
Un mois, pas plus. Et puis je n’en sais rien ! Ma mémoire refuse obstinément de me le dire !
Nous avons dans un premier temps quitté le Paysannat, comme pour s'accoutumer larme par larme à ne plus le voir, ni sentir ses odeurs protectrices. Je n’allais même pas à l’école, un oubli que personne ne revendiqua jamais, tant il était absurde. Nous habitions à Midelt chez Monsieur Bunsik l’ami vétérinaire de mon père.
Par contre, je me souviens du dernier périple entre le Paysannat et Midelt, les 5 ou 10 Km les plus longs et les plus dramatiques de ma jeune existence. Chargée de nos derniers souvenirs, la Ford Taunus était prête, pour sa 1ère étape, courte certes, mais déjà déchirante.
Même notre Peugeot avait quelques jours auparavant décidée de ne pas nous accompagner. Elle décéda de je ne sais quelle maladie mécanique. Certains disent qu’elle s’était volontairement mise en panne pour ne pas quitter Midelt, et aussi parce qu’elle était dans la confidence de ce qui nous attendait en France. Je crois qu’elle refusait tout simplement de quitter son pays même si elle était née à Sochaux en France il y a quelques 15 années. Elle repose sans doute en pièce détachée dans les mémoires des dernières Peugeot de Midelt. Mais déjà un pied noir sans sa Peugeot n’est plus un Pied noir.
Tous les salariés de la ferme s’étaient réunis devant la voiture. Lamentations et prières, rien n’y fit, mon père resta froid.
Ah ! L’orgueil quand tu nous tiens de quoi es-tu capable de nous faire faire ? Quel mal y aurait-il eu à reconnaître maintenant son erreur ? Je crois même qu’on tuerait le mouton pour le Méchoui des retrouvailles.
« Reste monsieur reste, après toi c’est plus pareil »
Des larmes et des gestes d’amitié s’agitaient autour de nous, des gens qui s’aiment et qui vont se quitter. Tout le monde se doutait instinctivement qu’on ne se reverrait plus.
Face à la voiture étonnée par ce vacarme, des essaims bruyants d’ouvriers tentaient de ralentir amoureusement notre départ .
« Reste M’sieur Maurice ! Dis lui toi Patrick, dis lui toi madame qu’il reste ! Il n’est pas content de nous pour qu’il parte ! Son pays c’est ici »
Je m’engouffrais dans la voiture, emmitouflé de mes larmes, me bouchais les oreilles pour ne plus entendre les cris de détresse de ces pauvres gens qui sans doute, pensaient eux aussi que nous les abandonnions.
Je vis ma mère en faire autant la tête plongée dans les mains. Elle ne jeta plus un seul regard à la horde en pleurs, en souffrance de guide.
Même pas un adieu tant ce fut douloureux. Chacun chez soit. Nous dans les chariots du désespoir et eux plantés par leur douleur et la crainte du lendemain sans Maurice.
Au bout de l’allée, la route de Midelt à ksar el souk, tourner à gauche. Adieu paysannat. A dieu, et à Allah je m’en remets pour revenir te voir.