits moments d'évasion ...
Josie

Anonyme a dit…

Très joli texte Patrick.
Amicalement

Anonyme a dit…

Re-bonjour Pat.

Il m'arrive souvent quand je m'ennuie de Midelt de faire le même cauchemar. Je revoyais cette majestueuse montagne (El Ayachi) puis graduellement elle devenait floue, je perdais ses contours et je sentais l,angoisse de quelqu'un qui voit l'objet de son amour le quitter alors que je me débattais pour la réactuliser, je me réveillais en sueur. Voilà, je te dédie ce poème qui fait partie de mon prochain recueil de poésie. Il te ressemble énormément d'après tes jolis et touchants textes sur ton Blog.

Fais en ce qui te semble bon. Garde le ou mets le sur ton blog, je te l'offre. Sans façon d'un midelti à un autre...

Salutations sincères.

M comme Moulouya la haute
Majid blat

Pas a pas a dit…

Bonjour Mr Majid blat
Je suis très touché de votre geste, vous le Mideltis du Canada
Comme a moi ce village vous accroche pour ne jamais vous lâcher
J’ai cru l’oublier durant 42 ans
Et voila le résultat, il ressurgit encore plus fort comme ces volcans que l'on croit endormis et qui sans crier gare vous crache sa longue lave
je publierais votre poème la semaine prochaine

Anonyme a dit…

Bonsoir Patrick,

J'arrive à l'instant chez toi après un passage sur la Place Stanislas de Cergie où j'ai découvert tes origines meusiennes de Méligny le Petit. Le monde est petit Patrick et pour cause.
Je connais à la perfection le sud de ce département. Son histoire, son identité ne font qu'un avec moi.En 1872, 170 habitants demeuraient dans ce petit village; Je connais tous les vieux métiers de Méligny et le nom de ces petits artisans.
Tu évoques Patrick le Maroc et un peu plus tard Commercy. Le Maroc c'est aussi une partie de ma vie que je peux dévoiler ici ce soir. Commercy, c'est la ville de mon Lycée.
Je répète encore que le monde est petit, c'est incroyable!
Excellente soirée à toi

Majid Blal a dit…

Petite correction en passant, mon nom est MAJID BLAL.

Pas a pas a dit…

Bonjour Claude
On peut dire que pour une surprise !!!!!!!!!!
Tu connais Méligny le petit, alors as-tu entendu parler de ces horloges ou du cimetière, ou même du chemin de croix qui porte mon nom ?
Tu connais aussi le Maroc et Commercy, et maintenant tu vis à quelques kilomètres de chez moi
Sans doute un jour faudra t’il se rencontrer
Parles moi de Méligny le petit !
Patrick

Pas a pas a dit…

Bonjour josie
Je suis toujours émerveillé de vos commentaires,je les sais sincères,
Je les lis plusieurs fois parce que je sais que tous les mots sont pesés avant d'être couchés sur le papier
Merci de votre présence, si précieuse
Patrick

Dr Mouhib Mohamed a dit…

Bonjour Patrick,
Le choix du camion-jouet à l'âge de huit ans dénote que vous etiez aventurier dès cet âge, vous aviez surement voulu par des pouvoirs imaginaires vous évader vers un monde fantastique peut etre au delà de Jbel El Ayachi. Monde pour lequel les boites de sardines tirés par des ficelles ne pouvaient vous emmener.
Sachez que pas loin du paysannat les enfants jouent encore des jouets rustiques fabriqués avec des produits locaux. Vous êtes donc tout à fait plausibles dans vos magnifiques récits.

Pas a pas a dit…

Veuillez m'excusez Mr Majid blal pour la faute d'orthographe sur votre nom
patric

Pas a pas a dit…

Dr Mouhib
Merci pour ce témoignage tout frais sur les enfants de Midelt
La technologie n'a pas remplacée, le bon vieux camion que déjà à mon époque nous fabriquions avec un bidon d'huile de 5 litres, les roues, et le volant était en fil de fer
Mais attention ces camions se pilotaient, nous marchions derrière et ils obéissaient à nos ordres d"aventuriers
« Gauche !,droite ! Devant! »
Au dernier noël, naturellement nous avons gâté notre petite fille, passée le temps de la frénésie de l'ouverture des cadeaux, elle a joué la soirée, avec l’emballage, vide de l'un d'eux
Aurait elle tant que ça du sang berbère dans les veines ?
Patrick

Delphinium a dit…

Peut-être que le beau camion est parti sur la route de ces ancêtres, lui aussi, pour connaître ses parents camions, ses grands-parents-camions.

Je suis sûre qu'il est parti sur une très belle route, toute droite, s'enfonçant dans l'éternité.

Anonyme a dit…

natif des annees 40 je n'ai connu les jouets , jeux et autres cadeaux vers les annees 60 avant c'etait une orange ,ds papillotes un pull de mémé ou une petite piece offerte par le grand pere je me sentais important avec mon sou dans la poche mon frere cadet avait eu en cadeau un train en bois et
60ans apres il reste un wagon.
les voitures de courses DINKY TOYS nous faisaient rever quand nous allions devant le rayon jouets du BHV avec les parents

Pas a pas a dit…

Delphinium
Tu ne rate aucune occasion de me rappeler que tu es une "vraie poète», je vais souvent sur ton blog lire tes poésies, je suis un peu déçu il semble que tu nous abandonnes un peu
Mais tu donnes de ton temps sur les blogs des autres et tes commentaires sont toujours émouvants
Je suis heureux aujourd'hui de savoir que mon beau camion bleu est sur la route de l'éternité
patrick

Pas a pas a dit…

Le racleur (je crois)
Dommage que je puisse aller sur ton site, j’avais envie de te connaître
Tu connais aussi les oranges et les sous pour noël
Les jouets "dinky toys"sont nos souvenirs communs
Reviens quand tu veux
Patrick

Majid Blal a dit…

Comme tous les enfants de Midelt et de ses environs, nous avions un camion dans la tête, tatoué dans l'imaginaire qui crée le jeu. Un énorme camion jaune. Un gigantesque camion jaune, avec des roues énormes. Un EUCLIDE. Ces monstes qui servaient à prendre le minerais de plomb de la mine( Mibladen)jusqu'au concassage. Tous les enfants mideltis de cette époque étaient impressionnés par ces bêtes qui émérgeaient de la poussiere comme des dinosaures. Alors on les fabriquait...Vrooomm

Pas a pas a dit…

bonjour Mr Majid Blal
j'ai aussi en memoire ces montres jaunes qui deballaient a Mibladen ou Aouli
c'etait des dieux de l'olymp, qui les conduisaient
vroom!vrom!
patrick

Anonyme a dit…

cher patrick, je ne vous abandonne pas, mais il est vrai que je suis moins présente sur mon blog depuis quelques semaines, le travail m'accapare beaucoup. J'essaie néanmoins de faire régulièrement des petits passages sur les blogs des gens que j'apprécie.

Anonyme a dit…

cette marque des petites voitures aux couleus si flamboyantes qui pourrait l'oublier :)

Bien @twa

Pas a pas a dit…

bonjour
fr@n6
toi aussi dans ta tete ,un petit camion voyage toujours,
c'est bien ces souvenirs de gosses que nous avons tous!
partrick

Anonyme a dit…

Ton récit est toujours aussi captivant, merci ...
On ressent toute l'émotion !

A bientôt pour la suite
Amicalement
Claude

Dr Mouhib Mohamed a dit…

On dit que l'amour deplace les montagnes mais aujourd'hui je constate que c'est Jbel El Ayachi qui fait bouger les amoureux du mot ; merci Majid pour ces vers sublimes.
M.Mouhib.